Parmi les pays européens, l’Estonie est l’un de ceux qui a historiquement accordé à ses traditions orales une attention toute particulière. Ceci s’explique par l’émergence de la sensibilité « nationale » d’abord auprès des lettrés (pasteurs surtout) issus du monde germano-balte et de culture germanique, relayés par la suite par des lettrés originaires de la « terre », dont la langue maternelle est l’estonien.
La quête d’oralité en vue de la préserver relève ainsi, dès la deuxième moitié du XIXe siècle, d’une double démarche : mettre en valeur un patrimoine ignoré, rehausser le prestige de ses porteurs, qui étaient au bas de l’échelle sociale ; mais aussi consigner une richesse déjà ressentie en cours de disparition.
Ainsi, depuis maintenant près d’un siècle et demi, les campagnes estoniennes ont été systématiquement arpentées par des folkloristes chargés de noter les chants, récits, expériences, proverbes, devinettes des paysans de toutes les régions de ce petit pays. Ce travail n’a pas cessé : il se poursuit, permettant de suivre l’évolution de la créativité populaire au fil du temps, les variations des thèmes et de moyens d’expression. C’est ainsi, qu’avec plus d’un million et demi de fiches, les Archives Estoniennes de Folklore sont parmi les plus riches du monde.
Il existe de nombreux recueils de contes en Estonie. Celui-ci est recueil original de textes issues de ces archives, certains remontant au XIXe siècle, d’autres recueillis au début du XXIe dans les régions les plus diverses d’Estonie. Il s’est concentré sur deux principes :
· donner un échantillon des contes estoniens les plus divers – contes merveilleux, contes d’animaux, contes dont le héros est le diable etc.
· présenter des variantes plus particulièrement estoniennes de contes très largement connus.
Ceci impliquait une maîtrise considérable de l’immense corpus disponible aux archives de folklore. Pour cela, la sélection a été réalisée par Risto Järv, ancien directeur des archives de folklore, et spécialiste justement des contes estoniens, auteur de plusieurs sélections.
Thématiquement, le recueil tourne autour du thème de la forêt, qui est omniprésent dans l’imaginaire estonien. Contrairement aux traditions occidentales, la forêt, pour les Estoniens, est certes un endroit où les chemins peuvent se confondre – la plupart du temps du fait de l’intervention d’un esprit malin – mais c’est aussi un univers familier, celui où l’on va chercher fortune quand on est dans le besoin, et où souvent la chance vous sourit.
(Extrait de l'introduction d'Eva Toulouze à l'ouvrage l'Esprit de la forêt et autres contes estoniens publié aux éditions Corti)
Les Estoniens, comme la plupart des peuples civilisés, industrialisés, urbanisés, commencent à oublier leur littérature orale. Il existe pourtant quelques thèmes, quelques personnages populaires qui semblent pouvoir survivre à tout oubli et rester actuels même dans le contexte contemporain.
Les histoires du vieux païen et de Ants le Malin se raconte encore aujourd'hui et elle font rire les enfants et les adultes comme au temps de M.J Eisen, folkloriste connu, qui les édita pour la première fois en 1896 en notant dans sa préface que "parmi les vieilles histoires, c'est celle-ci qui nous restera la plus chère" Eisen fixa le premier les traits de ces deux personnages tout en modifiant de façon très personnelle, ce qui fait que la tradition orale actuelle porte encore son empreinte.
Ces contes ont été réédité plusieurs fois. L'édition actuellement la plus accessible est celle de V. Konsa, Stockholm, 1949..