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 Contribution de Magali Lacombe

Réflexions sur les enjeux et sur les conséquences de l'édition de la littérature orale.

Les outils de collecte en littérature orale :
Lorsque je collectais des informations en tant qu'étudiante en DEA d'anthropologie, je possédais un vieux magnétophone cassette classique, c'était « la galère ». Difficile d'utilisation, il fallait régulièrement changer les bandes, aller en acheter, ne pas se tromper de bandes si j'étais sur plusieurs terrains...

Puis en cours d'année est apparue la clef USB port MP3 où en plus de stocker des documents, photos...., je pouvais enregistrer avec un son très correct des entretiens, avec un logiciel adapté. Je pouvais moduler le son et couper les bruits de fond : chose que je ne pouvais pas faire avec le magnétophone.

Puis l'ordinateur portable est devenu abordable et avec un microphone, voire avec le microphone et la caméra intégrés, la collecte était beaucoup plus aisée et armée. De nos jours, certains smartphones peuvent aussi réaliser ce genre de tâche.

De temps en temps persistaient quelques difficultés techniques liées à ces nouvelles technologies; mais à priori pas plus que la bande du magnéto qui s'enroule en fin d'entretien...

Ces outils ont leur incidence sur la production, plus ils sont discrets moins l'observation semble « armée ». La clef MP3 (pardon maintenant d'autres truc en « pods »...) posée sur un coin de table s'oublie très vite. L'ordinateur portable s'il n’excède pas la taille d'un livre ou d'une tablette, s 'oublie aussi très vite et la personne qui parle peut plus facilement parler et argumenter ce qu'elle a à dire. Elle se sent plus à l'aise, moins angoissée par des gadgets technologiques proéminents de type microphone. A savoir aussi que certaines personnes que j'ai enregistrées avec des microphones se prenaient parfois pour des stars et m'inventaient de belles histoires qui n'avaient rien à voir avec mon sujet d'étude.

Les mensonges ou les menteries (pour reprendre le terme utilisé par Jocelyne Bonnet-Carbonnel) donnés à l'anthropologue que j'étais, disparaissaient au profit d'explications précises ou de menteries dont le sens social est dévoilé. Je l'interprète ainsi, ils me prenaient moins pour « une bleue » ou une inconnue car la clef USB est transparente.

De nos jours avec les jeunes générations (car il m'est arrivée d'enquêter avec des jeunes en Guyane française), un nouveau phénomène se crée avec les technologies. J'ai accompagné des jeunes de terminale L qui se préparaient à « Sciences Politiques » dans le cadre d'un projet atelier histoire au CDI. On avait réalisé une enquête sur la ville de Saint-Laurent-du-Maroni pour ensuite réaliser un site web fictif.

J'étais un peu ridicule avec ma clef USB...les jeunes sont tous connectés, leurs portables multifonctions enregistraient tout, ils se prenaient en photo, enregistraient un oral ou filmaient tout, la mamie qui fait du cachiri, le tonton qui répare les voitures, les habits de carnaval....

Même à Apatou où le réseau passait mal, ils se filmaient se « réseau sociautaient», se pokaient, se « bippaient ». Le portable est devenu un moyen de tout sauvegarder et d'envoyer. Cela va des « fails » comme ils appellent (échecs) comme les réussites de leur initiation, les bagarres, les danses, leurs chansons.

En gros, ils s'auto-sauvegardent tellement que, quand je leur ait dit que le travail d'un ethnologue était en partie de sauvegarder les mémoires, ils se sont mis à rire et à me dire « madame, il est où le bouton ? t'as un téléphone dans la tête ? »...

L'anthropologue devrait apprendre à composer avec ces nouvelles technologies de recueil . La tâche est à la fois facilitée, mais aussi rendue complexe, le piège serait d'enregistrer des passages de vie sans contextualiser .

En terme d'édition de la littérature orale dans laquelle je comprends les récits de vie, il me semble que cet apport technologique nous fait dépasser le format « livre » et que le numérique personnel peut-être ajouté à des recherches comme preuves. Et qu'une approche innovante serait peut-être de coupler support DVD et ouvrages écrits numériques.



Le passage de l'oral à l'écrit

Premier questionnement :

Dans la question de passer à l'écrit il y a le terme passage, un passage cela se relie aux rites, comme l'indique Van Gennep, un « rite de passage » qui se joue en trois étapes : préliminaire (que vais-je écrire?), liminaire (l'écriture en elle-même) et post-liminaire (la correction, la standardisation). Même si cette affirmation apparaît comme un truisme, une évidence.

Ceci peut nous aider à comprendre le sens de notre démarche qui est de se questionner sur la littérature orale et son édition.

Le passage cela signifie qu'on est dans la transition. Être dans la transition, cela veut dire entre deux états « sacré -profane », « non accompli-accompli ». Être entre deux états c'est le propre du processus de création, l'écriture est création. Si on considère cette idée de « liminarité », de seuil à franchir pour écrire, cela implique le fait qu'on peut supposer qu'il y a un « risque » pensé ou réel à prendre.

Et là, entre en scène un paradoxe assez consistant en ce qui concerne l'édition : comment écrire l'histoire orale de quelqu'un d'autre sans savoir réellement ce que cette personne avait dans la tête à ce moment-là et sans être à la place de cette personne ?

Un risque, car entre ce que l'on pense et ce que l'on écrit il y a toujours un fossé de significations. La preuve.... est illustrée par le paragraphe précédent. (Humour).


Deuxième questionnement :

En ce qui concerne le passage à l'écrit, je vais exposer un sujet technique lié aux nouvelles technologies mais qui peut avoir sa portée en terme de déontologie.

Il existe depuis longtemps des logiciels d'aide à la transcription de l'oral à l'écrit multifonction. ils facilitent le travail en réduisant le temps de saisie. On peut ralentir le discours, l’accélérer, faire pause à tout moment avec un clic ou une pédale à pied.

On trouve aussi de nombreux logiciels qui permettent de fixer quasi instantanément l'oral enregistré en écrit, que le fichier soit issu d'une vidéo ou d'un enregistrement .

Le filtre de la personne qui récolte peut être totalement enlevé. Il n'y a plus de filtre « personne humaine » qui va remettre en forme le discours, l'ordinateur s'en charge pour vous avec l'option dictionnaire.

On peut faire cela sur un ordinateur avec les logiciels de transcription des données. Le prix reste raisonnable mais je ne fais pas d'éloge de ce logiciel pour le vendre. Mais pour l'avoir vu fonctionner, on a l'impression que c'est quelque chose de magique à première vue.

On peut aussi le faire à partir de son téléphone portable (actuellement les capacités sont limités à une demi heure d'enregistrement). D'ici quelques années ces technologies remplaceront le transcripteur qui deviendra à priori un « relecteur », un peu comme la caméra vidéo qui a remplacé l'ethnologue, et a permis ce que l'on appelle une « observation armée ».

En fait peut-être pas car j'ai relevé un bug à ces programmes, prenant la tablette et le logiciel dernière génération de mon beau frère qui vit à Paris....et qui donc a un accent très correct très français, très parisien.

Voyant qu'elle ne voulait pas écrire un numéro de téléphone dicté avec mon accent biterrois j'ai décidé de pousser la machine dans ses retranchements. J'ai commencé à parler francitan (mélange d'occitan et de français ) puis histoire de bien le faire bugguer j'ai parlé avec un accent de Carcassonne qui « roule les R » puis j'ai fait parler ma belle-mère avec son accent kabyle. Je vous laisse imaginer la réaction de la pauvre machine.

Elle me sortait tout plein de mots en français mais, bien sûr, n'en trouvait aucun et puis « escamper », « mongettes » la tablette elle met « estamper », « montagnette » « macarel », elle comprend « Marcel. »... Bref le multiculturel, la tablette ne comprend pas à moins de rentrer les données en option, mais « accent du sud lourd» n'existe pas et le « piche con » elle ne comprend pas que c'est de la ponctuation.

Finalement une technologie restera toujours une technologie, c'est-à-dire quelque chose de voué à péricliter, ce qui dans dix ans, ne mènera nulle part, tellement ça sera vieux...comme le magnétoscope par exemple.... De plus, même avec ces programmes le transcripteur et le filtre humain sont obligés d'être présents, au moins pour les « macarels », …. et les néologismes qui font que notre langue évolue.

La place de chacun

Je me souviens que lorsque je récoltais des dires concernant le rapport à l'écriture pour des femmes immigrées, la question de la place de la personne qui recueille était importante, l'image de l'instruit, et qui plus est d'une femme instruite, mettait à distance les plus peureuses. Une fois la confiance établie, la demande de ces dames était : « Surtout tu mets pas mon nom ! Tu nous prend pas en photos, on veut rester anonymes ».

Mais que ne voulaient-elles pas ? Était-ce un fait religieux? Est-ce interdit par le Coran d' être sur un blog en train d'apprendre la langue de son pays d'accueil ? Non ce n'était pas ça, elles ne voulaient pas que je les photographie ou que je note leur nom pour ne pas que les autres les voient car certaines venaient en cachette pendant que les enfants étaient à l'école. D'autres étaient déposées « en douce » par leur maris. Elles avaient honte de ne pas savoir lire, elles ne voulaient pas que toutes les femmes du quartier dans lequel elles vivaient soient au courant.

L'anonymat allait de soi, je leur avais garanti, mais si, à l'époque, j'avais voulu ou pu par exemple éditer un livre à large diffusion concernant mon enquête comment auraient-elles réagi ?

Cela, je l'ai su quand une chroniqueuse et écrivain célèbre est rentrée dans la cour de l'association où j'enquêtais. Sachant qu'elle écrivait des livres ces femmes lui ont parlé je les ai écoutées mais elles parlaient faux, elles forçaient sur les clichés.

En ce qui concernait la question de venir apprendre à lire, ces dames avaient raconté à l'écrivaine que si elles venaient en cachette c'était par pur fait religieux.

Elles-mêmes me l'ont dit un jour avant de commencer un entretien, j'ai dans un enregistrement « toi t'y est pas comme la dame ? Hein ? tu vas pas nous mettre dans un livre, on a vu que tu étais vraiment là pour nous aider... alors je veux bien te parler mais à toi, je vais te parler vrai».

Il y a donc un premier aspect sur le recueil même de données... à méditer.

Après il y a un deuxième aspect lorsqu'on écrit l'oral ce qui est un vrai casse tête chinois lorsqu'on a quelqu’un qui maîtrise tout juste la langue, ou qui est à cheval entre plusieurs langues. Il faut reconstruire l'écrit sans dénaturer les propos. Reconstruire pour que l'écrit semble être un oral quand on le lit. A savoir que l'oral n'est pas construit comme l'écrit, il va du coq-à-l'âne en passant parfois par la Lozère...

Et l'écrit ne doit pas dégrader l'image de la personne, on doit y retrouver son intelligence, sa « fluidité verbale » comme disent les psychologues. Cela m'est arrivé de retranscrire même pour des consultations psy des écrits qui n'avaient rien à voir avec l'instant passé avec la personne rencontrée. Les gestes et mimiques apportaient beaucoup de sens alors que les formulations à l'écrit paraissaient décousues pourtant en face-à-face. Il n'en paraissait rien.

Le passage à l'écrit comporte donc des pertes auxquelles il faut faire face en retranscriptions et donc aussi en édition.

Où pour vous donner une image construite pour que ça rentre dans la case on y va au « burin ». Certains ont la finesse mais d'autres quitte à ce qu'on laisse des passages significatifs ou des bouts de contexte tant que ça passe.....

En plus il faut que ça plaise au lecteur, au lecteur « consommateur », voire dévoreur de livres.

La mère de famille par exemple ne choisira pas certains contes pour ses enfants pensant qu'ils ne sont pas assez corrects ou trop violents.

J'ai une édition éditée en chine du petit chaperon rouge, le loup ne meurt même pas et à la fin le loup devient copain avec le bûcheron.... No comment. Comment apprendre à nos enfants à maîtriser leurs peurs dans ce cas ? Comment leur apprendre le sentiment d'ambivalence face au risque et à la peur qui caractérisent l'apprentissage de la peur et la gestion des sentiments ?

Standardisation des écrits de la culture et les enfants iso 2000 c'est pour quand ?


Du non fixé au fixé, de l'immatériel au matériel.

Lorsque je reçois une personne en suivi ou en accompagnement je peux travailler sur son chemin de vie à partir de la vérité biographique qu'elle me raconte c'est-à-dire sa propre vérité, pas la vérité vraie.

Cette vérité, ce récit n'est pas fixé et est sujet à de nombreuses transformations en fonction de l'humeur, et de nombreux paramètres.

Je pense qu'en terme de recueil de littérature orale de type récit de vie, il en va de même. On garde ce que l'on appelle « la trame de transcription» d'entretien .

Contrairement au théâtre où le texte n'est pas fixé. La rencontre n'est pas fixée et peut donner des discussions créatives aux versions et réactions totalement différentes, même si on fait passer plusieurs fois le même entretien. Le sens est le même mais le contenu est différent.

Mettre à l'écrit cela signifie fixer, standardiser, pour donner une base de récit. Cette base une fois éditée va être archivée quelque part dans une base de données catégorisée, rangée, rendue plus ou moins publique. Par exemple des archives, une bibliothèque.... (B. Lahire).. Ces textes vont plus ou moins influencer la personne qui les choisit (ou à qui l'on impose) qui les lit, qui les interprète. Cette interprétation peut-être commune à plusieurs personnes ce qui va donner un groupe social qui va lui-même écrire un livre à propos de ce texte en prenant les significations qu'il désire, livre qui lui-même va être archivé et va peut-être influencer d'autres groupes et ainsi de suite. Le principe de l'écrit est conservé et permet une diffusion des idées dans l'espace et dans le temps.

Dans l'espace entre diverses cultures où la traduction du texte, un autre souci en plus de l'édition va se poser.

L'écrit lui peut dater d'il y a 3000 ans il aura donc une forme standardisée d'il y a 3000 ans. Les idées passent les barrières du temps.

L'édition permet ce renouvellement de texte parfois ancien, réinscrit mot pour mot ou remis au goût du jour. Mais les idées ne sont plus les mêmes car changées avec le sens des mots dans l'histoire. Les idées s'érodent dans le temps et pour les comprendre il faut contextualiser par exemple : essayer de lire un viel ouvrage sans contextualiser, ce n'est pas évident.

L'oralité est différente de l'écrit car elle est plus libre, elle est de l'instant où l'on parle. Elle « s'évapore ».

Mais dans l'écrit n'y a-t-il pas une sorte de survivance de l'oral avec des mécanismes semblables mais à une échelle temporelle plus prononcée ? Ne peut-on pas voir dans l'écrit un « oral » sociétal ?

Jack Goody dans un de ses ouvrages parle de la transmission de l'oral qui passe par une trame mnésique des données, liée au rythme de la parole à apprendre. L'élève qui apprend de manière orale n'apprend pas vraiment par cœur, il apprend des « balises », à marquer des repères mnésiques (répétitions....) qui lui permettent par la suite de posséder par cœur l'oral à transmettre. Ainsi l'oral passe au travers de plusieurs générations.

Le texte est une « balise » qui nous permet d'éviter d'avoir recours à nos ancêtres, ou à nos voisins de culture.

Ce texte « balise » standard connaît des évolutions et est souvent remis au goût du lecteur consommateur, ou pour en faciliter la compréhension. Par exemple des modifications d'histoires comme le petit chaperon rouge, pour le rendre plus politiquement correct comme nous disait Tristan Landry. Les versions changent et s’amenuisent en violence en fonction des époques par exemple.

A savoir aussi que le lecteur pourra toujours s'il est un peu créatif arranger « à sa sauce » la version écrite si cela ne lui convient pas.

Le lecteur peut lire « en diagonale » et ne pas prendre toutes les significations du texte au pied de la lettre. Le texte peut aussi le marquer à vie, l'aider à se construire....

Le texte on en prend et on en laisse : un peu comme l'oral.

L'oral c'est une production de l'instant qu'on peut peut-être immortaliser avec une caméra puis stocker en DVD ou tout autre format d'enregistrement numérique. L'oral il passe toutes les frontières de l'espace-temps tout en changeant et en restant identique.

L'écrit reste écrit, il ne fait pas de bruit, il se cache dans les archives et de nos jours avec internet il passe de mieux en mieux les barrières de l'espace et du temps.


Les deux formats véhiculent des idées chacun à leur manière, l'un passe par l'être humain « ici et maintenant », l'autre passe par un média de type feuille de papier, mais aussi ordinateur avec les livres numériques...

Avec le web, le livre ne devient-il pas une forme d'oralité ?

Jack Goody pense qu'il y a de l’écrit dans de l’oral et de l'oral dans de l'écrit. L'un ne va pas sans l'autre dans les sociétés modernes où la maîtrise de l'écrit concerne 90% de la population.

Donc l'édition d'un texte oral, d'un conte, d'une biographie, d'une ethnobiograhie de terrain va fixer des idées qui voyageront en parallèle à la forme orale.

Sur le long terme, il faut envisager que les données collectées visuellement soient visibles 50 ou 60 ans plus tard par des générations de conteurs ou par les chercheurs en sciences humaines. De nombreuses perspectives de collectes sont envisageables. J’entends par là.....faire de la conservation de patrimoine culturel.

Le CMLO en conservant toutes ces vidéos orales et en les sauvegardant sur un disque dur pourrait à très long terme ressembler au site INA.fr (pourquoi pas?). Site recensant toutes les émissions de télévision mais aussi des témoignages et productions orales, depuis les années 50 ? Des éditeurs mais aussi des chercheurs et des artistes viendraient peut-être à long terme se servir de cette base de données pour réaliser des ouvrages ou comprendre comment fonctionnait la littérature orale avant.

    

  

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