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Extrait :

L'endroit avait le charme inquiétant d'un lieu figé dans son éternité...

Un ciel plombé d'eau semble retenir ses masses grises comme on retient son souffle avant un désastre. Sous cette chape menaçante, deux porteurs en sueur, les yeux rivés au sol, avancent à pas comptés en essayant de coordonner au mieux leurs mouvements. Chaque extrémité de la poutre qu'ils portent leur écrase l'épaule telle une douleur de pénitence. Le terrain en pente est terriblement glissant. La charge, suspendue à une corde au milieu de cette palanche, concentre toute l'attention de la procession. Hommes, femmes et enfants dans leurs vêtements traditionnels des grands jours forcent la curiosité des badauds du village ; l'air grave qu'ils affichent dans un silence inhabituel intrigue même l'homme le plus désintéressé qui passe nonchalamment avec son buffle. A l'avant du cortège, seul et imperturbable, un individu âgé aux yeux gonflés de fatigue prononce tout en marchant un chapelet de phrases sans discontinuer ; ce qui paraît être une prière a les assonances des voix religieuses himalayennes.
Soudain les porteurs se figent, et délestent leur poutre sur des piquets pour maintenir la charge dégagée du sol. Devant elle, un banc est immédiatement placé en travers du chemin ; on dispose deux bols, deux paires de baguettes, des plats de viande et de l'alcool. Face à cette mise en scène, le fardeau, un tambour au fût revêtu d'une longue tunique bleue semblable à celle des hommes de la procession, paraît directement concerné. A l'évidence c'est lui que l'on attend. Le vieil homme interrompt ses prières, verse de l'alcool dans le vide et allume des bâtonnets d'encens. Il se prosterne trois fois devant l'objet et tout le monde se tait. Le ciel toujours lourd se soulage d'une pluie intermittente. Sans raison apparente, la voix du chef s'enhardit d'invectives à l'adresse du tambour. Puis il le frappe. La mailloche rebondit plusieurs fois sur la peau tendue. L'écho sonore dévale les pentes et se perd dans les vallées adjacentes. L'effet est immédiat : comme apaisée, la procession redémarre, les porteurs engloutissant au passage une bonne rasade d'alcool. Du coup il s'est arrêté de pleuvoir. Magie du lieu...
Nous sommes à Wanba, le premier village gejia (gueu-tia) perché à flanc de montagne une fois passée la rivière de Chong An, Paix profonde, qui forme une frontière naturelle entre le pays Gejia et celui  des Miao de Huangping. Le nom chinois donné à ce bras de rivière est en parfaite adéquation avec son cadre naturel, tant les eaux limpides permettent un reflet cristallin et tranquille des frondaisons de bambous. Ici, la nature en sa quiétude toute puissante semble investie d'un mandat de suprême harmonie.
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