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Contes pour enfants et responsabilité du conteur par Dominique Schwob

    Dominique Schowb, conteuse et écrivain, nous propose un début de réflexion sur la responsabilité du conteur face au choix de ses contes et à la façon de les travailler pour les transmettre à un jeune public. Cette amorce peut ouvrir une réflexion plus poussée sur ce sujet qui reste d'actualité, à la fois chez les artistes, mais aussi chez tous les animateurs qui racontent à des enfants.


     Oraux ou écrits, les contes ont le poids des mots suscitant le choc des images, des émotions, faute de photos...Au-delà de la plaisanterie, l'impact que les contes font naître dans l'auditoire suggère plusieurs interrogations sur la responsabilité du "diseur".

    Edith Montelle, dans son intervention du 12 avril, expliquait comment une conteuse traumatisait, sans s'en rendre compte, une classe de maternelle avec Barbe-Bleue*. Que le choix du texte doive tenir compte de l'âge des enfants est une évidence, mais celle-ci n'est pas toujours matériellement aussi simple. Ainsi, lors d'une séance dans une bibliothèque, ou dans une soirée où toutes les tranches d'âge sont présentes dans le public, ce qui conviendra aux uns, peut choquer ou indifférer les autres. Et même dans un groupe plus homogène, le vécu différent de chaque enfant les fera réagir plus ou moins intensément.

    Un aspect fondamental du conte n'est-il pas de réveiller des émotions fortes, telle que la peur par exemple ? Cela ne signifie pas pour autant que le récit porte ombrage au développement de l'enfant. Quelle est la frontière entre l'émotion qui déstabilise et celle qui participe à la construction psychologique de l'enfant ?

    La responsabilité du "diseur" est forte. Mais si son répertoire puise dans les récits remontant du fond des âges , il se donne une sécurité. La conteuse en classe de maternelle devait se dire que Barbe-Bleue s'était frotté à plus d'une génération.

   Quelle que soit l'origine géographique de textes anciens, ils ont eu le temps de faire leurs preuves. D'autre part, depuis plusieurs décennies, ils sont analysés, psychanalysés. On a décortiqué leur structure, on les a fait entrer dans des schémas, leurs symboles n'ont plus de secret pour personne...Toutes leurs connotations ont été répertoriées...ou presque, en espérant qu'il reste des zones d'ombre...

    Les contes sont comme des galets jetés à l'eau, les répercussions s'éloignent de plus en plus du centre de départ. Si la première ondulation de la parole est l'émotion, cela s'excentre vers une résonance sur l'inconscient puis vers des rappels de structures archaïques avec les grands mythes appartenant à l'humanité entière, et enfin cette parole débouche en dernière vague sur la spiritualité. Le doute n'est pas permis sur leur richesse et leur complexité.

     Pour les fabricants de contes, dont je fais modestement partie, l'affaire est encore plus délicate. Le premier écueil à éviter est de rester au premier rond dans l'eau. Tout ce qui fait la substance profonde d'un récit est alors absent et on a tout au plus une historiette. Le deuxième est de soulever quelques lièvres concernant l'inconscient et de pertuber quelques enfants : dans ce cas , dire ses propres textes aggrave la responsabilité du conteur. Pour ces récits, il manque le recul du temps. Un conte ancien est passé de bouche en bouche. Même si la première trame contenait des bévues, ceux qui l'ont repris les ont corrigées. Au cours des siècles, ils se sont cristallisés autour de l'essentiel pour le fond, ils se sont peaufinés dans leur forme.

    Choisir ses éléments, assembler les pièces comme un puzzle, construire et voir naître le récit, fignoler, enjoliver à l'aide d'images, sont les moteurs essentiels dans la phase de création, tout cela afin de transmettre le plaisir des mots. (Non je n'emploierai pas le terme exécrable de "jubilatoire" mot à la mode s'il en est, vidé de son sens comme tous les mots sacrifiés sur l'autel du snobisme du langage). Même si, parfois, quelques idées qui me paraissent importantes donnent l'axe du récit, le côté pédagogique n'est pas ma préoccupation première. Ce qui entraîne fatalement des réussites mais aussi des erreurs.

    Je me souviens d'une réaction malheureuse à cause d'une manipulation du vieux mythe du drac (c'est peut-être cette zone mi-mythe, mi-personnelle qui est la plus marécageuse). Au mélange de deux trames sur ce monstre légendaire, j'avais ajouté ma touche personnelle. En fin d'histoire, le drac veut enlever la belle lavandière dont il est amoureux. Le jour du mariage de la lavandière, il se poste sur une colline au-dessus de la maison où il y a la noce. La "draquessa" jalouse arrive avec son rouleau à pâtisserie. La dispute entre les deux monstres est si terrible que des blocs de rochers s'écroulent sur la maison et ensevelissent toute l'assemblée en fête. Une mère est venue me trouver lors d'une deuxième séance en me demandant ce que j'avais raconté qui avait donné des cauchemars à sa petite fille de six ou sept ans. Etait-ce une réaction totalement liée à l'histoire de l'enfant, les autres n'ayant pas réagi ? Etait-ce une erreur de faire finir le conte dans le malheur ? Qu'il serait bon d'avoir des recettes, des garde-fous (ce dernier terme ne peut pas être mieux approprié)...


Juillet 1996

*Voir article d'Edith Montelle dans le n° 0 du Bulletin "Réseau littérature orale".


  

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