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|  | |  | | Paroles sources ? Paroles Magiques ? ou à la naissance du conte par Georges Gros
Suite du n°2
III-Imitation, répétition ou rêverie continues ?
Jacques Lacroix, présentant ses " Contes du Languedoc", dit de ceux-ci
qu'il s'agit d'un discours qui enseigne les savoirs, d'une formation
communautaire, d'une activité ludique. Dans cette présence foisonnante
actuelle du conte -au moins du conte fantastique ou merveilleux : celui
des albums, dessins animés et autres images accompagnées de sons, que
reste-t-il des trois données de ce discours sinon l'activité de jeu?
Rien de surprenant dans une société de plus en plus ludique . Le
passage au laminoir du stéréotype qui, ne gardant du conte que le
squelette d'une structure universelle depuis longtemps analysée par
Propp, le vide de tout enracinement dans une re-création populaire,
fabrique et transmet des formes vides où l'on retrouve les mêmes héros
aux quatre coins du monde . Je l'ai déjà vu en 1965 au Gabon où les
enfants jouaient aux cow-boys et aux indiens du grand mythe
cinématograaphique américain.
Alors reprendre pieusement les récits, légendes, fatorgas de nos
anciens pour les transmettre en lieux et formes ? Bien sûr . Encore
faudrait-il gagner l'oubli de vitesse . Encore faudrait-il connaître
les savoirs transmis . Encore faudrait-il qu'ils soient de quelque
utilité, ces savoirs, dans une société qui change si vite.
Mais il est vrai que demeurent bien des lieux, des choses des êtres
spécifiques de notre environnement (et, note de 1997, que la prise de
conscience de l'importance de notre relation à celui-ci ne cesse de
grandir) . Il est vrai aussi qu'ils peuvent être les éléments non d'une
redite, mais d'une création continuée.
Si J.N Pelen en parlant des" nouveaux conteurs" pense surtout aux
précieux continuateurs actuels de la tradition, ceux que j'appellerais
donc les ra-conteurs ; s'il les décrit avec perspicacité comme des
célébrateurs d'identité devant un public qui n'a plus rien à voir avec
celui des laborieuses veillées de jadis, il n'envisage que
sommairement, me semble-t-il, la place des re-créateurs. Le moment est
sans doute venu d'en dire un mot et de retrouver précisemment leurs
sources dans la "PAROLE", parole occitane, cela va sans dire dans mon
cas . Mais pourquoi ne pas citer deux brefs extraits qui illustrent
l'universalité de la remarque de P. Jakez Hélias, mise en exergue d'un
Festival du conte :
"Un conteur n'est pas seulement celui qui transmet les contes, c'est d'abord celui qui les trouve..."
Et cette remarque de Michel Cournot dans le Monde, en 1985 :
"Shems Nadir, par exemple, rajeunit le conte de Samarkande...mais il
raconte aussi la disparition de la "Boîte aux merveilles" de son
village...IV - Au gîte dela parole : dans la grotte des trésors
Mon cheminement fut long et me conduisit loin. Ecrivain de contes
recueillis auprès d'enfants en Afrique, écrivain de contes à lire pour
d'autres enfants, co-écrivain de contes en oc avec des groupes
d'enfants d'ici, je finis un jour par me trouver dans le rôle de
conteur authentique, c'est à dire celui du "papet" qui invente pour ses
petits enfants. Comme ma propre mère inventait ses histoires pour ses
petites filles, j'inventai les miennes "a l'asard Baltazar" en donnant
ma propre enfance et ses rêves comme réponse à la demande enfantine.
Le premier conte qui naquit fut : "le battoir perdu" éclos sans doute
sous la poussée de ce "fatum"auquel je faisais allusion. Comme les
autres, il est situé sur les lieux de mon enfance : La Placette, vieux
quartier de Nîmes qui reçut depuis quelques années les visites de
France Culture ou de la Télévision, en raison de ses marques
spécifiques. C'est du vieux puits de la maison paternelle, du coin de
la cour, que monta la Roumeque, le monstre puissant niché dans sa
grotte dont les enfants ne devraient jamais s'approcher. Peurs
d'enfance, savoirs d'enfance.
Dans son livre "Nanni Monsur", Robert Lafont écrivit : "Sidi nascut
dins de pélhas de lenga"Je suis né dans les haillons de langue. Je fus
plus chanceux que lui car j'ai vécu souvent, tout près de ma ville,
dans ma famille campagnarde, dans un environnement d'occitan parlé.
Mais, en ce qui concerne Nîmes, la formule de Lafont reste forte. Et,
faute de légendes, sornettes et autres contes - serait-ce le résultat
du protestantisme familial et nîmois ?- la mamet Berget qui me gardait
ne me laissa que les noms de quelques êtres et de la nuit(1)
protecteurs à la fois, comme tous les épouvantails. Et le petit garçon
du Battoir perdu voyagea de la Racamiaule à la Baragogne et à Carafoli,
jusqu'à la grotte de la Roumèque, sous les eaux de la Font, la
source-mère, Font de Nîmes comme il se doit.. "O Romeca, Maire deis
Aigas, tu mestressa dei pantais ' Toi, Roumèque, Mère des eaux, toi,
maîtresse des rêveries... devint un jour une chanson du groupe Masc,
jeunes musiciens rêveurs eux aussi.
Et de cette Roumèque d'épouvante, je devais, devant tant de questions
posées, chercher, heureusement logtemps plus tard, les origines
possibles, dans les richesses de la langue d'oc. Dans cette quête
personnelle et subjective , je découvris aussi une liberté neuve :
celle de toutes les explications fantaisistes, ou moins, rencontrées ça
et là.
Du temps de mon enfance, cette Roumèque, je l'imaginais blanche
hirsute, quasiment sans forme, exceptée peut-être, pourquoi? celle
d'une quenouille. Elle sortait du puits pour gravir
l'escalier...Frédéric Mistral pensait qu'elle était sans doute une
autre CHAUCHAVIELHA, une étouffeuse de vielles femmes, une "rauméca"
porteuse d'une sorte de maladie : le "raumas " des vieilles
grand-mères. Mais pourquoi ne serait-ce pas aussi ce "romec" (roumec)
autre nom de la ronce, cette créature qui attrape les gens et qui,
lorsqu'elle est au fond des puits, s'appelle en Provence la "tiranega"?
Monstre sans tête aux pattes crochues, hérissées et poilues
J'ai
rencontré, à Grenade, en Andalousie, dans les contes de l'Alhambra "El
Velludo", boule poilue et noire qui emporte les enfants, la nuit et qui
est cousine du "More" obscur des citernes de l'ancien palais.
Combien d'enfants ne sauvèrent-elles pas ces créatures fantastiques de
puits et des ténèbres? Contes du savoir, contes protecteurs.
En toute inconscience, je donnai à ce monstre, à l'allure de pieuvre
poilue, une fille, encore noire e chevelure mais pourtant blanche de
visage et de vêtements : la Rouméquette. On sait ici comme ce suffixe
"ette" est chargé d'amitié, de tendresse, en faisant tout petit les
êtres et les choses.
J'ai trouv plus tard dans le livre de Norman Cohn "Sorcellerie et
démonologie au Moyen-Age", toute la suite des Dames Blanches
protectrices.
Hasards, souvenirs ou simple logique d'évocation, cachés au creux des mots
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