kabyles, courts poèmes d'un accent souvent amer et âpre qu'on ne cesse d'élaborer sur l'amour, les rigueurs du destin, les évènements et la politique, il y a toute une littérature orale, si l'on petit dire. en prose.
THEMES HAGIOGRAPHIQUES
Il y a d'abord les légendes hagiographiques. Elles attribuent aux saints d'extraordinaires miracles qui se ressemblent souvent et auxquels on croit, plus ou moins sans y croire tout à fait. Certains expriment sous une forme stylisée, de profondes vérités mystiques, comme celle de la Lalla Mimouna répandue en divers endroits et dont nous retrouvons l'analogue jusque dans les Confessions de Jean-Jacques Rousseau. C'était une pauvre négresse ignorante qui ne savait pas les formules de la prière canonique. Un capitaine (le navire les lui apprend. Elle les oublie et court après le navire, en marchant sur la mer, pour les redemander. Elle revient, les oublie (le nouveau et se contente de répéter sans cesse : " Mimouna connaît Dieu et Dieu connaît Mimouna ", ce qui est l'alpha et l'oméga de la mystique.
UN HEROS MEDITERRANEEN
Il y a les contes plaisants et humoristiques, forts nombreux, plus ou moins affinés, spirituels ou grossiers, selon les divers milieux paysans ou citadins. Le héros principal est Si- Joha. célèbre dans le monde méditerranéen (Nasreddin Khodja qui a son tombeau en Anatolie, Goha fameux en Egypte, Giufa, Giuca en Italie), qui tient à la fois de l'Esope grec, du Calino, du M. de La Palisse et du Panurge français. Si Joha est tantôt un franc imbécile, tantôt un malin qui se sert de sa balourdise pour jouer de fructueux tours à ses concitoyens ou leur faire entendre de sévères vérités. Il est d'origine arabe et cité dans le Fihrist du IX- siècle, mais a été largement adopté par les berbères, chez qui il a d'ailleurs des émules fort voisins et non moins savoureux comme Bechkerker de l'Aurès, Si Moussa et Brouzi du Riff, de même que les tribus arabes ont leur Ben Chekran, le fils de l'ivrogneBou Kerch, l'homme au ventre ou Bou Hamar, l'homme à l'âne. C'est ce Joha qui répondait à quelqu'un lui annonçant que le feu était à sa maison, " Adressez-vous à ma femme. C'est elle qui S'occupe des affaires de la maison ". C'est lui qui s'écriait quand on lui annonçait des voleurs chez lui " Plut au ciel qu'ils trouvent quelque chose à voler ! ". C'est lui encore à qui un voisin demandait de lui prêter son âne : " Mon âne n'est pas là ", répond Joha. L'âne se met alors à braire dans l'écurie - " Tu vois bien qu'il est là, dit le voisin - Homme sans éducation, réplique Joha, tu crois un âne de préférence à moi qui suis un vieillard respectable à barbe blanche. "
LEGENDES COSMIQUES
Il y a des légendes historiques, géographiques, religieuses,, destinées comme partout à expliquer telle particularité du pays ou des habitants, les origines de telles tribus, ou de telle espèce animale, qui conservent les souvenirs déformés des antiques épopées, ou qui anticipent sur l'avenir pour annoncer la fin des temps et le règne futur du Mahdi (Le mahdi est le rénovateur de la religion, qui, selon quelques traditions, fera triompher l'Islam et la justice, et aidera Jésus à tuer l'Antéchrist ou Dajjâl, avant la fin du monde.) justicier. Les légendes mythiques, si nombreuses en Afrique Noire, sont rares, et cela s'explique par le triomphe de l'Islam et du Coran qui, sur ce plan, doivent théoriquement répondre à tout. Frobenius en a recueilli pourtant en Kabylie une fort curieuse, mais à ma connaissance, quasi unique, qui permettrait de retrouver dans le vieux fond berbère le souvenir des classes matrimoniales étudiées par les ethnologues. Le premier homme et la première femme vivaient sous terre séparément. Ils se découvrent et se disputent près d'un puits. Ils ont cinquante fils et cinquante filles qui vont dans des directions différentes, voient un jour une lumière,. trouvent un. orifice et arrivent à la surface de la terre, de chaque côté d'une rivière, découvrent un gué. Les garçons se baignent, observés en secret par les filles, dont la plus audacieuse, après avoir provoqué une bataille générale, ouvre les voies nouvelles qui permettent la vie de l'humanité.
CONTES D'ANIMAUX
Les contes d'animaux, cultivés surtout chez les kabyles - nais classiques dans les textes écrits arabes depuis des siècles - tiennent à la fois des fables hindo-gréco-latines et des histoires d'animaux de l'Afrique Noire, moins littéralisées que les premières, moins mythologiques que les secondes. C'est le chacal, le hérisson ou le lièvre qui tiennent généralement la place du lièvre soudanais et du renard européen. Les affinités entre ces contes d'animaux humains et les fables ou récits folkloriques européens sont grandes, compte tenu, naturellement, de la différence des faunes.
CONTES MERVEILLEUX
Toutefois, ce sont les contes merveilleux qui nous ouvrent le plus large horizon et conduisent aux. aperçus les plus suggestifs en raison même du caractère pour ainsi dire rituel que nous serons amenés à y discerner. Cet intérêt et leur valeur humaine sont tels que les problèmes d'origine, bien souvent insolubles, passent au second plan.
Ils commencent et se terminent par des formules rituelles d'aspect propitiatoire ou déprécatoire,. et on ne doit en principe les dire que la nuit, sous peine de devenir teigneux ou d'avoir des enfants teigneux. Des tabous analogues existent en Europe, Asie, Amérique.
L'universalité du folklore apporte en effet un témoignage saisissant en faveur de l'unité de l'esprit. humain et de l'unité primordiale des traditions et des cultures.
CYCLES, ORIGINES, INFLUENCES, UNITE DE L'ESPRIT HUMAIN
Chez les races les plus diverses les mêmes traits de littérature orale se retrouvent et correspondent à des réalités communes. Les thèmes qui combinent ces traits en récits construits se retrouvent presque partout. Il est d'ailleurs, à mon avis, impossible de préciser le berceau originel de ces récits. Cosquin, à qui l'on doit tant de recoupements précieux, croyait pouvoir le placer dans les Indes. Ce doit être souvent vrai, mais non toujours, puisque l'on a retrouvé dans les tombes de l'ancienne Egypte des contes bien plus anciens que tous ceux des Indes, et qui continuent à courir le monde sur les lèvres des aïeules à la longue mémoire, qui n'ont certainement pas lu Hérodote ni Maspero.
Certains de ces cycles de contes ont une aire plus étendue. On a relevé pas moins de cinq cents variantes de Cendrillon dans plusieurs continents. Quant au conte de " l'adroit voleur ", dont j'ai recueilli moi-même sans les chercher, quatre variantes arabes ou kabyles, et qui se trouve précisément transcrit par Hérodote au Vme siècle avant Jésus-Christ, il se rencontre dans quatre parties du monde et il est parvenu par l'Est et par l'Ouest sur les deux rives de l'Océan Pacifique, au japon et au Chili.
Cette extension des thèmes implique des rapports très anciens et très fréquents entre populations. Ces rapports peuvent être aussi relativement récents et, à vrai dire, les contaminations continuent à se faire sous nos yeux.
Pour ce qui est de l'Afrique du Nord, le rôle des invasions arabes à partir du VII" siècle de notre ère, dans la dissémination des contes, est incontestable. Beaucoup sont arrivés ainsi au Maghreb par la rive de la Méditerranée, comme ils arrivaient au fond de la Bretagne en passant par les Balkans et l'Italie. Mais les Berbères, au témoignage d'Ibn Khaldoun, possédaient déjà une foule de contes, et le contraire serait étonnant.
Pour ce qui est du folklore kabyle, il est évidemment fortement arabisé, (le même que nombre de contes que l'on recueille actuellement en arabe peuvent être d'origine berbère, les deux séries pouvant d'ailleurs avoir en commun une origine plus lointaine. Il est difficile de faire le tri entre ce qui est oriental ancien, oriental plus récent, autochtone, ou d'affinité occidentale, européenne, ou encore nègre.
On peut tout de même dire en gros que certains groupes de contes comme ceux du genre " Petit Poucet " se rattachent plutôt au folklore occidental, tandis que ceux dont on retrouve l'exemple dans les " Mille et une Nuits " sont plutôt d'obédience orientale et de transmission arabe.
Du premier genre, plutôt " occidental ", nous trouvons en Afrique du Nord, de nombreux contes tantôt du type Petit Poucet, tantôt du type Tom Pouce, voisins entre eux. Les héros portent généralement le nom de Mqidech ou celui de Haddidouan. Mqidech, dernier né d'une nombreuse famille, sauve par son intelligence ses frères souvent ingrats, et les empêche d'être victimes d'une ogresse. Haddidouan lutte seul et, comme pour son plaisir, très sportivement, avec l'ogresse (Ghoula en arabe. Tériel en kabyle). Il lui joue des tours. Il est pris. Il va être mangé. Il réussit à se substituer la fille de son adversaire qui généralement périt dans les flammes avec ses congénères.
D'autres contes, assez nombreux recueillis en Afrique du Nord, tant chez les arabes que chez les berbères, sont plutôt " orientaux " et ont pu être apportés avec les invasions arabes du moyen âge. La chose est claire, quand il s'agit de récits calqués sur ceux qui ont fait leur entrée dans la gran-de littérature écrite avec les Mille et une Nuits vers le Xème siècle.
Voici par exemple un conte kabyle que j'ai recueilli sous le titre El Ghoul Amelloul et sa sœur Hadezzine, et un conte que j'ai trouvé à Fès, sous le titre La conquête de l'Arbre vert. Ils ont des analogues à Blida, à Marrakech. Ils en ont aussi en Egypte, en Grèce, en Italie, en Lorraine, à Troyes, à Madagascar, etc... Ils sont des variantes du conte des Mille et une Nuits intitulé : Les deux sceurs jalouses de leur cadette, dans la traduction Galland, et Farizade au sourire de rose de là traduction Mardrus. On y retrouve les traits des femmes jalouses, des nouveau-nés jetés dans un coffre à la mer, des conseils perfides de la vieille, de. la conquête d'objets merveilleux parmi lesquels l'Oiseau qui révèl, la vérité. Voici encore le conte kabyle que j'ai publié sous le titre : La jinnia du Jebel Waq Waq (La fée de la montagne Waq Waq. Cette montagne légendaire, habitée par les génies et qui joue un grand rôle dans les Mille et une Nuits, s'élève dans une île lointaine qu'on identifie parfois avec Madagascar ,ou Sumatra.), qui suit dans ses grandes lignes l'histoire de Hassan et Bassri des Mille et une Nuits du Dr Mardrus, un des types de contes les plus répandus à peu près dans le monde entier et jusque chez les Algonquins : bain des femmes-oiseaux à la robe de plumes, mariage du héros avec l'une d'elles, séparation, reconquête, poursuite avec métamorphoses..
LE SENS PROFOND DES CONTES
Outre leur valeur esthétique variable et le plaisir qu'ils procurent aux petits et aux grands, l'intérêt des contes est dans ce qu'ils nous transmettent, à leur manière, des traditions primordiales de l'Huinanité.
Ils nous apportent des lumières sur des conceptions primitives en même temps que sur la grande aventure humaine de la réalisation spirituelle. On y trouve des références à des coutumes ethnographiques, à des usages péhistoriques continués parfois jusqu'à nous, comme le tabou nuptial nocturne qui est le nceud du fameux conte de Psyché. On peut y reconnaître avec Saintyves le souvenir de vieilles liturgies populaires saisonnières ou initiatiques, notamment des rites très impressionnants qui marquent chez beaucoup de peuples l'initiation des " classes d'âges " à la puberté. Il n'est pas difficile de reconnaître dans les génies, les ogres, les animaux redoutables ou secourables , les personnages liturgiques, grotesques, ou terrifiants, qui prennent part aujourd'hui encore à ces initiations, imposent aux novices des épreuves parfois cruelles, leur font la leçon, les initient aux mystères de la forêt, de la brousse et" aux mythes.
Ne peut-on faire un pas de plus ? Les rites de passage des ethnographes ne sont en somme qu'une partie des rites initiatiques. Il y a des initiations d'ordre métaphysique et mystique qui dépassent la catégorie des classes d'âges tout en ayant en commun avec elles le grand rituel fondamental de mort et de résurrection que l'on retrouve à satiété dans les contes populaires sous forme de dépècement, d'avalement par un monstre ou un animal, de métamorphose, de sommeil, de palais souterrains, de lacs, de forêts, de mers... René Guénomr écrit : " Le peuple conserve les débris des traditions anciennes. Il remplit en cela la fonction d'une sorte de mémoire collective plus ou moins subconsciente dont le coin tenu est manifestement venu d'ailleurs. Ce qui peut sembler le plus étonnant c'est que, lorsqu'on va au fond des choses, on constate que ce qui est ainsi conservé contient surtout, sous une forme plus ou moins voilée, une somme considérable de données d'ordre ésotérique... "
" Le mythe, dit Frobenius, trouve sa cristallisation populaire dans le conte correspondant... Dans la caste des prêtres s'est conservée une partie de la sagesse suprême d'une culture depuis longtemps disparue dans sa pureté,-alors que dans le peuple, le mythe grandiose a donné naissance à une délicate création poétique ".
C'est en ce sens, dit encore le grand critique d'art Ananda Coomaraswamy, que " le savoir du peuple est réellement la parole de Dieu ". " Vox populi, vox dei ". Et un autre disciple de René Guénon,M. Lebasquais retrouve dans les contes populaires le surnaturel à l'état pur, l'histoire de la progression spirituelle, malgré tous les obstacles, avec l'aide des forces bénéfiques, c'est-à-dire le processus figuré du travail initiatique, la conquête de la connaissance, la réalisation (les états supérieurs (le l'être.
Cela ne doit pas nous étonner. Les combats stylisés du jour et de la nuit, du printemps et de l'hiver on de l'Automne et de l'Eté selon les climats, de la vie et de la mort, les renouveaux de la végétation dans la nature ou de la grâce clans les coeurs, tout cela se correspond sur les divers registres du Cosmos.
SOUVENIRS DE L'ANTIQUE EGYPTE
De nombreux contes berbères ou arabes d'Algérie et du Maroc, nous reportent à l'Egypte ancienne et aux mystères fameux d'Isis.
Déjà, nous l'avons vu, le conte de l'Adroit Voleur n'est autre que l'histoire du Pharaon Rhampsinite. transcrite par Hérodote au deuxième livre de ses histoires. Un voleur pille le trésor royal ; son complice se fait prendre à un piège et demande qu'il lui coupe la tête pour ne pas être reconnu (les stratagèmes audacieux permettent à laa mère du mort de le pleurer et de lui rendre les derniers devoirs ; puis le voleur accomplit d'autres exploits ; ayant trop parlé dans l'ivresse, il manque de se faire prendre par le roi qui lui fait une marque dans son sommeil pour le reconnaître, il fait la tuénie marque à tous les invités du banquet ; émerveillé de tant d'audace et de brio, le souverain lui donne sa fille en mariage.
L'analyse (les différentes versions d'une dizaine écrites depuis le XIè siècle et une vingtaine orales recueillies en Afrique du Nord, en Europe, en Sibérie, à Ceylan. au japon et jusqu'au Chili) nous montre que le récit d'Hérodote, déjà lui-même incomplet et altéré, ne peut être à l'origine de toutes et a dû être emprunté à la tradition populaire.
Il nous faut maintenant résumer la légende d'Osiris et d'Isis, ainsi que certains éléments du rituel des mystères d'Osiris encore en vigueur au temps d'l-Iérodote au V` siècle avant dans la mesure oit nous pouvons les entrevoir malgré le " silence religieux " observé sur l'essentiel par les, initiés.
Après avoir civilisé les hommes en leur enseignant l'agriculture, les lois, la piété, la musique, Osiris, l'Erre-Bon, est victime d'une trahison. Seth-Typhon, qui s'est procuré secrètement la mesure (le sa taille et a fait faire un coffre (le cette dimension, invite Osiris à un banquet et offre le coffre à celui qui tiendra exactement dedans. Quand Osiris s'y couche. Seth referme le coffre et le jette au fleuve. Le coffre gagne la mer, arrive à Byblos, se fixe dans la ramure d'un arbre, qui devient si beau que le roi du pays en fait nue colonne de son palais. Isis, scnur et épouse d'Osiris, part éplorée à sa recherche, arrive à Byblos déguisée en pauvresse, entre au service des souverains comme nourrice de leur petit enfant. Elle allaite celui-ci en lui mettant un doigt dans la bouche. I,a nuit elle passe aux flammes purificatrices les parties périssables du corps du nourrisson. La reine s'en effraye, et prive ainsi son fils de l'immortalité. La déesse se fait alors reconnaître. réclame le cercueil de son époux qu'on retrouve dans l'arbre et qu'elle emporte. Seth-Typhon découvre un jour le cadavre et le déchire en quatorze morceaux qu'il disperse. Avec Thot l'ibis et Anubis le Chacal, Isis va à la recherche des morceaux qu'elle retrouve tous, sauf le phallus qui a été mangé par le poisson oxvhrynque. Isis rassemble les fragments du corps ; par ses rites et ses incantations. assistée de Thot, d'Anubis, de Nephtys sa sueur, du Vautour et du serpent Uréus, elle en forme un corps impérissable. découvre le remède contre la mort, la recette d'éternité dont pourront désormais profiter tous les hommes. Son fils Horus triomphe de Seth, l'amène enchaîné à Isis. Celle-ci le délivre, car il convient qu'en ce monde, contingent, le mal ne soit pas complètement éliminé et donne au bien l'occasion de se produire. à l'esprit d'acquérir sa plénitude par l'épreuve. Horus furieux décapite sa mère, à laquelle Thot-Hermès donne suie tête (le vache, ou, dans une version atténuée, arrache à la déesse sa couronne, que Tl'hot remplace par un casque à cornes de vaches.
La passion et la résurrection d'Osiris, garanties du salut pour ses fidèles, étaient mimées svmnoliquement dans les offices quotidiens (les temples et faisaient à certaines grandes fêtes l'objet de drames sacrés auxquels participaient les foules enthousiastes. Les papyrus nous donnent vies détails. sur ces rites : démembrements et reconstitution du corps, ouverture (le la bouche et des yeux, quête éplorée d'Isis, ensevelissement de statuettes d'argile semées (le graines, officiants aux masques divins, libations, lustrations, fumigations, processions, jeux nautiques, érection dit pilier zed, sacrifices d'animaux (le la peau desquels, en rite (le renaissance, résurgissait l'officiant ou la statue de Dieu, coffre sacré dans lequel on mettait de l'eau du Nil et une figurine en demi-lune et que l'on confiait aux flots.
Quant aux mystères d'Isis, si en vogue dans l'empire romain, nous en connaissons (le nombreux détails ,race à Apulée de Madaure. aujourd'hui Mdaourouch, département de Constantine. Le héros de son Ane d'Or (IIè), Lucius, métamorphosé en âne par une opération magique prématurée et maladroite, est délivré parfila grâce d'Isis, déesse multifôrme, " mère de toutes choses, dominatrice des éléments, source première des générations ", il est initié aux mystères et devient lui-même prêtre (le la déesse. Apulée décrit une procession d'isiaques, pour la fête du Printemps, avec le cortège porteur des statues et de, symboles et le lancement d'un navire àà la mer. La fête d'Automne évoquait la mort et la résurrection d'Osiris : on devait y minier son assassinat. le coffre à la mer, le voyage éperdu d'Tsis, le rassemblement des quartiers du corps et la revivification de celui-ci. Apulée décrit aussi le, cérémonies (le l'initiation. Après un régime de jeûne et d'abstinences. Lucius reçoit un baptême purificateur et est entrainé au plus profond du sanctuaire. De ce qui se passe alors, il ne peut dire que ceci : "J'ai approché des confins de la mort et après avoir foulé le seuil de Proserpine, j'en revins transporté au travers de tous les éléments. Au milieu de la nuit, j'ai vu le soleil resplendissant, les dieux infernaux et les dieux célestes, j'ai pu contempler leur face et c'est de près que je les ai adorés. "
Qu'il s'agisse d'un enseignement figuré ou trimé, ou d'une suggestion hypnotique ou (le tout cela à la fois, l'impression reçue était profonde et laissait une joie, une sérénité ineffable. Mort et relié -orante le dieu, l'initié était rassuré contre les affres de la mort. e Nous connaissons enfin les raisons le vivre, dit Ciceron dans le De legibus, Il, 14 : non, n'avons pas seulement l'allégresse de vivre mais un meilleur espoir dans la mort.
Nous allons retrouver nombre de ces détails dans des contes arabes et berbères du Maghreb, qui ii d'ailleurs presque toujours leurs correspondants dans les folklores européens et asiatiques.
Dans le conte kabyle dont nous avons parlé, El Ghoul Amelloul. du cycle de la Farizade des Mille une Nuits, nous voyons à la fois le coffre à la mer, l'allaitement par le doigt, le dépècement dubncorps, sa reconstitution moins un membre et sa résurrection, ce qui constitue une séquence assez saisissante.
Une femme jalouse fait jeter à la mer un coffre contenant les enfants de sa rivale, un garçon et une fille, qu'un pêcheur trouve sains et saufs, le petit doigt de l'un dans la bouche de l'autre. Ayant grandi et prospéré, les enfants sont reconnus par la vieille sage-femme méchante qui avait cru les perdre. Le garçon est envoyé par elle à la conquête d'objets merveilleux et échappe miraculeusement à tous les dangers. Il conquiert même la fille du roi de Ghouls malgré les épreuves et les tâches en apparence impossibles que lui impose le père de celle-ci. Pour triompher d'une des épreuves, il doit, selon les indications de la fille elle-même, couper celle-ci en morceaux, se servir de ces derniers comme de marches collées à un rocher inaccessible, mettre les os dans un sac. Quand il ouvre ce sac, El Ghoul Amelloul en voit sortir la jeune fille intacte, sauf l'orteil d'un pied qui a été perdu. L'orteil est pudiquement à la place du phallus, mais Freud et Jung nous ont averti de l'équivalence psychanalytique. Une variante, La Fille de l'Ogre, recueillie par Frobenius, précise que les morceaux du cadavre dépecé sont rassemblés, ressoudés, et revivifiés par un liquide - comme le cadavre d'Osiris. Le rôle du doigt n'est pas précisé dans notre conte. Mais la comparaison des versions ne permet pas d'en douter. Une légende javanaise parle d'un prince jeté à la mer, recueilli par une dame dont il suce le sein un jour pour devenir son fils de lait. Une légende hindoue parle d'une boule de chair mise au monde par une reine de Vaïssali et d'où sortent mille enfants qui reconnaissent leur mère à ce que mille jets de lait jaillissent de ses seins vers leurs bouches. Dans un livre boudhiste écrit à Ceylan, au XIII' siècle, une reine met au monde une boule de chair, qui, jetée à la mer dans un coffre et recueillie par un ascète, se scinde en deux enfants qui se sucent mutuellement les doigts pour en tirer du lait. Un des héros du Mahabharata, né de la cuisse d'un roi, est allaité par le pouce du dieu Indra. Dans un conte de Goujerate, le pauvre homme qui a recueilli les enfants jetés à la mer dans le coffre, les allaite en mettant son doigt dans leur bouche.
Le coffre de ce conte est utilisé par la femme jalouse et sa complice pour se débarrasser des enfants de sa rivale, et perdre celle-ci. Un autre conte kabyle, Le Hachâïchi qui devint Sultan (Le Hachâïchi, fumeur de hachich, personnage héroï- comique du folklore maghrébin, est un "bon à rien " qui réussit paradoxalement et merveilleusement en dépit de tout et de lui-même), d'un tout autre sujet, mais où il y a aussi une femme à la recherche de son mari, nous montre un roi, qui, pour punir sa fille séduite par la musique magique du héros, fait faire un coffre et demande à sa fille, exactement comme Seth à Osiris, de se coucher dedans pour voir s'il est bien à sa mesure ; puis il rabat le couvercle et fait jeter le coffre à la nier.
Un des traits les moins curieux de la légende d'Isis n'est pas le dernier, celui où Horus décapite sa mère qui a délivré Seth vaincu. Ce trait, nous le trouvons, avec toute son horreur, dans un autre conte maghrébin, à côté encore du cadavre dépecé et revivifié. Un fils sauve sa mère de la mort, l'installe dans la maison des ogres, qu'il a tués et jetés dans un silo ; mais le septième ogre, le roi, n'est pas tout à fait mort ; la mère le découvre, le guérit, s'éprend de lui, lui fait tuer son fils qui, avant de mourir, demande en grâce que son cadavre dépecé soit mis sur le dos de son cheval libre d'aller où il voudra. Le cheval va chez une ogresse, amie du garçon, qui rassemble les morceaux du corps, les ressoude avec un onguent (comme Isis rassemble les quatorze morceaux du cadavre de son époux) et redonne la vie à ce corps reconstitué en approchant une herbe de ses narines (comme Horus approche de la bouche de son père la tête et le cœur des victimes en lui disant : " Ton âme est dedans"). Le garçon, ressuscité, est soigné par l'ogresse et reprend des forces. Il tue sa mère.
LE MYTHE DE PSYCHE
Quant à l'histoire d'Eros et Psyché, conte de bonne femme, recueilli par Apulée et placé par lui au cceur même des métamorphoses de l'Ane d'Or qui viennent de nous donner les renseignements les plus précieux sur les initiations du ii' siècle, des remarquables variantes s'en retrouvent dans le folklore du Maghreb comme dans ceux d'Europe, d'Asie et d'Amérique, avec des tabous matrimoniaux, et un aspect métaphysique et mystique. On pourrait plutôt le rapprocher des mystères d'Eleusis, comme l'indiquent les monuments antiques représentant les épreuves purificatrices imposées par l'Amour à l'âme-papillon (psuche) et un célèbre passage du Phèdre de Platon sur le salut de l'âme par l'Amour qui lui rend ses ailes et lui fait retrouver le chemin de sa véritable patrie. Mais les mystères de la Grèce ancienne et ceux de l'Egypte hellénistique ne sont pas sans relations. Ils doivent même se référer à un fond commun. Justement, les variantes principales du thème au Maghreb nous reportent à la légende d'Isis. L'héroïne, mariée à l'époux surnaturel qui la visite la nuit, est séparée de lui tantôt par la violation d'un tabou, tantôt par la trahison de sa famille. Dans ce dernier cas, l'époux est grièvement blessé, l'héroïne part à sa recherche et réussit à le guérir par des procédés magiques indiqués par des animaux secourables, comme Isis guérit Osiris de la mort avec ses passes magnétiques, ses incantations et ses onguents, avec l'aide de l'Ibis Thot, du chacal Anubis, du vautour et de l'Uréus. Ou bien l'époux mystérieux ensorcelé et condamné, comme Adonis et Perséphone, à passer une partie de l'année dans le monde souterrain, est délivré par l'héroïne après toutes sortes d'épreuves et de rites. Et pour nous rappeler qu'il s'agit bien, comme le dit Diodore d'Isis, d'un remède pour guérir de la mort, nous entendons l'un des héros parler du fond du sommeil où le plonge périodiquement son destin : " Celle qui me fera renaître à la vie, je la ferai renaître à la vie. "
Emile DERMENGHEM.