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Compte rendu

de séminaire

Alès, le 26-27 Octobre 2006.

 

Quelle langue pour transmettre la mémoire ?

 

 

Avant propos :

 

L’idée est d’en débattre. On n’a aucune certitude mais on essaye de poser les bonnes questions.

 

Quelques précisions sur le CMLO et ses intentions :

 

Le séminaire va durer deux ans. Aujourd’hui, il s’agit de mettre en place le questionnement autour des interactions mémorielles. Comment on va de l’autochtonie et les gens issus de l’immigration. Qu’est ce qui se joue dans le fait de dire sa mémoire. Donc on prend la mémoire comme élément porteur de la construction identitaire. Ce mot est un peu ambigu mais il est important. D’une part, il y a l’idée de comprendre comment par la parole on peut se faire reconnaître par l’autre dans une identité pleine et entière. C’est un petit peu la question de ce séminaire.

 

On a souvent tendance à définir la mémoire comme quelque chose d’hyper simple. Et donc nous n’avons pas forcément conscience de ce qui se joue derrière ces espaces mémoriels. Notre objectif est de rendre lisible cette complexité mémorielle pour élaborer des outils de travail qui serviront aux personnes qui sont sur le terrain/territoire. Bien que nous ayons une activité de collecte mémorielle, et que de ce fait nous soyons confronter au « terrain » nous aussi, il peut parfois arriver que notre questionnement ne soit pas adéquat au terrain, ou que la perspective soit incomplète.

 

Jusqu’à présent, on a eu un premier colloque en avril 2006 qui a permis de réunir une quinzaine d’intervenants, aussi bien artistes que chercheurs afin de voir comment on pouvait jongler entre ces deux espaces. Jusqu’à maintenant les thèmes qui ont été abordés étaient l’interaction entre mémoire d’autochtone et mémoire de migrant : Qu’est ce que c’est qu’un autochtone ? On a également travaillé sur la notion de récit de vie dans l’immigration : est ce que le récit de vie est un lieu de la transmission auprès de l’autochtone ? Est-ce que l’autochtone a le désir d’avoir un récit de vie ou non ?

 

Les réponses à ces questions sont à étudier dans le champs d’une interaction si nous souhaitons obtenir une information pleine, car le migrant a autant besoin du récit de vie que l’autochtone, et réciproquement.

 

Ensuite, au mois de Septembre, nous avons travaillé sur la notion de mémoire collective : la formelle et l’informelle : quelle est la part de l’histoire formelle, c’est à dire conscientisée et admise, et quelle est la part de la mémoire informelle, c’est à dire la part de la mémoire du groupe qu’on traîne avec nous sans le savoir,  et qui appartient à l’entité à laquelle on appartient.

 

Aujourd’hui nous posons la question : Quelle langue pour transmettre la mémoire ? Il nous faut, bien entendu, répondre aux questions subsidiaires impliquant les termes de cette question: Qu’est-ce qu’une langue ? Et quel peut être son rôle dans le processus de construction identitaire ?

 

Alors, pour nous qui travaillons sur la mémoire et l’oralité, la réponse peut sembler évidente, mais une langue ce n’est pas seulement de l’oralité ou de l’écriture, mais les deux en même temps. Etant donné que nous travaillons depuis la perspective de l’oralité, nous mettrons l’accent sur la langue comme parole.

 

Concernant la parole, nous rappellerons un premier niveau de distinction entre celle du « primo arrivant » et la langue d’accueil. Ensuite il y a la notion de « l’autochtone » face  à une langue étrangère : comment le fait de se sentir chez soi implique qu’on ait pas forcément envie de faire l’effort d’apprendre une autre langue que la langue maternelle. Qu’est ce qu’il y a de significatif comme valeurs derrières ces diverses langues ? Et ensuite il toute la part du « résiduel de la langue » sur les gens des deuxième, troisième, quatrième générations … qui sont encore, d’une certaine façon, ancrés dans une langue maternelle qui, bien que parfois éteinte, reste malgré tout encore active, ne serait-ce que dans la structuration de la pensée. Ceux sont les trois niveaux que nous devons analyser aujourd’hui.

 

A partir de ces réponse nous essaierons de répondre à notre question : qu’est ce qu’on transmet de l’ordre de la mémoire avec une langue ? L’objectif de ce séminaire n’étant pas d’analyser toutes les interactions langagières mais de nous limiter à une analyse de la langue dans son aspect mémoriel.

 

Le deuxième niveau de notre analyse doit nous conduire  à travers le positionnement sur ces trois points, à déterminer les lieux de transferts, en gros : où est-ce que ça peut se passer ? On sait que sur le plan familial, et social, il y a une possibilité d’échange mémoriel. Donc, on pourrait dire que familial c’est logique : la famille est un lieu de l’inter culturalité, et il y aurait un travail d’analyse à faire sur la complexité posé par le problème de transmettre dans une langue qui n’est pas la sienne à ses enfants. Pour les cadres sociaux, nous allons nous limiter à l’éducation nationale qui est un lieu de la transmission, et de régulation mais qui peut mettre en rupture avec une « lignée ». Par exemple, la notion d’intégration est intéressante à analyser dans cette perspective. Car, quand on « intègre » quelqu’un on a la conscience d’amener cette personne à rompre avec sa culture.

Plus difficile est de trouver les espaces sociaux hors école, où se jouent les efforts de chacun pour comprendre l’autre dans la langue. Il existe tout une multitude de lieux : les marchés, les commerces…

La part de l’intime sera là tout au long, car l’individu est au centre de la transmission.

 

Quels sont éléments à prendre en compte dans notre cadre d’analyse ?

Il y en a plein : comment chaque individu construit sa langue, en relation/réaction à quoi ? Le « bain linguistique dans lequel on se trouve, en tant que tel, va déterminer le potentiel de l’individu. Nous sommes tous dans des espaces linguistiques qui paraissent équivalents mais qui ne le sont pas. Dans le cadre de la question qu’est ce qu’une langue, nous reconnaîtrons qu’il y a des espaces identiques et des espaces de différenciations importants.

 

Comme je l’ai dit, une langue ce n’est pas uniquement des mots, il y a également toute une part du non verbal : il y a un corps dans toute sa plénitude qui parle, c’est également tout un contexte à prendre en compte.

 

 

 

 

 

Tour de table :

 

Anne Dambrin, ex bibliothécaire, ayant une activité au CMLO : « quand tu parlais des cadres sociaux, j’ai pensé à l’administration car quand ils arrivent, c’est le premier truc auquel les gens se confrontent : le langage administratif. »

            Claire : « Je suis actuellement en formation de conteuse au CMLO. Par ailleurs, je chante de la musique médiévale. Je donne également un coup de main sur les  séminaires. Pour moi l’intérêt se situe au niveau de la communication non verbal et tout ce qui peut passer à travers ça…

 

Geneviève Grivet : je fais partie du cercle du CMLO, j’étais documentaliste de lycée, et ce qui m’intéresse ceux sont les différents niveaux de langues. Car on s’aperçoit qu’entre des individus apparaissent des incompréhensions, ce qui signifie qu’on a beau parler la même langue, on n’a pas pour autant le même langage.

 

Marion : « Je suis conteuse et j’ai créé une association pour aider les personnes à transmettre leur passion à travers le conte, comme outil « inter générationnel ». Je pense que la gestuelle est très importante pour transmettre, qu’elle est une dimension complémentaire de la parole qui peut éliminer les quiproquos de la parole.

 

Shaerazade Camari : « Moi je travaille au SEP de la Grand Combe en tant que médiatrice sociale, ce séminaire m’intéresse vis à vis de mon travail, en tant que personne, en particulier la question du résiduel de la langue : première, deuxième… génération. Je m’adresse, dans le cadre de mes missions à un public qui ne maîtrise pas forcément la langue d’adoption, et moi ayant une double identité je peux dire que c’est des fois très compliquées.

 

Benoît : « Je suis étudiant en philosophie, et je travaille au CMLO depuis … aujourd’hui, en tant que rédacteur. Je n’ai pour le moment rien à dire sur le langage, mais je pense que ça devrait venir… »

 

Fabien : « Je viens de passer un an et demi au sein de l’organisation de la francophonie à Paris, après des étude de Lettres où j’ai travaillé un peu sur les questions de l’immigration sur la question des langues et de l’écrit. Je suis revenu depuis une semaine, j’ai  découvert dans le journal l’existence du CMLO, alors je suis venu assister à ce séminaire, et c’est avec plaisir que je découvre votre groupe.

 

Marc « (groupe) qui est assez variable, les séminaires sont toujours assez ouvert. Pour commencer, essayons de répondre à la question : qu’est-ce que c’est qu’une langue ?

 

Je donne mon avis, et puis on partira de là pour commencer. On pourrait débattre 15 jours sans clore le débat, donc on va essayer de faire simple. Pour moi qui travaille dans l’oralité, la langue c’est d’abord un espace sonore ; mais c’est aussi un système d’unité fini qui possède un certain nombre de lettres ( signes visuels) auxquelles correspondent des phonèmes ( unités sonores). Les règles de combinaisons, d’associations … permettent de créer un système infini. Donc la langue c’est également toute une syntaxe : une capacité à organiser ces unités phonétiques entre elles pour donner du sens. Par exemple, deux phrases ayant le même nombre d’unité et utilisant les mêmes phonèmes mais dans un ordre différent, n’auront pas le même sens. Ex : le chien a mordu son maître ; le maître a mordu son chien.

 

Une langue c’est aussi un système de symboles. Un mot en lui même n’est pas porteur que de son sens immédiat, mais aussi d’un système de représentations, de ce qui fait sens. Ici, il y a un des enjeux de notre travail qui est de montrer qu’apprendre une langue à un étranger c’est aussi lui apprendre quelles sont les représentations culturelles cachées derrière les expressions. L’unité phonique qu’est le mot n’est pas censé collé à la chose qu’elle représente, hormis l’onomatopée[1][1].

 

En résumé, il y a trois espaces types quand on étudie une langue : le sonore, le symbolique, et le signe. Mais il y a aussi la notion de l’apprentissage dans une langue. La langue est apprise dans un premier temps avant la naissance même. Il y a une mémoire des sonorités de la langue qui se joue avant même que l’enfant naisse. Des expériences ont été faites sur des enfants de moins de trois mois ; on faisait écouter des contines en enregistrant la  voix de la mère, et celle d’une autre conteuse. La découverte fabuleuse fût de constater que l’enfant qui écoutait la même contine, racontée par deux personnes différentes, adoptait une attitude identique, ce qui signifie que l’enfant reconnaissait l’histoire et pas seulement la voix de sa mère. C’est l’espace sensitif sonore qui joue sur l’apprentissage.

Tout cela pour dire qu’une langue ce n’est pas seulement des mots, dans le monde pré natal, la langue, c’est le lieu d’une émotion et un élément sensitif : la vibration sonore. On voit qu’il y a une interaction qui se fait au-delà du vocabulaire et de la technique langagière.

 

Bien sûr, un enfant qui naît n’a pas de système de représentation : il n’a pas la capacité de faire du métalangage, et donc de se poser des questions sur la langue. Ce n’est qu’à partir de six, sept ans que l’enfant que le système de représentation est acquis. Jusque là, on est plus dans une relation d’ordre émotive et sensitive. Cela, bien qu’il soit ancien et donc remis en question sur beaucoup de points, tout le travail de Piaget nous le dit très bien.

 

Alors qu’est ce qu’il va se passer dans un premier temps ? Finalement on des comportements avec l’enfant qui sont très naturels, et cela on le retrouve dans toute les langues. On a une parole presque chantée vis à vis de l’enfant, comme si on était dans un élément où le sensible est posé par les parents. Vous connaissez tous cette attitude : on sait très bien que l’enfant, au départ, ne comprend pas les mots mais les expressions sensitives : les relations à un corps parlant. Il existe une méthode de plus en plus importante qui vise à comprendre comment l’enfant, qui est en train d’apprendre, met du sens sur un comportement mimique, sur toute la part non verbale. Si la parole n’est pas juste, l’enfant se met à pleurer ; si vous êtes en train de lui raconter des cracks, il sait très bien que le corps ne correspond pas à ce qu’il entend, il le sent. C’est d’ailleurs tout le problème de l’angoisse, car si vous êtes angoissé et que vous essayez de le dissimuler à votre enfant, lui saura très bien que vos paroles ne correspondent pas à ce que vous être en train de vivre, et il risque par là même « d’en prendre plein la gueule ».

 

A terme, on s’aperçoit que l’enfant travaille en cohérence, et qu’il met en place un système de correspondance : qu’est ce que j’entends et qui est juste avec ce que je vois ? Cette mise en relation est capitale, c’est pourquoi quand on a l’habitude de lire un récit à un enfant, il est important de lire avec les mêmes attitudes, les mêmes mots. Jusqu’à trois ou quatre, ce qui compte pour l’enfant, c’est de ne pas changer un mot du récit, tout simplement parce que cela les rassure d’apprendre quelque chose qui « colle ». La répétition du même va permettre d’acquérir une assurance dans ce dans le langage maternelle.

 

En quel sens la parole corporelle est aussi un élément culturel très fort ? C’est une question très importante, car même adulte, nous conservons une mémoire de cet apprentissage sensitif. Cet héritage est d’ailleurs sensible à travers certaines de nos expressions. Que se passe-t-il dans mon corps lorsque je dis « celui-là, je ne le sens pas, il parle bien mais je ne le sens pas ! Rire[2][2]

 

Ce qu’il dit c’est que quelque part l’attitude de cette personne, qu’il ne sent pas, ne colle pas avec ce qu’il est en train de dire. Il est dans un espace où il y a un décalage. C’est un peu la raison pour laquelle les hommes politiques sont toujours derrière des grands présentoirs lorsqu’ils s’adressent à la foule, cela leur permet de masquer une grande part de leur attitude corporelle, et e ne pas dévoiler l’éventuel décalage.

 

La prise de conscience de ces espaces non verbaux est importante, car elle permet une autre lecture qui se situe  au niveau « inconscient » de l’individu. La parole d’un corps est très culturelle, ainsi que la sonorité d’une langue et pour nous cela signifie que là où il y aura des décalages, il y aura potentiellement des difficultés  à se rencontrer.

 

Petit à petit, ce qui va se passer c’est que l’enfant va développer sa capacité de représentation et là il va y avoir un autre niveau de la langue. La langue deviendra non plus seulement un lieu d’expression du sensitif mais un lieu d’expression de ce qu’on comprend du monde (intellectif). Là on est vraiment dans une autre dimension : le système de représentation évoluant on va commencer à dire ce qui nous entoure, ce qu’on voit. On sait que l’enfant pendant très longtemps n’est pas séparé du corps de ses parents, en particulier de la mère, jusqu’à un certain âge, pour l’enfant ces deux corps ne font qu’un. Bizarrement, dans l’évolution linguistique, on s’aperçoit qu’il va y avoir une étape très importante : celle où l’enfant va se sentir individu ; c’est la fameuse étape du miroir où il y a une reconnaissance de soi (autour de l’âge de deux ou trois ans). A partir de là, c’est souvent un bond dans la langue : elle devient une recherche, un moyen de s’affirmer comme ayant sa propre vision du monde et en contrôle vis à vis de l’autre. Vers trois ou quatre ans, les enfants sont souvent dans l’opposition. Ils ne veulent pas faire de l’opposition systématique, ils affirment ce qu’ils veulent être en tant qu’individu parmi des individus. Car ce qu’ils veulent c’est précisément ne plus faire partie d’un tout amalgamant. Du coup la parole va devenir très importante comme lieu de l’identification.

 

Jusqu’à l’âge de sept ans, on va dans une progression de cette identité langagière. Ce qui signifie que jusqu’ à sept ans le système de représentation évolue. Ce n’est pas pour rien que dans toutes les civilisations on dit que sept ans c’est l’âge de raison. C’est souvent à cet âge que commence énormément de phases initiatiques où commence ... Donc On est dans des espaces où on considère que l’enfant a toute sa raison, ce qui lui manque c’est l’expérience, mais il a tout ce qu’il faut pour l’acquérir. Acquérir sa vision du monde.

 

Donc si vous voulez moi, cette ontologie de la langue, cette progression, c’est très important, ça permet de comprendre plusieurs choses je pense. Au niveau d’un enfant qui trempe dans un bain linguistique jusqu’à une époque, par exemple jusqu’à cet âge là, et qui est en rupture avec ce bain linguistique pour entrer dans un autre bain linguistique. Vous voyez à peu prés déjà l’élément qu’on peut analyser. Pour moi, il y a ça, et qu’est-ce qui se joue à ce moment là et qu’est ce qui se joue dans la volonté de certains parents de faire en sorte que leurs enfants soient uniquement dans le bain du français alors qu’eux même parlent mal le français, et qui du coup n’arrivent plus à communiquer leurs sensations, leur sensitif. C’est un peu voir comment la langue maternelle a un poids au-delà du sens des mots, elle a un poids dans la transmission de l’émotion, dans la transmission de la relation entre les parents et les enfants. En même temps cette transmission est très importante parce qu’elle va être dans la plénitude : dans l’intelligence pleine d’une langue, quelque qu’elle soit d’ailleurs. La relation au langage, je dirai, plutôt qu’à une langue. Le fait qu’on soit dans cette émotion avec les parents à un moment donné, c’est un lieu qui va donner aussi une intelligence particulière de la langue et donc là il y a eu des expériences qui ont été faites par les linguistes : de voir qu’est-ce qui se passait avec des enfants d’immigrés qui évoluent à la maison dans la langue maternelle et qui après vont au collège travailler dans une autre langue que la leur. On s’aperçoit que pendant les premières années ces enfants sont en grande difficultés, par contre des qu’il arrivent en secondaire et ont besoin de la complexité de la langue, ils s’en sortent mieux que les autres. On a un lieu de la plénitude qui se passe à un moment donné, mais il y a une première phase qui est une grande difficulté. Donc là cela veut dire que il y a un vrai travail de comment on transmet. Mais on s’aperçoit que dès qu’ils rentrent en secondaire, ils se trouvent en général beaucoup mieux, parce qu’il y a cette phase qui a été acquise dans la complexité qui passent par les émotions et autres.

 

Alors sur la littérature orale il y a un champ qui a été beaucoup étudié aussi par les linguistes, c’est la berceuse, qui paraît être un objet complètement insignifiant. Car c’est vrai si on prend en lui même le récit d’une berceuse, bon, il ne dit pas grand chose. Mais on s’aperçoit que les mères qui chantent des berceuses à leurs enfants, ce n’est pas la berceuse qui est important, ce sont tout ce qu’elles chargent d’une communication émotive au travers de la berceuse. Comment à travers  cette charge émotive, il y a toute une complexité de la langue qui s’acquiert. Un enfant sent très bien qu’une langue, ce n’est pas que des mots, c’est une mise en relation, une mise en communication. Donc après derrière, il y a toutes les notions de bilinguisme, de trilinguisme qui doivent rentrer en ligne de compte. C’est à dire, comment quelque part les enfants bilingues vont choisir leurs langue, et qu’est ce qui leur paraît le plus cohérent. Je trouve ça assez  fabuleux. J’avais des copains qui étaient complètements bilingues avec une mère qui était anglaise et un père qui était français. Déjà, les enfants s’adressaient  dans la langue de chaque parent pour être sûrs d’être compris. Et dans les conversations, de temps il y avait un endroit qui sortait tantôt dans une langue tantôt dans l’autre. Si bien que même plus tard c’était devenu pour eux un réflexe presque naturel de travailler simultanément sur les deux langues. Ce qui est intéressant c’est qu’ils s’adressaient bien dans la langue maternelle de chacun lorsqu’ils s’adressaient aux parents. C’était une volonté familiale de pratiquer les deux langues. Tout cela ceux sont des expériences qu’on pourraient mettre en…

 

Ça veut dire que quelque part une langue c’est aussi une partition musicale, une phonologie c’est comme une partition et que dans l’interaction d’une langue ce qui va être important c’est que les fréquences ne sont pas les mêmes pour chaque langue. La fréquence de la langue française donne quelque chose de très monotone, par contre dès que l’on est dans les langues slaves, arabes on obtient des fréquences plus hautes, avec un travail beaucoup plus important  sur l’intonation. Cela peut rendre la rencontre difficile. Quelqu’un qui n’est pas habitué à une langue va parfois se sentir agressé par cette langue dont la fréquence est autre que la sienne. Sans compter qu’il y a également des attitudes de transmission, de communication qui sont elles mêmes des attitudes anthropologiques qui peuvent être très différentes : la notion de parler fort, de parler doucement, avec des silences ou pas. Si vous prenez par exemple le cas des Inuits, (je prends un cas extrême mais qui permet de bien comprendre) chaque fois que quelqu’un termine une phrase, il y a un silence qui s’installe et qui peut durer trente ou quarante secondes avant que l’autre ne reprenne la parole. C’est la politesse, et donc si on fait cette rupture là, on est complètement impoli. Dans le sens, c’est laisser à la communauté le temps de réfléchir  sur la  parole  qui vient d’être donnée. Eux quand ils sont en configuration de parole chez nous, ils ne comprennent plus rien. Réciproquement, nous, on ne le supporterait pas. Le silence met mal à l’aise, il y a comme une angoisse du vide. Vide qu’il est impératif de combler, il faut à tout prix tout remplir. Cette attitude des Inuits vis à vis du silence ne fait pas partie des traditions occidentale.

 

Il faut également prendre en compte la concision, le développement. Plus on va vers le monde oriental et on plus va vers un développement du plaisir à faire image qui est très important, alors que nous (occidentaux) sommes dans la rationalité depuis le siècle des lumières, et que nous tendons vers la concentration, de manière à être efficace, sauf pour les champs de la littérature. D’ailleurs, ici on retrouve la question de savoir qu’est ce qui se joue entre l’oralité et l’écriture : comment, pour nous, toute la partie stylistique, c’est à dire la partie du plaisir de la langue est passé dans un   espace de l’écrit et on est restés dans une langue orale hyper efficace. Dans une société orientale où il y a plusieurs langues qui se côtoient comme l’arabe dialectale et l’arabe classique, il y a le plaisir de la langue qui se joue dans l’oralité. Donc il y a une tradition de l’oralité qui est encore transmise, enseigné de façon informelle. Il y a encore ce plaisir de faire langue orale, et image, mais pour cela il faut du temps.

 

            Tout cela, ceux sont autant d’éléments à prendre en compte quand on a quelqu’un qui arrive du Maghreb et qui se met à parler à un occidental, cela peut poser problème. Dans le cas d’une rencontre avec un commerçant, il se peut que celui-ci s’agace et demande exaspéré « Mais qu’est ce que vous voulez ? » Alors qu’en face de lui se trouve une personne qui a l’habitude d’être dans le plaisir de la rencontre avec le commerçant et qui va délayer … ceux sont des attitudes de langages qui sont parfois complètement incompréhensibles par l’un et par l’autre. Et donc qui peuvent devenir espace de conflits. Il y a deux cultures de la prise de parole qui sont complètement différentes. Ici on est au niveau du primo arrivant surtout mais il se peut aussi qu’on ait des conflits familiaux, donc là je reviens à notre sujet qui est la transmission de mémoire : comment un père qui veut transmettre son expérience de son pays va s’installer dans un lieu de la création d’image avec le temps nécessaire, et puis un gamin qui lui dit « mais moi je n’ai pas le temps. » donc dans ce cas, c’est comment on se retrouve, en l’occurrence, avec une non valorisation de l’expérience possible à transmettre ? Comment quelque part la paternité devient un lieu de dévaluation puisque la transmission ne se fait pas.

 

Tout cela, ceux sont des espaces qui sont des lieux de communication où on va pouvoir travailler la compréhension de la langue. Après, pour nous il s’agit de trouver les outils pour mettre ça en route. Je ne sais pas comment ça peut se faire, l’objet du colloque c’est un peu ça : au terme de ce séminaire, il nous faut déterminer la ou les possibilités d’action. Est ce que l’intelligence de cette situation peut être suffisante par exemple, pour que les enfants se mettent dans une position d’écoute autre que la position occidentale, et revienne à une position traditionnelle, ou médiane ?

 

Il me semble qu’il y a des espaces de l’altérité non comprise qui se joue au sein même d’une famille des fois.

 

Anne

« Est ce qu’on retrouve pas un peu les même choses entre le passage d’un monde rural à un monde urbain ? 

 

Marc

« Si on en parlait justement hier avec Benoît, les anthropologues considère que pour qu’une langue change de représentations mentales, il faut à peu prés cent à cent cinquante ans. Donc, on est bien dans un monde urbain mais si on regarde le langage des rappeurs par exemple, ils évoluent dans une langue qui se veut contemporaine. Or si on regarde la provenance des mots qu’ils utilisent, c’est incroyable, la langue est complètement dans un espace de la ruralité. Ne serait-ce que si on prend le mot culture en lui-même. Le sens se fait aussi dans une relation à des espaces terriens, qui ne sont pas compétemment effacé dans notre mental (car langue est évidemment un lieu du mental). Ils sont en mutations mais même si on redonne du sens autre à ces mots là, c’est évident qu’il traîne derrière eux tout un élément symbolique qui va être un lien avec l’espace de signification première.

 

Donc cela c’est aussi un lieu qu’il faudrait étudier ; moi  je pense qu’on est encore dans un lieu  où la langue est très rurale. Alors comme elle se veut efficace dans le monde contemporain, elle va se concentrer et faire en sorte d’être dans l’efficacité du mot, de la composition. Mais en tout cas  on est dans un espace qui nous relie symboliquement au monde rural, encore pour longtemps je pense. A ce niveau là, on n’est pas sorti de l’auberge. Rire. Silence de cinq secondes,

Marion

« Tu dis qu’il faut à peu prés cent cinquante ans pour une évolution de …

Complétée par Marc «  des mentalités profondes. Bien sûr qu’on change de comportement plus rapidement mais si tu veux aux niveaux des espaces de constructions de la pensée.

Marion « Parce que le rap, il est arrivé assez rapidement quand même. »

« Oui mais si tu veux le rap, si tu regardes bien, qu’est ce qui se joue dans une parole de rap ? C’est une parole qui veut se distinguer, c’est comment quelque part on créée une autre identité parce qu’on ne veut pas rester enfermer. C’est un lieu de la réaction en même temps. C’est une parole poétique mais en réaction à une non reconnaissance identitaire. Il ne faut pas se leurrer, les « quartiers » c’est quand même des no man’s land. La cité c’est un lieu où on est stigmatisé, et où il est donc très difficile de faire identité.

 

Anne

« Oui parce que le rap ça passera, il y eu l’époque du verlan, il y a eu …

Intervention de claire « tu aurez des exemples sur le rap au niveau du langage ? »

 

Marc

« Concrets non, mais il y a tout le travail qui avait été réalisé par Lapassade.

Ce petit bouquin est très intéressant pour comprendre, au-delà du rap, qu’est ce que c’est que créer un lieu dans une langue, pour réagir, pour fonder une identité, pour être « reconnu dans ». Dans ce livre tu trouveras l’histoire de sa création dans les quartiers noirs aux états unis, puis son implantation dans les quartiers français. C’est un travail de sociologue très intéressant. »

 

Les langues contemporaines sont très intéressantes à observer pour nous qui étudions comment une langue orale se constitue, et s’exprime. Derrière le simple fait de l’ordre de l’esthétique il y a toujours quelque chose de l’ordre du signifiant profond. Le rap manifeste notre volonté contemporaine de recréer une langue, comme l’ont fait toutes les sociétés et comme le font tous les enfants dans tous les pays. Le verlan ce n’est pas une invention d’aujourd’hui. On retrouve ça dans l’Afrique profonde, dans tous les peuples. Il y a la volonté à un moment donné de faire langue secrète, alors on inverse, on renverse, tous les ados  font ça dans le monde entier.

            Intervention de Schéhérazade : «  Alors moi j’ai une question à poser sur le rap justement. Est ce qu’on peut se dire qu’il y a eu un besoin de créer, d’inventer cette langue parce que ne sachant pas quelle langue parler ou s’approprier ?

NB : A mon avis c’est une question pertinente, elle s’insère complètement dans le propos et la réflexion du colloque : (quelle langue pour transmettre la mémoire ?). Schéhérazade pointe une piste, un éventuel outil pour son travail de médiatrice interculturelle. Cette question revient à se demander si finalement, le rap n’est le fruit d’un double bain culturelle, née sur la base d’une revendication identitaire et culturelle commune de peuples différents.

 

Marc :

« C’est en réaction à la langue de fondation, il faut penser que l’unité de la société française est fondée sur la langue Et cette identité est quelque chose de très récent, parce qu’il n’y a pas très longtemps, au début du vingtième siècle, le patois était encore très utilisé. Et donc souvent, il  y a une espèce de sensation qu’on va retrouver d’ailleurs assez souvent de langue et c’est le cas aussi parce qu’une langue c’est aussi un tout un espace formel, qui recouvre une idéologie, des éléments normatifs, un ensemble de valeurs. Donc c’est évident je pense que les jeunes des quartiers ont été dans un mouvement réactif : inventer une autre langue pour être distinguer à la fois de la notion de quartier et de la langue française qui est une langue normative, trop cadrée. Donc, ça devient, je recrée une langue pour fonder identité. Ca s’est joué aux états unis d’abord : comment on s’approprie la langue et on la transforme pour qu’elle ne dise plus la même chose. On a la même chose en Algérie, il y a un très bon article, je donnerai une petite biblio demain, d’un chercheur linguiste qui a travaillé sur la francophonie en Algérie. Ce qui est intéressant dans son propos, c’est qu’il dit « Non, l’Algérie n’est pas francophone. » pourquoi ? Parce que quelque part, la langue française a été tellement transformé en Algérie que quelque part, elle a été vidée d’une grande part de son normatif, de ses valeurs et donc quelque part on utilise bien le français mais le français n’est plus chargé de tout ce qui est la langue française.

 

Marion

«  Et c’est le cas du créole aussi ? »

Marc

« Alors le créole c’est autre chose. C’est créer une autre langue nécessité : les peuples sont trop nombreux, ils pratiquent des langues différentes, et pour se comprendre ils en utilisent une commune à tous. Le créole est un lieu de métissage surtout. Le créole c’est un lieu de la nécessité, à un moment donné quand vous êtes dans un espace où une trentaine de langue coexistent et qu’aucune langue n’est proposée comme langue cadre. C’est dans un espace où une trentaine de langue coexistent et qu’aucune langue n’est proposée comme langue cadre. C’est aussi un lieu identitaire très important.

Fabien

« Mais est-ce que le créole a été crée  à partir de la langue des esclaves ou à partir de celle des esclavagistes ?

Marc

« Les deux. Et c’est ça qui est assez étonnant. Il y a une espèce d’amalgame intéressant. On a récupéré des mots qui ne disent plus du tout la même chose. C’est cela qui est intéressant, car les mots ont toujours été en eux mêmes, cette trace de ce qu’ils disaient. Mais là ils ont été ré attribués dans le sens, d’où notre difficulté de comprendre le créole car même en reconnaissant quelque mots nous sommes étrangers à leurs significations. Le créole a réinventé un système de représentation à partir de mots qu’il exploite[3][3].

C’est vraiment un lieu de la reconstruction d’une langue. C’est quelque chose que les linguistes ont beaucoup étudié la « créolité », parce que c’est pour eux un lieu d’observation de la création d’une langue et de fusion d’une langue.

Anne

«  Et puis comme c’est une langue orale, il existe différents créoles selon les régions.

Marc

« Tout ces lieux sont des espaces intéressants à observer, ceux sont des lieux où on trouve une volonté de faire unité. Tant que ces peuples issus de l’esclavage n’ont pas pu se rencontrer, il s’est passé un maintien des langues traditionnelles et puis à un moment donné il y a eu un regroupement, nécessité de communiquer, donc obligation de créer une langue. C’est un peu comme ça que les langues ont disparu dans le monde… et continue à disparaître.

Les historiens qui travaillent sur la notion linguistique et en particulier, Gilbert Durand, pensent qu’au début du monde, il y avait un minimum de cent quarante milles langues. Nous on est à six milles. Parce que chaque fois que des petites tribus, des petites unités ont besoin de vivre ensemble, qu’est ce qui se passe, ça ne se fait pas en trois jours. On commence par faire des mots en communs, des lieux de l’échange, de la traduction, et au bout d’un moment tac il y  en a une qui. Ce n’est pas que les langues défassent l’une ou l’autre. Mais elles se fondent. C’est à dire que l’acculturation n’est pas un lieu de la perte d’une culture, mais plutôt de l’accumulation de deux cultures. La fusion des langues est un mouvement presque naturel je pense, plus les gens se rencontrent et plus une nouvelle langue émerge, qui n’est plus du tout ni l’une ni l’autre. Les anglicismes ne sont pas des abandons de mots. Mais on a d’autres mots qui fondent une espèce de communauté de langue. Internet nous aide beaucoup dans ce sens là en ce moment. Il y a une grande lutte de la francophonie pour employer « courriel » à la place de « mail ». Rire.

 

Fabien

« Je me demande justement si ce n’est pas en voulant lutter…

 

Marc

« qu’on déclenche le réactif. Ben si, voilà. Donc moi je dirai que même, à terme sur le plan de l’immigration, on se prive d’enrichir une langue dans la communauté tant qu’on n’accepte pas d’aller vers l’autre langue. Une langue vivante, c’est une langue en recomposition permanente. Donc, vous voyez, la peur, en France, où l’identité est essentiellement fondée sur la langue. Il y a une crainte terrible d’être assaillie par les autres langues, au fond de nous c’est une peur énorme.

 

Donc cela aussi, dans le réactif c’est évident, d’autant plus (et là on va rejoindre notre notion d’autochtone) que les gens qui sont dans cette région ont déjà vécu cette perte au début du siècle dernier : en étant dans l’obligation d’apprendre le français, une langue normalisée, alors qu’ils pratiquaient les patois, l’occitan. Ils ont déjà cette peur terrible que ça recommence. Ils savent ce que c’est, dans leur mémoire profonde, et ressentie ce que c’est de perdre une langue. Ils savent ce que ça a crée   comme rupture, rupture dans les familles, dans l’école, et tous les lieux de transmissions possibles. Un peuple qui a déjà vécu cela  a beaucoup plus de mal à accepter l’arrivée d’une autre langue sur son territoire. C’est une peur très important, il y a eu des déchirements violents. Moi le premier, j’ai encore vécu ça : l’interdiction de parler la langue occitane, alors qu’elle était naturelle chez mes grands parents.

Fabien

« Vous avez connu le signal ? Le caillou qu’on donnait à celui qui parlait  occitan.

Geneviève

« Là, c’était l’époque de ma mère !

 

Marion

«  C’était quoi ça ? »

 

Geneviève

« Mes grands parents n’avaient pas le droit de me parler patois. Alors que eux ils ne parlaient que le patois.

Fabien

« Moi, on m’a raconté que le caillou était un signe  qu’on donnait  à celui qui parlait l’occitan, et qu’il devait porter, un peu comme un bonnet d’âne, et qu’il s’en débarrassait, mais seulement auprès de celui qui parlait occitan.[4][4] »

 

Enfin de compte ce signe de l’autochtonie est très important : qu’est ce que c’est que de perdre une langue ? Moi j’avais un grand père, tout ce qu’il me disait en français c’était «  viens on va se promener », il ne me parlait qu’en occitan. Une fois ma grand-mère lui a demandé «  mais pourquoi tu lui parles toujours en occitan ? » Et mon grand père de lui répondre «  mais comment veux tu que je lui raconte ma vie si ce n’est pas en occitan ! » Lorsque l’on renonce à sa langue, il n’y a plus les mots derrière pour dire les choses pleinement. Il y a bien une espèce de traduction male foutue, mais ça ne passe pas.

 

Geneviève

 « C’est une langue qui nous servait à décrire les arbres, tout ce qui est dans la nature ils ne pouvaient le dire autrement… »

Marc

 «  Sachant qu’en plus c’était une langue qui était hyper riche au niveau vocabulaire. Je crois que nous sommes à environ 100 000 mots contre 400 000 pour l’occitan. Donc on est dans un espace où même traduire devient presque impossible. On n’a plus assez de vocabulaire. Donc cela veut que pour nous  il y a vraiment une clef la aussi dans la problématique de transmission mémorielle familiale, c’est comment quelqu’un qui a vécu quelque chose dans son pays peut transmettre autrement que dans sa langue quand il pratique mal la langue d’accueil. Comment peut il mettre en valeur son parcours, comment peut il se mettre en valeur dans une identité qui peut être reconnu par l’autre, s’il est incapable de donner clairement les images qui sont nécessaire à la transmission, parce qu’on ne transmet pas qu’avec des mots. Les mots c’est aussi créer des images avec du sensitif.

 

Fabien

«  Parfois les images perdent toutes leurs saveurs. »

 

Marc

«  Parfaitement, surtout si c’est mal traduit. On le voit bien si c’est une mauvaise traduction, c’est terrible. Silence. »

« Moi à un moment donné, je travaillais avec un gars, pause, en aparté comment il s’appelait ? Claude Noton, qui était directeur du secteur espagnol et qui traduisait Balester (nom à vérifier) un galicien, qui a écrit des choses où on ne sait jamais si on est dans le fictif, dans le merveilleux, il nous balade tout le temps si bien qu’on ne sait jamais vraiment où on en est. Il s’exprime dans une langue d’une complexité absolument incroyable. Il me disait des fois pour une phrase on passe une semaine à trouver l’équivalent. Il leur fallait des semaines de discussion, d’aller retours avec l’auteur. Devant la complexité, il se demandait, alors qu’en il était parfaitement bilingue, comment était il possible qu’on traduise un auteur mort, (et éventuellement parlant dans une autre langue) ?

 

Traduire ce n’est pas traduire mot à mot mais trouver l’image juste qui va derrière les mots. Donc c’est vrai que pour c’est quelqu’un qui est déjà dans un métalangage, donc très conscient, mais qui n’a pas cette possibilité de revenir… de réflexion sur la langue, et qui a à transmettre la complexité de cette décision de départ… à des enfants… et qui n’a plus les mots pour lui. Ce n’est pas facile.

 

Ça participe à la dévalorisation des pères, au-delà du fait social. C'est-à-dire que dans le monde de l’immigration, les pères sont souvent mal considérés ; parce que quelque part, ils ont du mal à transmettre leurs parcours. En plus ils se sont trouvé souvent dans des situations difficiles, à faire des tâches pas très valorisantes …etc. Il y a un travail à qui va jusqu’à aujourd’hui ; la réaction de Mr Sarkozy, c’est à dire, comment les parents ne peuvent plus tenir leurs enfants ? Doit être renversée : comment les enfants peuvent-ils respecter un père si ils ne se connaissent pas, s’il n’ont pas l’identité du père posée comme un lieu de reconnaissance mais au contraire comme un endroit dévalorisé. Pour moi ceux sont des choses qu’il faut comprendre dans cette difficulté de se valoriser quand on ne peut pas se dire. Etre dans une identité c’est être capable de se dire pour être reconnu.

 

Moi je me souviens d’une image dont je parle souvent et qu’on a vu durant les émeutes de quartiers, où un jeune disait «  Mais nous on ne sait pas le dire, alors : on casse. » Dire la complexité, dire ce que l’on ressent, cela nécessite un travail énorme, et des mots aussi. Silence de 5 sc.

Les enjeux  de cette notion de mémoire et de langue, c’est tout ce que cela peut casser, engendrer en sous-jacent. Un autochtone qui va être dans le refus de repartir sur une expérience déjà vécu, des jeunes qui sont dans une autre ouverture, et puis c’est aussi voir en quoi consiste la langue aujourd’hui, est ce que ce n’est pas une langue qui est en difficulté de s’arrêter sur la complexité. Je la perçois beaucoup comme une langue de l’efficace, c’est une volonté du système de consommation. La langue est de plus en plus technique, et si on regarde ce qui se passe sur Internet, les « blogs », et les « textos », on voit que c’est une langue efficace : elle amène une action mais pas une réflexion de pensée. Je sais pas c’est peut être un a priori à discuter. En tout cas si on part dans un élément de cet ordre la, on risque d’aller de plus en plus dans le conflit car on sera de moins en moins capable de mettre de l’intelligence directe sur les lieux de l’inter relation. Silence.

 

Une des ambitions du séminaire est de mettre de l’intelligence sur l’altérité. L’altérité n’est pas invivable si on met de l’intelligence sur les relations, et qu’on ne le regarde pas comme une lieu du ressentiment et du réactif. Pause, et ça ce n’est pas le plus simple.

 

L’espace de la sonorité est important, mais l’espace symbolique aussi. Il y a derrière une langue tout un lieu de l’idéologie qui serait à analyser aussi systématiquement. La façon dont on compose une phrase, la façon dont on choisit ses mots, ce n’est jamais neutre. Il faudrait travailler sur la notion du religieux en relation avec la langue. Silence de 13 secondes.

Si on considère la laïcité comme une religion comme une autre, il s’agirait de voir comment la langue française est porteuse de cette laïcité, dans le choix de ses mots[5][5]. Silence, rire de marc. Et comment d’un côté la langue Arabe est aussi porteuse d’une part de l’Islam, un choix tout a fait différent. Comment, même quand on est dans la traduction, quand on est fondé dans une langue on peut avoir des maladresses de relation qui peuvent des fois froissés sans qu’on saches vraiment où. Parce qu’on est fondé dans notre façon de nous exprimer, notre façon de dire, de composer une phrase.

 

Benoît

 « Je pensais à l’étymologie du mot traduction qui  signifie « trahison » à la base. Le traducteur c’est un traître. » Rire

Marc

«  Un traître qui essaye de ne pas l’être comme disait Claude Noton tout l’effort du traducteur c’est d’essayer d’être au plus prés mais il sait qu’il ne sera jamais, de toute façon, dans la parole pleine de l’auteur.

Geneviève

«  Moi il me semble que sur l’évolution des langues, tu as parlé de l’efficacité et de la complexité mais je sens il me semble qu’il y a quelque chose qui est en train de disparaître : c’est tout ce qui est la part d’imaginaire, et je me rend compte que même français, par rapport à l’occitan, c’est aussi différent la représentation, et je me suis rendu compte, en faisant une expérience bizarre avec des belges qui habitent à côté de chez moi, et qui parlent très bien le français, sur une histoire de champignon j’étais absolument incapable de le dire en français. J’étais constamment sur des mots occitans par rapport aux variétés de champignons, et j’étais d’arriver à avoir un langage cohérent en français.

 

Marc

« Quant tu parles d’imaginaire, tu parles de « faire image »  en somme. C’est vrai que plus le langage est technique, plus l’image est restreinte. Là on rentre dans la problématique du symbole de la langue. Une langue de tradition orale on sait  qu’elle est éminemment symbolique de par le fait que justement il n’y a pas d’écriture, on est donc obligé de travailler sur une  plénitude de la langue, pour dire la complexité. Chaque mot est choisi. Chaque mot va être utilisé dans un espace de faire image, mais ce n’est pas une image finie. Alors que nous on cherche depuis le siècle des lumières à faire des images précises, et finies. Dans les sociétés de tradition orales, on cherche à faire des images ouvertes ; c’est pour cela qu’on est obligé de dilater la parole par surtout ce qui importe c’est de ne pas laisser à la personne la possibilité de voir une seule chose. Là aussi i y a des lieux de rencontres  qui sont difficiles.

 

Faire image pour moi c’est mettre en symbole, la langue occitane est très imagée. Elle est aussi rattachée  à un monde rural très précis. La langue du rural est une langue de l’observation. Je dirai qu’on a un rapport, bon ça je le dis souvent, mais je trouve important de comprendre qu’entre le monde rural et le monde urbain, il y a deux façons de penser le monde. Même si ce n’est pas aussi exclusif que je le crois, pour moi le rural c’est un lieu du déductif : on observe les choses et on en déduit quelque chose. La nature est autour, donc on regarde les choses se faire, on est en cohérence avec les saisons, avec une rythmique du temps, avec toute une relation avec les choses qui bougent lentement, et on est dépendant de ça. Si on n’est pas capable d’observer, on n’est pas capable de vivre dans le monde rural. Et dans le monde urbain,  on est vraiment dans le lieu du concept. On est dans le lieu de l’aller vite, de faire  en sorte de globaliser les choses, donc l’observation n’est plus nécessaire parce qu’on traille beaucoup dans la relation au concept.

 

Benoît

 « L’image n’a plus de rapport avec son objet. »

 

« On parle souvent avec une langue qui a été basée sur une pensée déductive, et on la transformée, c’est pour cela que le mot culture ne nous ramène pas à la terre, parce qu’on en a fait un concept. Il manque l’agri, rire. Mais n’empêche que on est dans une langue très conceptuel dans le monde urbain. Moi quand je fais de la collecte avec des papis là haut sur l‘Ardèche, eux ils sont encore dans un langage déductif. La plus part des immigrés arrivent du monde rural. Donc c’est une double adaptation : Penser autrement, vivre autrement, et ramener sa langue à quelque chose de l’ordre d’une langue conceptuelle qui n’est pas naturelle du tout. Donc là l’adaptation est d’autant plus difficile. Et comment on fait quand on a été fondé dans ce rapport naturel de langue à l’environnement pour parler à es enfants qui eux sont complètement fondés dans la langue conceptuelle. On sait qu’il y a des malentendus. Ceux sont des points d’achoppements pour les transmissions. Nous on le vit déjà dans la même langue. Ma génération la vécue : j’ai grandi dans un monde urbain, et avec nos grands parents il pouvait y avoir des incompréhensions fortes.

 

Voilà pour moi autant de difficultés qui sont à prendre  en compte. Après il y a l’école, il serait amusant de voir dans un cadre social, quelle est la volonté de l’école, afin de pointer les endroits difficiles. Que veut une personne qui enseigne le français à une autre ? Elle veut que cette personne qui va pratiquer cette langue dans un espace d’éducation puisse s’intégrer dans une société qui de toute façon est globale. C’est son rôle, on l’a payé pour ça. Mais un gamin à qui on  commence à dire «  la langue la plus importante, c’est le français, tout ce qui est avant ça n’existe pas » c’est évident que quand ils regardent ses parents, ils deviennent des gens complètement décalés : tout le savoir qu’ils ont pu développer n’a plus aucun intérêt. Comme ils ne vont pas avoir en eux même d’utilité apparente, toute leur expérience est dévalorisée, de fait ils sont privés de l’espace de transmission.

 

Donc il y a un lieu de la transmission qui n’est plus utile, on peut même dire qu’il devient un espace de conflit potentiel, puisqu’il tend à renverser la situation : on se retrouve avec des enfants qui sont en situation d’apprendre à leurs parents. Je ne sais pas si vous voyez ce que ça bouge au niveau de la relation familiale.

 

Fabien

« Avant d’être éducateurs on les perd. Finalement, malgré elle l’éducation nationale créée un malaise entre l’enfant qui va à l’école qui impose son modèle républicaine, et la sphère familiale. Donc comment est ce que l’enfant peut se situer, c’est ça en fait. »

 

Marc

« Oui c’est ça. Bon après je ne sais pas, les gamins qui s’en sortent bien ont trouvé le lieu de médiation et deviennent des gens qui s’en sortent bien, parce qu’ils n’ont pas renoncé à cette espace de valorisation. Mais aussi on a des gamins qui peuvent aller dans un refus total, qui peuvent tomber soit dans le refus total des parents en tant que lieu d’éducation, et ça donne des gamins qui traînent dans les rues sans que les parents puissent les ramener, ou alors ça peut aller jusqu’à des espaces de l’extrémisme, c’est à dire comment je vais répudier ce que l’on m’enseigne, et je vais revenir en survalorisant ma culture d’origine, et plonger dans des espace d’extrémisme. Parce qu’au départ il y a un lieu de la médiation qui ne s’est pas du tout fait. C’est des espaces d’aller retours tout ça.

 

C’est fragile une cohérence familiale. On est pour moi dans des lieux de difficultés qui sont essentiels à analyser : les lieux de médiations sont très important. Aujourd’hui il me semble qu’on est dans un lieu du refus de la complexité. Je trouve que c’est dommage qu’on demande à des éducateurs d’être des colleurs de pansements sur des jambes de bois et pas des porteurs de projets. Pourtant ils sont forgés pour être des porteurs de projets mais on leur demande de réparer dans l’immédiat, dans l’urgence et pas dans la création de projet. L’éducation nationale n’a pas les mêmes objectif, les enseignants sont là pour diffuser un savoir. Ce n’est pas facile mais ils le font.

 

Le gros problème c’est celui du glissement : on est passé de l’enseignement à l’éducation. Là où on était dans un lieu de la dispensation du savoir on est devenu éducateur à la place des parents souvent parce qu’il y a la faille, la peur panique qui peut s’installer. Ce glissement de vocabulaire est très significatif d’un espace de conflit social. Alors que logiquement, le propre d’un enseignement c’est d’être dispensateur d’un tronc commun nécessaire pour que chacun puisse s’affirmer dans la société. Normalement l’enseignement est là pour cette mission, il ne devrait pas avoir à faire de l’éducation, ce n’est pas son rôle, mais s’il y vient c’est par obligation. Si on regarde il y a ne serait-ce que cinquante ans encore, c’était aux familles d’éduquer leurs enfants. L’enseignant aujourd’hui il fait ce qu’il peut, ce n’est  pas facile pour lui.

 

Geneviève

« Les enseignants sont d’ailleurs eux même à cheval sur cette double mission, et ils ont du mal à se positionner dans une identité parce qu’ils savent très bien que dispenser des connaissances ce n’est pas la même chose qu’éduquer. Et là il y a constamment confusion de genre à) tous les niveaux. »

 

Marc

 

« Dans l’enseignement, je crois qu’il y a une prise de conscience qui commence à se faire c’est la notion de pluri culturalité, et ou de multi culturalité. Ceux sont deux mots qui vont devenir essentiels pour l’avenir : on est dans une phase de mondialisation par excellence, et qu’on le veuille ou pas, les cultures, les langues vont se rencontrer. Rire, C’est comme ça. Ces deux termes deviennent moteurs ; comment créer dans une classe multiculturelle un lieu de médiation possible  pour qu’on puisse enseigner. C’est cela aussi la vraie problématique de l’enseignement aujourd’hui.

 

Geneviève

« Mais on voit bien que le problème ne vient pas seulement de la culture. Toutes les écoles des ambassades où il y a des enfants qui viennent d’absolument de tous les pays, ça ne pose pas de problème. »

 

Marc

«  Oui  mais moi quand je parle de  culture, je parle autant du social que de l’inter ethnique. C’est évident que le problème migratoire ne poserait pas de problème en tant que tel si il y avait obligatoirement une compétence immédiate à nous comprendre. Mais ce qui va précisément poser problème, c’est on a des populations qui sont arrivées avec des cadres sociaux très différents. Et sin on émigrent d’un pays, ce n’est pas parce qu’on y est bien et riches. Si on migre dans un pays c’est qu’on est dans la difficulté et qu’on a besoin d’aller trouver quelque chose ailleurs. Donc c’est évident que cela attire des populations qui sont souvent issues de milieux très simples, rurales par exemple, et qui ont des difficultés à vivre. Elle ne peuvent pas faire autrement qu’immigrer la plupart du temps, sinon elles ne partiraient pas. Donc ça c’est aussi à prendre en compte dans la culture, et la notion de ruralité par exemple est une clef. On est obligé d’en tenir compte aussi si on veut être juste avec ce qui est en train de se jouer  dans la relation. On est dans des espaces qui sont très important à définir.

 

Anne

« Tu sais bien que Sarkozy  va régler le problème. » Rire. Léger brouhaha.

 

Marc

« J’ai écouté sur France culture ce matin, un reportage qui a été sur un meeting tenu par environ deux milles policiers qui, à propos de leur intervention dans les quartiers commencent à dire que ça ne fonctionne pas, qu’il faut remettre en place des éducateurs et que l’usage de la force ne fait qu’envenimer les choses au lieu de les régler. Ce n’est pas un lieu de médiation, c’est un lieu de réaction.

Fabien

«  Ils veulent revenir à la police de proximité, ceux sont les même en réalité qui sont passés de la police de proximité à la répression, et eux ils voient de prés …

 

Marc

«  Bien sûr, ils s’aperçoivent que ça marchait beaucoup mieux avant. »

 

Fabien

«  Enfin moi je ne sais pas, c’est ce que j’ai cru comprendre. » Sourire.

 

Donc j’avais relevé une phrase de J. Derrida, qui disait «  Les personnes déplacées, les exilés, les déportés, les expulsés, les déracinés, les nomades, ont en commun deux soupirs, deux nostalgies : leurs morts, et leurs langues[6][6]. »

 

Vous voyez là aussi, cette notion de « leurs morts »  c’est aussi quelque part la notion d’autochtonie, on a vu justement que ce  qui légitime l’autochtone, c’est le nombre de morts qu’il y a sur le territoire. C’est le lieu du leg, de l’héritage, posé depuis des générations et c’est aussi quelque part un «  comment dire les générations quand les morts ne sont plus là. » comment l’espace du cimetière, du rituel est aussi un lieu de la maintenance linguistique, un lieu où on travaille sur dire ce qu’était les descendants. Donc  quand il y a une mer entre les deux, une génération de morts, c’est pas évident d’arriver à cet espace de généalogie. On travaille nous même en psycho généalogie maintenant pour essayer justement de rétablir des schémas de compréhension, de sens de transmission. Donc quand la chaîne est rompue, ce n’est pas évident non plus. Il y a également dans cette perte, une part de la langue qui disparaît, parce qu’une langue elle s’affirme aussi dans l’inter relation entre des humains et dans une famille qui est une famille élargies comme dans la plupart des sociétés traditionnelles le village est presque une famille, c’est évident que la parole aussi circule entre les membres et c’est tout un lieu de structuration de la langue qui se joue au sein même de la composition familial.

 

Ça aussi on l’oublie beaucoup, c’est une fracture, un lieu de rupture. Dire quelque part comment le grand père donne une chose, la grand-mère en donne une autre, mais la tante également et les cousins aussi, et que ce sont des multitudes de langages, d’expressions, de visualisations, de représentations du monde qui enrichissent une langue. Elles sont autant de visions différentes qui mêmes proches sont autant de lieux de conflits possibles, même dans la famille. La famille est un lieu où la langue se forge.

 

Anne

«  Je pensais au genres du féminin et du masculin dans la langue, est-ce que dans toutes les langues il y a le féminin et le masculin ?

 

Marc

« Oui il y a deux genres aussi. Ça se retrouve dans toutes les langues, parce que toute langue est un reflet de la nature aussi. Il faudrait qu’il n y’ ait pas de perception de différence sexuel pour qu’une langue soit sans genres. A partir du moment où cette perception est là, elle est obligée d’être dite. »

 

Schaerazade

« Il y en a d’autres qui sont même encore plus précises. C’est par rapport à la pensée qu’on véhicule par exemple quand on parle d’une tante ou d’un oncle. Il y a la différence entre la tante qui est de la proche lignée, et la tante par alliance. On fait vraiment la distinction. Ça n’a pas du tout la même signification.

 

Anne

« Il y a deux mots alors ? ».

 

« Non, la tante on va la décrire «  la femme de mon oncle », on ne dit jamais ma tante pour une tente par alliance. Dans la langue on va dire, le mari de ma tante. »

 

Il y a beaucoup d’exemple la dessus, J’ai collecté un certain nombres de petites phrase comme Lévy Strauss par exemple, qui dit que le langage est à la fois le fait culturel par excellence et l’intermédiaire par lequel toutes les formes de vies sociales s’établissent et se perpétuent. Et inversement on est toujours avec cet espace où la langue n’est pas qu’une langue c’est vraiment un espace de transmission, de codes, de façon d’envisager même la famille, la façon d’être dans un espace et ceux sont les mots qui disent ça. Tu viens de donner un exemple qui est tout a fait précis. Le fait de dire la femme de mon oncle n’est pas la même chose c’est ma tante, cela signifie qu’on est dans un espace où la structure familial est énoncée, et on va être dans un lieu marqueur d’une famille traditionnelle avec tout ce que cela implique de connaissance  des structures familiales. Alors que nous on vit dans une société où on a de plus en plus de « mono parentalité » il y a aussi cette perte. Si tu n’énonces plus cette structure familiale entant que telle c’est tout un vocabulaire qui va se perdre avec. Il y a toute une structure de la langue, toute une multitude de visions du monde qui étaient acceptées parce que familiales, même si elles étaient en conflit, qui vont se perdre aussi.

 

Marion

 « Je crois que ça revient la diversité avec l’éclatement des familles, on dit c’est la femme de mon père. »

 

Marc

 « Oui moi je me souviens d’une enfant qui disait «  Ca c’est mon ancienne grand mère » rire général. Ceux ne sont que des mots mais des mots qui nous amènent dans des espaces qui sont signifiants. Langue est porteuse de ce cadre qui va signifier et donner une vision générale. Donc, si vous arrivez d’une société où le divorce n’est pas autorisé, et que quelqu’un vous dit et bien ça c’est mon ancienne grand-mère, avant de comprendre il va falloir faire un petit chemin. C’est deux faits sociaux qui sont là et la langue dit bien aussi cette incompétence de communication. C’est à dire qu’il y a un espace de traduction non possible parce qu' on n’a pas d’expériences de cet espace là, donc ce qui est intéressant, c’est dans cet espace signifiant de la langue, c’est aussi qu’elle retrace bien le fait d’une spécificité sociale, anthropologique. Et l’inter culturalité c’est aussi prendre ça en compte, il y a énormément de chercheurs en linguistiques qui ne tiennent pas du tout compte du fait culturel. On injecte des mots un petit peu comme on injecterait un vaccin en espérant que ça va faire effet mais derrière il n’ y a pas le sens qui  va avec. Il y a des mots qui pour les comprendre vraiment nécessiterait au minimum une journée d’accompagnement. Je sais pas, je vais prendre n’importe quoi, mais par exemple le mot révolution, qu’en France, il y a derrière tout un contexte, un contexte historique qu’on nous a enseigné, qu’on a appris, qui est en plus un lieu de valorisation identitaire, on ne sait pas trop pourquoi d’ailleurs parce que ça a été assez sanglant mais soit disant c’est l’acquisition des libertés. En tout les cas il y a tout un contexte symbolique qui va derrière et qui fait que ce ne sera pas la même chose si on parle de révolution dans un autre pays. Si vous parlez de révolution en Russie, vous verrez  que ce n’est pas tout à fait la même chose. Rire. Donc ce contexte de la langue  i est aussi important  à enseigner que les mots.

 

Anne

 «  En France, Pour la guerre d’Algérie on dit la guerre d’indépendance, et en Algérie, ils disent la guerre de libération.

 

Ce qui est important aussi c’est de comprendre comment la mémoire se dit malgré soit. Comme la mémoire est un lieu de notre identité, ie, c’est notre vécu qui donne notre potentiel de reconnaissance. Donc quand on parle de soi et qu’on échange, on est obligatoirement sur un lieu de l’échange mémoriel, même quand on fait des projets. Parce que quand on fonde des projets, on les fonde à partir de notre propre vécu, de notre expérience. Cette notion de mémoire c’est celle qui nous intéresse, celle qui fait qu’on est acteur. Ce n’est pas une mémoire de la nostalgie qui nous intéresse mais celle qui est dans la provocation de l’action et qui est peu prise en compte dans les études sociologiques, sur cette problématique de l’immigration en tant que lieu moteur.

On l’a beaucoup considéré comme lieu à se dire, souvent très nostalgique, mais pour moi ce n’est pas cette dimension la plus importante. La mémoire est cet espace où il y a une inter compréhension possible au travers de ce qui est dit.

 

Fabien

«  Alors ce serait la mémoire comme lieu de richesse. »

Marc

« Comme richesse oui, dans l’excellence, même si elle n’est pas  toujours  facile  à porter, mais surtout la mémoire comme un lieu fondateur de notre identité. Pour moi l’identité, elle devrait être au pluriel systématiquement. On n’a pas une identité, on a des identités. On est multiple. On est tous interculturel, qu’on le veuille ou non. Parce que quand on est dans un association on est dans une identité, quand on est dans une église, on est dans une autre identité, quand on est bureau on est encore dans une autre identité … ceux sont des identités multiples, on n’est jamais les mêmes. L’identité ce n’est jamais fixe. L’identité que j’ai la maintenant, demain, il peut m’arriver quelque chose qui fasse que je n’ai plus du tout la même identité. On est aussi dans des mobilités, dans des constructions identitaires permanentes.

 

Schaerazade

«  Et des fois ça peut poser problème. »

 

Marc

«  Ca pose problème, mais ça fait partie de l’humain. La plupart du tout ce qui se passe c’est qu’on essaye de se rassurer en se disant «  j’ai une identité. »

 

Fabien

«  Multiple. »

 

Marc

« Moi je dirai qu’on a une personnalité, un espèce de continuum de soi et puis après on a des identités en fonction de notre parcours. »

 

Benoît

 « Et puis il y a le langage aussi. Parce  que demain tu t’appelleras toujours Marc. »

 

Marc

 « A moins que je change de nom. Il peut il y avoir cela, des gens qui changent de pays et de noms, d’identité, et font autres choses »

 

Benoît

« Ce que je veux dire c’est qu’il y a une stabilité dans les mots que le phénomène du monde n’offre pas. »

 

Marc

« C’est un espace volontaire, recherché. On deviendrait fou si on devait changer de nom tous les matins. Il faut que l’on soit reconnu dans une espèce de cohérence.

 

Benoît

« Ben pour moi c’est aussi ça le côté efficace du langage. »

 

Marc

« Oui c’est ça, c’est un lieu de stabilisation aussi, la notion de reconnaissance est importante dans le langage, parce que c’est comment quelque part,  même l’écrivain en tant que tel, qu’est ce qu’il fait ? Il essaye de fixer à un moment donné, un espace sensible, un témoignage, un espace qu’il va construire avec ce que la langue lui offre de plus précis.

 

Benoît

« Intéressant. A ce propos, Platon dans le dialogue du Cratyle fait l’étymologie du mot homme, antropôn, une phrase contractée qui signifie «  Celui qui reconnaît ». Voilà, je vous laisse méditer[7][7]. Rire.

 

Marc

«  Oui c’est celui qui reconnaît et qui se reconnaît aussi. Cette notion de reconnaissance de soi et de reconnaissance des autres, c’est un lieu de l’anthropologie par excellence, et la langue nous sert beaucoup à ça. Qu’est ce qu’on fait quand on est en communication, on énonce quelque chose et on attend que l’autre reconnaisse la chose qu’on est en train d’énoncer, ou qu’on le dénonce, en tous les cas c’est un lieu de reconnaissance au même titre. Si on ne reconnaît pas il y a en mise en discussion. Mais dans la communication on est bien dans cet espace là. Alors la question c’est comment quand on est dans l’immigration dans la communication si on sent que l’autre ne peut pas nous comprendre, on devient muet et on ne parle plus que dans sa communauté. Si on sent que derrière on n’est pas compris et que notre chemin n’est pas reconnu parce qu’on ne peut pas le dire, alors on ne le dit plus. On se tait.

La notion de communauté de langue est très importante, s’il n’y avait pas de communauté d’accueil à un moment donné pour un immigré, il ne pourrait pas exister, ce n’est pas possible. Souvent c’est la communauté en tant que telle qui va  servir de médiateur. C’est la communauté qui va apprendre à faire la transition d’une langue à une autre, d’un savoir faire à un autre, à savoir être un autre. S’il n’y avait pas l’intervention de cette communauté ce serait catastrophique.

 

Si on prend un problème d’immigration qui a lieu dans le centre de la France qui a toujours été francophone, la relation a la langue et la rupture avec une langue maternelle n’est pas la même que celle qui est ici. Les conditions d’accueil sont dépendantes d’un territoire limité, on ne peut globaliser. Les cadres d’accueil dépendent du cadre géologique, géographique, historique … on prend souvent ici l’exemple de la connaissance du territoire des Cévennes de la communauté kabyle. Le territoire est tellement le même en Kabylie qu’ici que c’est déjà une capacité à reconnaître les plantes, donc à faire un travail de cueillette, qui est un lieu de l’économie. De fait, certains kabyles s’en sortent mieux que les gens de Lozère qui eux ne sont pas sur le même territoire. Cela a des conséquences le fait d’être sur ce territoire et pas sur un autre. C’est aussi être capable de recréer des façons de maçonner, des façons de choisir le matériel, de sa voir tailler de pierres… il y a tout espace de rituel d’un quotidien qui peut se prolonger mais qui ne pourront pas se prolonger si on le met dans un pays qui est granitique où il y a aura une perte totale de repères.

 

La qualité d’accueil d’un immigré dépend aussi du territoire lui même et de l’histoire de ce territoire. La relation a la langue dans un pays protestant n’est pas la même que dans un pays catholique. Dans un pays protestant où on a très vite appris à lire la bible en français, le français a été beaucoup plus vite appris que dans les pays catholiques où l’on parlait des langues de l’ordre du dialecte, et où la rupture dans la langue fut très forte puisqu’il n’y avait aucun connaissance du français. Tous ces éléments on ne peut pas faire autrement que de les prendre en considération, anthropologiquement il y a des espaces de rupture qui sont là et qui sont à prendre en considération systématiquement. Il s’interroger sur tout ce que le local va impliquer.

 

Fabien

«  Je pense à quelque chose, d’un point de vue  géographique, dans toutes les villes de France on retrouve le phénomène de la banlieue. »

 

« C’est que la banlieue d’est toute une histoire aussi. La construction des banlieues, ce n’est pas une construction volontairement dévalorisée et dévalorisante. A l’époque de l’après guerre, il fallait reconstruire en vitesse une grande quantité d’appartements détruits par les bombardements. On a construit des barres pour pouvoir donner un toit aux gens. Et si tu regardes l’histoire des quartiers, il y a tout un temps de cohabitation et de mixité sociale. Et puis l’économie faisant que les gens peuvent se loger là où ils ont les moyens, ils ont fait construire ailleurs. Les loyers sont tombé tellement bas que si sont regroupés les gens qui n’avaient pas les moyens d’aller ailleurs. En fin de compte c’est une paupérisation qui a crée le phénomène des quartiers. On se retrouve avec des concentrations de gens qui sont en difficulté sociale, alors après que ça rassemble des gens de l’immigration … oui, parce que sont précisément les premiers à rencontrer cette difficulté sociale. C’est un phénomène tout a fait logique qui se prolonge. Malheureusement quand les nouveaux immigrés arrivent, qu’est-ce qui se produit ? Ils cherchent des endroits où ils peuvent se loger à moindre prix.

 

Aujourd’hui les politiques ont entrepris la démolition de ces tours qui ne sont plus viables. Au départ de leur construction, elles furent perçus comme un progrès. La ville d’Alès par exemple, a été entièrement reconstruite sous cette nouvelle forme. C’était une très jolie ville à l’italienne, seulement à l’après guerre, ses rues, ses immeubles étaient tous devenus complètement insalubres. Donc quand on a dit aux gens «  vous allez avoir un appartement avec l’eau courante, le chauffage, les toilettes et l’électricité, ils sont signé immédiatement. » C’était un confort et un progrès absolument fabuleux. (Aparté, savoir d’un autochtone : deux éléments ont également favorisé cette reconstruction, le promoteur immobilier était le cousin du maire, et il y avait également l’argent nécessaire pour le faire. S’il n’y avait pas eu cette argent, Alès aurait peut être été réhabilité sans passer par la reconstruction systématique. C’est quand même fou de voir qu’il y a eu quinze hectares de ville rasés.)

 

 

Après la pause :

 

La question du méta langage renvoie à cette capacité qu’on a à s’interroger sur la langue elle même. Il y a un espace qui va rejoindre la notion d’enseignement mais c’est aussi comprendre comment même dans les traditions orales ou autres il y a une façon informelle de s’interroger sur la langue : devinettes, dictons… pour moi, la littérature orale a prévue, dans son enseignement, cette interrogation sur la langue. Et il y en a un qui est carrément fait pour ça, c’est le « virlangue » : les chaussettes de l’archi duchesse sont elles sèches archi sèches… c’était une difficulté à prononcer qui, souvent, si on le prononce mal (six trou, six doigts, …) nous fait tomber carrément dans le côté scato. Si on le prononce bien c’est quelque chose de tout à fait correcte mais si on le prononce mal c’est quelque chose de tout à fait tabou. Donc là on est dans un jeu où on s’aperçoit que la langue a une valeur ; au-delà de la pratiquer, il faut savoir bien la prononcer. Toutes les sociétés ont inventer des jeux de ce type, où l’apprentissage se fait dans des espaces non formels qui sont tout autant des lieux de méta langage. Il s’agit d’un espace où l’on sent bien que toute société a eu la nécessité de faire comprendre que la langue avait une valeur, qu’elle était structurée de telle  façon, et qu’il fallait savoir la manipuler : jouer  avec. C’est très important pour nous, parce que si on repère dans une société d’origine, des espaces de transmission de cet ordre là, alors ils peuvent devenir des vrais moteurs de médiations. Plutôt que d’inventer quelque chose d’autre, on peut, peut-être, s’appuyer aussi sur des espaces  existants. Donc là on est bien dans de l’actif, mais les choses sont à réfléchir. Par exemple le conte, pour beaucoup de chercheurs, comme Nadine Decourt, a trouvé quelque chose d’intéressant au niveau de la langue en travaillant au Yémen, elle s’est rendue compte qu’il y avait une façon de communiquer sur les grands marchés. Le Yémen est un lieu de croisement, un lieu de passage entre le monde Arabe et le monde asiatique. Ce qu’elle a observé, c’est quand les gens avaient du mal à communiquer ils racontaient un conte et cherchaient une situation qui racontait leur histoire. Le conte permettait de débloquer les espaces de non compréhensions. Donc elle a compris que le conte pouvait être un lieu de médiation linguistique, comme un lieu de médiation interculturelle et elle à mener en France des expérimentations faites sur l’inter culturalité et les contes. Elle a travaillé sur la notion de «  version » et sur le fait que le conte dit toujours un axe, un trame commune que chaque version affirmer, par rapport à cet axe, sa différence, son identité. N. Decourt a fait des expériences qui montrent que dans des classes de maternelle on peut déjà faire un travail de comparaison de version. Grâce à des découpages,  les gamins recomposent l’histoire dans une grande fresque où tous les contes sont affiché uniquement en lecture symbolique : uniquement des images.

 

Cela signifie que les enfants, d’une part, ne sont pas exclus puisque c’est un conte qui est aussi raconté dans leur tradition, leur culture, et qu’à partir de l’élément qui est commun à cette trame, ils peuvent percevoir la culture de l’autre, en voyant comment l’autre a raconté cette histoire là (comment l’altérité s’est impliquée dans l’espace). N. Decourt s’est rendue compte, au Yémen, que le conte choisi l’était toujours pour une raison : c’est un conte partagé, qui peut servir à affiner la compréhension par l’autre de ce qui est en train de se dire. Alors que dans une société traditionnelle là plupart du temps on ne dit même plus les contes. Les contes de Nasrédine, et de Chra, sont des contes d’à propos. L’image de Chra attendant sur sa barque n’a plus besoin d’être déroulée pour ceux qui connaissent l’histoire, elle devient un lieu de l’énonciation, qui permet d’affirmer. Par contre il faut que tout le monde ait déjà entendu à peu prés la même chose pour pouvoir être dans cette communication. On arrive à quelque chose qui est essentiel, c’est l’inter culturalité de la langue et qu’elle est chargée de référant. La langue en elle même n’est pas un lieu de neutralité, elle a ses propres références. Les impasses que l’ont fait en permanence dans une langue sont liées au fait qu’on pense que l’autre a acquis l’espace de représentation qui va avec. Dans l’inter culturalité, c’est un piège total. L’autre peut comprendre quelque chose de complètement différent. Cet espace de référence, dans un travail d’alphabétisation est très important. Il consiste à toujours s’interroger sur ce qui est entendu par telle ou telle expression. Comment le mot nous rapporte à des références qui développent le sens automatiquement. Ces automatismes de développement sont essentiels à prendre en ligne de compte dans l’inter culturalité.

 

Par exemple, il y a toute la notion des « concepts ». Qu’est ce qu’on a mis ce matin dans le mot langue ? Et qu’est ce qu’on y mettra cet après midi ? Comment nous on va être dans une traduction possible vis à vis de l’autre quand on veut lui parler de langue ? Comment allons nous partager notre acquis ? Le risque est de nous enfermer petit à petit, dans des sociétés spécialisées parce que justement on a la sensation qu’il y a que là qu’on est compris dans la plénitude de notre parole. Pour moi cela ça fait complètement partie de la problématique de l’immigration : comment est ce qu’on s’enferme dans une communauté parce qu’il n’y a que là qu’on est compris dans la plénitude de sa parole. La communauté est à prendre au sens large : ethnique, nationale, sociale ; il y a communauté entre spécialistes d’un endroit.

La notion de traduction est elle aussi importante. Le fait de dire à l’immigré qu’il faut qu’il traduise sa langue pourrait être retournée, ce serait à l’autochtone de traduire la sienne. Il y a un endroit utopique dans cette notion de prendre du temps pour être dans un développement de la langue avec quelqu’un qui n’est pas dedans. Il faut être dans un lieu de la reformulation, du développement de l’image. A ce moment là, alors on fait de la vraie alphabétisation. Au-delà de la répétition du signe, et des mots c’est ce temps de conversation qui est un temps d’échange de mémoire. Dans mon rêve le plus profond ce serait de demander à des retraités, des gens qui ont le temps d’être dans l’acceptation de l’image, de sa formulation … qui est un lieu de la rencontre. Et ils ont également la possibilité de demander à l’autre de prendre du temps pour comprendre ce qui est exprimé. A terme, c’est sûrement une utopie, mais ce serait le lieu idéal de la rencontre : un espace où la rencontre n’est pas éphémère, ie, un espace où on l’on se donne des rendez vous réguliers pour rentrer en conversation.

Le problème pour nous, si on veut aller dans la plénitude d’un échange langagier, il ne faut pas s’arrêter sur la phase du pratique, mais d’aller au niveau de la parole sociale, à l’ordre du symbolique par ce que c’est là que les axes sont difficiles à poser. Comment énoncer sa culture ? Le problème est qu’on vit sa culture sans en avoir une conscience pleine, et verbalisable. Car on n’a pas besoin de la verbaliser quand on est dedans, puisqu’on est dedans. Alors justement ce qui est intéressant dans l’interculturel c’est comment pour être compris, il faut être capable de verbaliser ce qui est quotidien, ce qui fait rituel du quotidien, d’une action spécifique et le sens que ça peut avoir pour l’autre, et pour nous en même temps. L’anthropologue a du travail à faire de ce côté, et pour l’animateur il y a un enjeu : savoir mener un débat, entrer dans la profondeur, et donc être dans l’obligation d’une traduction non pas approximative mais précise. Là on ferait un vrai atelier de langue, quitte à ce qu’il y ait un traducteur dans un premier temps.

 

Anne

 «  C’est ce qui a été fait  au Sep. Avec le travail fait sur les plantes, les femmes ont parlé de leurs recettes…

 

Marc

 «  Ce que je veux dire par là, c’est que pour moi le SEP est resté trop sur un élément pratico pratique. Le vocabulaire du quotidien est un lieu de la mise en pratique, ce qui me m’aurait paru intéressant de savoir aussi, c’était qui ramassait les plantes dans la tradition ? Qui s’en occupait ensuite ? Qu’est ce que sa représentait dans le système social ? Qui enseignait ? Qu’est ce que cela représentait au niveau symbolique ? En se posant ces questions on est dans la complexité de la langue. On n’est pas uniquement dans l’acte mais dans le « dire des choses complexes de soi »et la valorisation n’est pas obligatoirement aujourd’hui un savoir-faire. C’est aussi dans le savoir de comprendre qu’on est valorisé. On est une société du tertiaire, où l’intelligence se vend beaucoup plus que le savoir faire. Cette complexité de la langue est intéressante : comment l’énoncer ?

 

Aujourd’hui on a tendance à ramener les gens à un élément pratico pratique, et à les zapper dans leur intelligence. Toute personne a une intelligence fabuleuse, si ce n’est qu’elle n’est reconnue que si elle est verbalisée, communiquée, et beaucoup de gens sont dans l’incapacité de communiquer tout ça. J’en ai fait l’expérience en collecte. Il y a des fois où tu tombes sur des gens qui donnent l’impression d’être les derniers abrutis du monde, et puis au bout de deux heures d’entretien, tu comprends que il te faudrait minimum 15 ans si tu voulais capter son intelligence. Parfois la personne peut être dans le retrait, et rencontrer des difficultés à parler. Mais si on sait l’amener à énoncer et  qu’on l’aide à verbaliser les choses complexes. On s’aperçoit que c’est quelqu’un comme tout le monde, qui a une fabuleuse intelligence, une expérience unique, et un regard intéressant. Et ça c’est le problème dans l’immigration, pour moi il y a une sous valorisation qui implique une difficulté à se dire, et donc à être reconnu par l’autre dans son intelligence, sa façon de voir le monde. Parce que quelque part on ramène les gens à un côté » pratico pratique. Ils n’ont pas à élaborer de longs discours si ce qu’on leur demande c’est de faire du coffrage dans le BTP toute une journée. On ne va pas valoriser ce côté qui pour moi est un lieu de l’intégration. Pourquoi un intellectuel a-t-il plus de mal à se valoriser ? Tout simplement parce qu’il peut rentrer dans les conversations avec tout un espace culturel d’échange. Il peut expliciter, il a les outils pour expliciter son être, et du coup il est reconnu pour ce qu’il est. Donc là je dirai que la langue, c’est comprendre en même temps où est ce que cette langue est un moteur de valorisation, ou de construction de l’estime de soi (élément qui contribue à la construction identitaire). Aujourd’hui, entrer dans un groupe c’est être capable d’énoncer ce que l’on est. Il y a des personnes qui vont dire, « oh je suis maladroit dans ma parole, des grands timides, qui ne veulent pas sortir parce que quelque part, ils ont l’impression que tout ce qu’ils pourront dire va les ridiculiser. C’est la même chose avec beaucoup de gens issus de l’immigration. Si on travaille avec eux, on s’aperçoit que ceux sont des personnes qui ont une culture vraiment fabuleuse, et dès qu’il va falloir parler de façon naturelle, ç devient un effort terrible parce qu’ils ont l’impression qu’ils ne vont pas être compris, mais stéréotypés.

 

Savoir affirmer son intelligence, c’est un espace essentiel dans l’intégration. Dans nos premières années nous avons travaillé sur la transmission des parcours. Comment quand on commence à travailler en collecte avec quelqu’un qui énonce son parcours de migrant, la plupart du temps c’est vite fait : « on a pris le bateau puis on est arrivé à Marseille. » Trois mots. Cela a été vécu comme ça, mais c’est un lieu où on a envie de mettre le masque aussi, un lieu de la pudeur. Quand on commence à faire rentrer la personne dans le détail, l’histoire prend une ampleur qui, quand elle est entendue par les enfants, entraîne un changement de regard sur le parcours. Au lycée quand je discutais après avoir travailler sur des t témoignages dans des classes, il y a des ados qui m’ont dit «  maintenant je ne vois plus mon père de la même façon. Je ne sais pas si j’aurai fais ce qu’il a fait. » La verbalisation, l’intelligence offre la possibilité de comprendre. Mettre en mot l’expérience, c’est aussi ce qui fait la puissance du conteur, en l’occurrence du narrateur plus exactement, car le conteur ne se sert pas de son expérience mais d’une expérience collective. Le conteur ne parle pas avec sa parole mais avec une trace, une source de la parole collective. Il possède un répertoire dans lequel il pioche. Le narrateur lui va inventer en prenant ce qu’il a autour de lui, il va narrer son expérience : ce qu’il a vécu et sa façon de voir le monde. Ils sont tous les deux dans l’oralité, dans la narration mais il y en a un qui va se servir de quelque chose qui est de l’ordre du collectif et l’autre qui prend quelque chose de l’expérience individuelle. Ceux sont deux façons différentes de s’engager dans une prise de parole.

 

Voilà pour moi ce dont on peut tirer de la langue, dans un premier temps. Il faudrait étayer et voir un petit peu comment travailler point par point de façon plus précise. Le principe des séminaires c’est de s’interroger une journée sur les grands concepts, et d’essayer de voir si on peut en tirer des conséquences sur les actions pratique, ou des nécessités de collecte. Il faut déterminer quel type de collecte on engage. Que faut il aller collecter d’une parole ? Est-ce qu’on peut vérifier de par les faits des énoncés les gens qui sont impliqués par les éléments théoriques de cette méthode ?

 

On avait pensé avec Abdelatif Chaouite qui travaille dans un mode d’intégration, d’accueil, qu’il serait intéressant d’amener des médiateurs qui soient des médiateurs du monde rural.  Plutôt que d’accueillir des gens qui viennent du monde rural, dans un espace de premier contact, par des gens qui sont complètements urbains. Son idée ce serait de trouver une médiation intermédiaire et de faire en sorte que ce soit quelqu’un qui soit du monde rural qui accueille quelqu’un du monde rural, de manière à ce qu’il y ait, dans ce premier contact, des échanges de sensibilités, et qu’il y ait un lieu de la parole possible sur des espaces communs : c’est quoi le contact à la terre ? C’est quoi le contact à la culture ? À l’agriculture ? À l’élevage ? …

 

C’est sur cette expérience qu’une personne du monde rurale peut être valorisée. Pour cela, il faut quelqu’un en face de lui qui soit capable de comprendre cette expérience, de la partager sensitivement. Dans le cadre d’un atelier d’écriture la question est comment on va être capable de comprendre les espaces de valorisation des migrants ? Si on a quelqu’un qui arrive de Kabylie et qui s’est occupé des oliviers toute sa vie, il faudra quelqu’un en face de lui qui a fait la même chose. La parole sera plus facile même si elle n’est pas entendue dans la finesse des mots. Rien que dans le non verbal, la façon de faire des gestes, il y a déjà une traduction possible. Sachant que la traduction est très difficile aussi, on croit avoir compris alors qu’on ne comprend pas tout. On ne comprend pas tout parce que justement on n’est pas ancré dans la tradition, ni dans le savoir faire. Alors que deux personnes qui ont le même savoir faire, au delà des mots, quelque chose va circuler. Alors si à l’inverse on a quelqu’un qui a cultivé des oliviers toute sa vie, mais qu’en face on a un animateur qui a fait du RAP, cela risque de faire un sacré choc d’incompréhension : « Où est ce que je vais me trouver une valeur ? » Cela peut devenir une peur panique, c’est inquiétant. On a eu le témoignage de Mohamed Kanfou, dans Mémoires à partager, qui expliquait son arrivée à Avignon. Lui qui arrivait du Maroc, ce n’était pas une immigration obligée, il avait fait des études mais bon … quand il est arrivé à Avignon, il a vu ses remparts noirs, il s’est dit «  oh là, ce doit être le quartier des pauvres. Comme ce n’est pas blanchit, ni rien, c’est qu’ils n’ont pas les moyens. Donc il rentre derrière les remparts, commence à voir les magasins, les prix des vêtements. Et là il s’est dit, et ben si on est dans le quartiers des pauvres ! » Rires. Il est remonté dans le train, alors quelqu’un lui a expliqué qu’ici ce n’était pas du tout comme ça.

            Qu’est ce qui se joue dans cette perception ? Il a fallu un médiateur, quelqu’un qui était d’origine étrangère, et qui a commencé à travailler en médiation avec lui pour que cela puisse se jouer.

Anne

« C’est là que par rapport au public du SEP, où se sont essentiellement des femmes, je pense aussi que ça serait à des femmes des les accueillir dans un premier contact. »

 

Marc

«  Il y a déjà un premier contact. Pour la notion de l’herboristerie, le contact avec Alain Renaud a été très important parce que c’est quelqu’un qui a une connaissance pratique, et qui lors de la rencontre  pu valoriser le savoir de ces femmes. Ce n’était pas quelqu’un qui ignorait mais qui au contraire a passait sa vie à étudier et comprendre l’herboristerie, et elles aussi ont développé une connaissance, laquelle du coup, est reconnue par un spécialiste : qui reconnaît et valide un savoir.

Créer une identité c’est valoriser ce que l’on est, et son expérience laquelle ne peut pas être changée. Elle est là. Et, si on doit être reconnue ce ne peut être que dans cette expérience là.

 

Fabien

«  Donc la première étape avant d’arriver à l’interculturel, ce serait de chercher du co culturel. »

 

Marc

«  L’inter culturalité ce n’est peut être pas du co culturel mais du co savoir. »

 

Fabien

«  Du partagé ».

 

Marc

«  Oui, et c’est à partir de là que peut commencer à partager quelque chose. Je parlais du cas des oliviers parce que j’ai assisté à cela avec un ouvrier marocain qui avait beaucoup travaillé dans les oliviers. Il a été embauché dans un jardin, dont le propriétaire était ébahi de voir sa dextérité pour la taille, et de sa capacité à structurer l’arbre. On voyait qu’il y avait énormément d’expérience derrière. Et  avec un autre ouvrier, soit disant raciste, ils étaient entraient dans une vraie conversation, un espèce d’endroit de liens : » Mais comment vous faites ? Où est ce que vous avez appris ? … » Ils ont finalement discuté pendant deux heures sur les oliviers.

 

Voilà, il y a déjà un premier endroit qui est celui de la reconnaissance. « Moi j’aimerai bien mais je ne sais pas faire, lui il sait mais n’est pas de ma culture alors, mais il m’amène quelque chose… » Le principe est celui du don contre don[8][8], de l’espace de l’échange possible. Et cela je crois qu’on ne le travaille pas assez. Dans le lieu d’accueil, il y a un espace qui est souvent, encore une fois de plus, on essaye de parer rapidement à une nécessité : que la personne s’habitue au système. Mais on n’essaye pas de comprendre ce que cette personne a à nous dire, à nous apporter. Si on commençait par là, ce serait intéressant. « Qu’avez-vous de spécifique qui me permette d’entrer en contact avec vous pleinement ? » «  Quel est votre expérience ? » Et ça, je veux dire ... Qu’est ce que l’on cherche à faire dans toute conversation en général ? Pourquoi on aime bien quelqu’un ? Ben parce que quelque part il est capable de verbaliser son expérience…Allez dans un troquet, vous verrez ce qui s’échange. C’est ça la conversation, c’est ça la mise en relation. L’envie d’être avec d’autre c’est aussi l’envie d’être dans une conversation, d’être reconnu pour ce qu’on peut donner et pas que pour recevoir. Moi je dirai que le gros problème de l’accueil aujourd’hui, c’est que l’on veut vraiment beaucoup donner sans essayer de savoir de quoi l’autre a besoin. C’est notre grosse défaillance aujourd’hui, c’est aussi parce qu’on travaille dans des masses. La personne qui est venu nous parler des ateliers alpha nous a expliqué qu’ils étaient 60 par atelier. A partir de là je veux dire, ça devient difficile de donner une réponse qualitative, on est dans du quantitatif. C’est pour cela également que je dis que c’est encore un peu une utopie, parce que cela engage une implication individuelle, un lieu de la motivation. Mais à terme, ce serait très intéressant, sur le terrain de pouvoir dire «  bon moi dans le coin je connais des gens qui font telle chose, telle chose, telle chose, j’accueil quelqu’un dans cet univers pour le mettre en communication. » Comment peut on faire pour commencer à échanger à ce niveau là ? Il faudrait presque un lieu de l’atelier obligatoire.

 

Fabien

 «  C’est pour ça peut être que le sport est un lieu formidable… »

 

Marc

«  Oui parce que c’est un lieu de la reconnaissance dans une compétence corporelle. Donc là il n’y a pas besoin des mots. C’est la qualité de la performance physique. C’est comme les musiciens. C’est un autre langage, un langage du sensible. Il suffit de regarder comment l’autre fait, de comprendre. On est dans un échange dont il résulte une intercompréhension immédiate. Ce n’est pas toujours évident car les modes ne sont pas toujours les même, mais il faut être curieux. J’ai assisté à la rencontre entre un joueur de Wood avec Ahmed Bousine qui connaît des modes maures de music. En l’affaire d’une demi heure, il lui a transmis ce qu’il savait.  En même temps une grande complicité s’est crée, car Ahmed était à la recherche de quelqu’un pour transmettre ces modes là. Et même il a appris d’autres choses. Si cela se produit c’est parce que c’est un lieu de l’échange. C’est un lieu où il y a une reconnaissance dans une qualité.

 

La langue peut permettre cela mais il faut que la personne soit consciente du méta langage. On peut dire à la personne «  attendez vous avez appris une langue naturelle, on pourrait réfléchir sur votre capacité à analyser. » Les gens ne sont pas cons. Ils sont très vite dans la capacité même si ceux sont de purs illettrés, on peut arriver à de l’intelligence langagière très vite. C’est une méthode que j’emploie avec le centre d’illettrisme en utilisant le conte, comment faire traverser la langue, c’est déjà faire prendre conscience petit à petit des règles sémantique, sémiologiques. Dans l’oralité, on peut faire un gros travail d’apprentissage linguistique qui permettra ensuite de faciliter l’écriture. Ce n’est pas parce que quelqu’un est illettré qu’il n’a pas la capacité à être sur du méta langage. Bien au contraire parfois, car il a été obligé d’élaborer d’autres conscience pour pouvoir communiquer. Mais souvent on va lui demander immédiatement de pratiquer l’écrit. Alors que si on travaille justement un peu comme avec le tailleur d’olivier, qui a une compétence sur l’oralité, et qui va se servir de cette compétence pour valoriser sa propre compétence dans la langue, on a un lieu de médiation qui se met en place et ça va 10 fois plus vite. Parce qu’on est en un lieu d’intelligence et pas dans une application de loi ou de règles qu’on ne comprend pas. Pour qu’il y ait un passage, une inter culturalité entre les cultures, il faut un accès à ce méta langage. Sinon on rentre dans le cycle de l’initiation, on retourne dans la situation de l’in-fant (l’enfant) celui qui n’a pas de parole, et qui du coup est pris en otage de la langue des autres. On lui demande de faire toute une régression, il doit renoncer à sa culture pour s’ouvrir sur une autre. C’est donc une mort symbolique pour reconstruire quelque chose d’autre. Cette initiation est hyper douloureuse. Maalouf le dit bien, c’est quelque chose d’impossible. En faisant du renoncement à une identité préalable on tombe dans une schizophrénie. Ce qui paraît intéressant aujourd’hui c’est d’être dans cette double culturalité.

 

Si on regarde les grands praticiens de la langue française, comme Maalouf, qui parle 4 langues, et est un auteur français fabuleux, ceux sont ces gens qui baignent dans le plurilinguisme qui ont le plus de succès. Peut être parce qu’on reporte la connaissance d’une langue à une l’autre. Les langues ont des choses en commun et dans la compréhension du fonctionnement, quand on est capable de faire du métalangage sur sa langue maternelle, on peut très vite le reporter sur sa capacité à faire du méta langage dans la langue d’accueil. Si ce n’est pas le cas, c’est très compliqué.

 

Benoît

« Tu pourrais préciser ce que tu entends par métalangage ? ».

 

« Il s’agit de la capacité à comprendre comment fonctionne sa langue. Prenons quelqu’un qui parle un arabe dialectal et auquel on demande d’apprendre le français. Si il a compris comment fonctionner sa propre langue ou si c’est une langue orale, il va trouver des tas de clef qui vont constituer autant de parallèle qu’il va pouvoir immédiatement reporter dans la langue qu’on lui demande d’apprendre. On parlait hier de Dumézil qui parlait trente langues dont onze mortes, mais quand on a compris comment fonctionne une langue et qu’on commence à voir comment elle se différencie des autres, c’est un espace de relation qui devient presque naturel. Mais si on ne sait pas comment fonctionne sa langue, c’est souvent le cas, nous même, nous ne le connaissons pas forcément puisque nous la pratiquons. On ne se pose pas beaucoup de question sur son fonctionnement, sauf quand on est obligé. Toute personne a la capacité de s’interroger sur sa langue, ses modes et son fonctionnement. Si ce n’est qu’il faut un guide qui ait lui même fait déjà un parcours un peu théorique et qui puisse mettre en relation la personne à sa propre langue.

 

Je suis convaincu qu’on aurait ne serait-ce que deux ou trois jours de mise en interrogation avec un intérêt  sur le fonctionnement de sa propre langue, avant de commencer  à travailler sur l’acquisition d’une autre langue, on gagnerez du temps. Largement. On ne le fait pas non plus dans les lycées. La plupart du temps lorsqu’on apprend une langue, on essaye de nous l’apprendre presque comme une langue naturelle. Ou alors ce qui va se passer avec les meilleurs des profs, mais il n’y en a pas beaucoup, c’est qu’on va faire du méta langage sur sa propre langue par l’intermédiaire d’une langue étrangère. Rire. On est obligé de faire la relation en permanence entre les deux langues. Si on apprenez l’anglais en faisant un travail de méta langage sur le français, cela irait beaucoup plus vite parce qu’on aurez des éléments de comparaisons, de mise en parallèle.

 

Anne

«  Oui mais ça c’est un travail très intellectuel quand même. »

 

Marc

«  Toute personne a cette capacité. Moi je travaille comme cela avec de s paysans qui parlent occitan, et lorsqu’ je leur demande de s’interroger sur l’occitan, je peux te dire qu’ils ont une sacrée connaissance de la langue, et de comment elle fonctionne, mais encore fut il leur poser les bonnes questions. Quand tu leur demandes «  pourquoi tu as choisis cet adjectif là ? » ils savent très bien te le dire. Mais il faut leur poser la question. On ne s’interroge pas parce que la communication est quelque chose qui se fait naturellement. Cela marche pourquoi s’interroger après tout. Ce n’est que quand on est malade que l’on s’interroge sur le corps. Tant que le corps fonctionne bien, on ne se pose pas de question sur son fonctionnement.

 

C’est pareil pour l’inter relation des langues. Tant qu’on n’a pas besoin de parler anglais on ne pose pas la question du fonctionnement de sa langue. C’est quand on arrive dans un colloque et qu’il faut commencer à bredouiller quelque chose que là on se dit «  merde ». Rire.

 

Benoît

« C’est sûr, beaucoup de gens vivent sans avoir conscience de ce méta langage, donc  … (là je n’ai pas finie ma phrase mais je voulais dire, «  donc la question est comment le rendre accessible ?)

Marc

« Oui, et la langue c’est un espace symbolique. Comme tout espace symbolique, du moment qu’on est pas dans cette lisibilité du fonctionnement : on est dans l’espace de la manipulation possible. »

 

Fabien

« Et puis il y a un problème au niveau des représentations. Dans ma génération on croit, je ne voudrai spas faire de généralité, mais je pense qu’on croit qu’il n’y a que le français. Au niveau de la représentation de la langue français. Bon peut être que c’est hérité depuis l’académie française. Mais on a tellement une représentation de la langue française avec ses valeurs universelles, qu ‘on est pas forcément curieux d’aller vers d’autre langue.

 

Shéhérazade

« On en oublie les autres. »

 

Anne

« C’est quelqu’un de la francophonie qui dit ça. »

 

Fabien

« La plupart des francophones sont biens, mais c’est plutôt que pour revenir après vers l’occitan, les écoles calendrettes dérouillent dès le primaire et donnent des outils, des clés à la compréhension. Ceux là auront plus de facilités, et iront plus naturellement vers les autres langages.

 

Marc

« C’est justement pour cette raison qu’on apprend à nos enfant l’anglais dés les classes primaires, mais pour moi, de façon encore très maladroites. Ce n’est pas une question de connaître l’anglais. C’est une question de connaître sa langue et de pratiquer une autre langue pour mieux connaître sa propre langue. Plus on travaille sur d’autres langues mieux on connaît sa propre langue. Parce qu’on entre dans un espace de comparaison possible. Donc du coup on a un méta langage automatique qui se met en place. Et c’est tout le problème, aujourd’hui dans l’enseignement on n’envisage pas les choses comme cela. Une fois de plus on va vers la notion d’un utilitarisme, et on reste dans le pratico pratique.

 

«  Et si je peux me permettre de répondre. Au niveau de la francophonie, ils ont compris qu’il n’y avait pas que le français. Et ils ont une notion assez récente qui est celle de  « langue partenaire » : on ne parle pas le français comme une langue dominante mais comme une langue à côté des autres, les dialectes africains, l’anglais… pour plus qu’il n’y ait ce rapport de domination. Oui, ils en sortis de cette idée. Sourire. »

 

« Oui mais elle a duré très longtemps, jusque dans les années soixante dix encore. Il y avait un discours sur la langue française.

 

Anne

« Et aujourd’hui encore. »

 

Marc

« Avec tout ce qui va derrière, les valeurs, les droits de l’homme qui vont avec, c’est tout un espace connoté. Comme dans toutes les langues de toute façon, il n’existe pas de langue non connotée. »

 

Anne

« Oui mais le français peut être encore plus que d’autre. La langue est brandie comme un étendard dans les autres pays, ce qui manifeste une pensée encore emprunte de colonialisme. »

 

Marc

« C’est pareil dans tout les autres pays du monde. Sin tu prends les universités américaines. Donc c’est peut être  bien de faciliter pour aller apprendre la langue. Une langue est un lieu de transformation de la pensée, c’est un lieu de la post colonisation la langue. On colonise sur la violence mais aussi sur le mental. En ce moment le phénomène de mondialisation en tant que tel, la guerre des langues est quelque chose de très important. On sait très bien que quelqu’un qui avoir un pays avec une majorité de francophones va plutôt choisir économiquement de négocier avec un pays francophone plutôt qu’un  pays anglophone ou autre. Il y a tout une processus de post colonisation qui se joue la dessus aussi. Le gros risque est que l’uniformité culturelle, dont on a si peur, se joue entre quelques langues dominantes, qui vont avec des cultures dominantes. C’est sûr que les peuples complètement isolés que l’on dit primitifs ou premiers, ont des langues qui sont tellement peu diffusées, qu’ils sont les premiers visés. Donc qu’est ce qu’ils font ? Le premier  endroit qu’ils ont pour se défendre c’est le repli. Pour ne pas être touchés, à un moment ils seront rattrapés de toutes façon, ils se replient complètement et refusent tout ce qui vient de l’extérieur.

 

Le fait d’accepter une langue minoritaire en France, c’est quelque chose de difficile. Au niveau des lois qui sont passées ce n’est pas évident. Parce que justement on a peur qu’il y ait une fracture dans l’unité nationale qui est fondée sur la langue qu’on a peur de la régionalisation. On comprend à partir de là qu’il est pour nous difficile d’admettre que des langues viennent de l’extérieur. On a déjà suffisamment peur de la fracture que peuvent occasionner nos propres langues autochtones, comment n’aurions nous pas peur devant celles des étrangers. Il y a quelque chose que les politiques savent fragile au niveau de cette unité là.

 

Shéhérazade

 «  Oui, et puis il se peut aussi que la religion se colle à langue aussi. »

 

Marc

«  Derrière les langues minoritaires il y a aussi la revendication d’indépendance, la notion de régionalisation politique … On a vu en Espagne comment ça se passe avec la catalogne.

 

Anne

«  Oui mais c’est vrai que là Shéhérazade  soulève le problème de l’arabe qui aujourd’hui est associé à  (hésitation)

 

Marc

«  À l’extrémisme islamiste. »

 

Shéhérazade

« Oui aujourd’hui on le voit de plus en plus, il y a encore dix ans on ne faisait pas cet amalgame. »

 

Marc

« Je pense qu’après c’est la part des médias qui mettent en exergue certains éléments. Les médias ne sont pas neutres. Même sur France Culture on n’a plus d’émission de plus d’une heure. A l’époque il pouvait y avoir des émissions de deux heures.

 

Anne

 «  Et alors tu conclu quoi de cela ? »

 

Marc

«  Et bien que quelque part les médias sont  en train de nous matraquer de flashs et de stéréotypes, d’idées reçues, et qu’ils ne nous offrent plus la possibilité de réfléchir sur les choses. Donc c’est comme cela que l’on crée, sur le monde islamique par exemple, la confusion entre l’islamisme extrémiste et l’islam en général.

 

Shéhérazade 

« Et puis même on dit aussi à quelque un d’origine maghrébine, «  tu es un musulman » on ne fais plus la différence.

 

Geneviève réagit sur la médiatisation du licenciement de 43 bagagistes d’air France licencié parce qu’ils pratiquaient leur culte.

 

Marc

« Je pense que tous les jours il y a des débats de fonds animés par des gens éclairés, proposés sur des émissions comme France culture, mais qui écoute cette radio ? Ils sont à 5 ou 6 pour cent d’audimat grand maximum, ceux sont des gens convaincus d’office qui écoutent pour se conforter. Le vrai travail n’est pas  à faire là, c’est bien que cela existe mais je pense que ce n’est pas là que ça doit se passer. Moi je crois plutôt dans le fait d’une conscience éveillée dans les acteurs du social parce que là il y a des relais à faire. Ceux les gens  qui travaillent sur le terrain qui peuvent rendre la parole là où il y a du vide.

 

Laurence Loope une historienne de l’art de la danse, dans d’autres contextes, disait que quand il y a des vides il faut éviter de les laisser trop longtemps vide parce que ceux qui se mettront à contribution pour les remplir ne seront pas obligatoirement les plus intéressants. Les vides aujourd’hui on ne sait plus trop comment les remplir alors certains s’y engouffrent directement.

 

Anne

« Ben oui, il faut leur donner des sous aux associations. »

 

Marc

«  Ce n’est pas qu’une question de sous. »

 

Anne

« Ah oui mais depuis quelques années quand même. »

 

Marc

« Il faut que cela existe mais je pense que c’est surtout un espace d’engagement personnel. C’est pour cette raison, je pense, que le travail sur l’immigration ne peut pas être conçu indépendamment d’un travail sur l’autochtone, une fois de plus c’est un lieu de l’engagement similaire, et non que par l’association. Tant qu’il n’y aura que des associations pour faire un travail comme ça c’est qu’on sera sur une décision boiteuse alors que pour moi cela fait partie de la citoyenneté. L’association c’est un lieu de compensation. C’est un espace où il n’y a pas de sous pour faire fonctionner donc les gens se réunissent pour pouvoir compenser un manque, la plupart  du temps. La dérive de l’association est qu’elle devienne un lieu de la compensation parce que comme on pas envie de mettre les moyens on travaille avec des petits tarifs, ou alors qu’elle devienne un lieu d’autosatisfaction des acteurs sociaux, un espace de valorisation de certaines personnes qui parce qu’elles n’ont pas de reconnaissance ailleurs viennent chercher une reconnaissance en cet endroit lequel n’est plus nécessairement un endroit de la compétence. L’association peut devenir un endroit où la générosité fait du mal en voulant donner du bien. Le don peut être  dangereux s’il est en demande de contre don beaucoup plus important. C’est un système génial mais en même temps il y a ces deux dérives possibles. Il faut être rigoureux dans le fonctionnement.

 

 

Après midi :

Note il me manque le début de la citation qui va suivre

… par renier sa propre identité culturelle (donc la langue par la même occasion car l’auteur considère que cela en fait partie) engendre des troubles de personnalités et des traumatisme profonds ainsi que des réactions et des compensations évidentes. »

Ces traumatismes se génèrent, d’après le psychanalyste Paul Parain, pendant plusieurs générations. Le fait de nier ou renier une culture, le processus d’éviction d’une langue par rapport à son importance sociale engendre les mêmes conséquences.

 

Shéhérazade

« On le voit avec l’actualité aujourd’hui. »

 

Le troisième point que nous n’avons pas traité ce matin est cette question de la transmission sur les générations. On s’aperçoit par exemple que dans le Rap, il y a une recomposition de certains types de mots qui sont déjà des inter culturalités en soi, et ce ne sont pas obligatoirement des jeunes qui sont en relation complète avec l’immigration récente mais qui ont puisé dans des chose qui sont émotivement fortes de la langue maternelle, dans des espaces qu’ils ont besoin de faire resurgir même dans une langue  qui se veut sans racine.

 

On est dans un espace où la notion de racine en tant que telle, la racine par la langue. C’est un lieu important car la langue peut rester plusieurs générations, trois à quatre, comme étant un lieu de retour vers des origines possible. En ce sens c’est aussi un espace d’identité. Les conséquences sont multiples. Soit on a des gamins qui sont dans la résilience totale, qui ne veulent plus avoir de racine, et vont en forger de nouvelles mais cela suppose qu’ils soient dans une identité reconnue et dans une reconnaissance de l’autre, en bref que la situation soit équilibrée. Soit on va tomber sur de gamins qui sont sur des sables mouvants : pas de lieu d’enracinements possibles. On a des témoignages comme «  Comment voulez vous que l’on fasse racine quand on vit dans le cinquième étage d’un immeuble en béton et qu’il n’y a que du bitume au sol. » C’est intéressant cela nous ramène à la notion de la terre, du rural. Ces enfants sont sur des espaces où il n’y a plus de possibilités de constituer des racines et on se retrouve avec le phénomène assez classique de la tribalisation : pour reconstituer une identité on va refaire tribu. On va constituer un groupe où on se forgera des normes, des valeurs, des espaces de références dans lesquels on est reconnu. Et à partir de là la reconstitution de ce groupe n’est pas obligatoirement en conformité avec des normes nationales mais  en rupture. Le problème de la tribalisation des quartiers implique es conflits entre les tribus elles-mêmes parce qu’on veut s’affirmer vis à vis à des autres.

 

Fabien

«  Est-ce qu’en l’occurrence on peut parler de repli communautaire. »

 

Marc

« Ce n’est pas un repli communautaire du tout. C’est une phase de tribalisation ou clanisation, de gang. On recrée identité par rapport à un petit groupe parce qu’on ne peut pas être reconnu ailleurs. Alors que le repli identitaire est un retour vers sa communauté d’origine ce qui n’a rien avoir avec le phénomène tribal ou clanique. A termes avec ces clans  là on va retrouver une multi culturalité : des jeunes de toutes les origines qui ont décidés de refaire sociétés, un endroit de valeurs qui leurs sont propres. Plus la langue est inaudible par l’autre et mieux c’est.

 

Là on arrive à des choses qui sont très embêtante pour l’éducation en générale, ie, on a des jeunes qui s’auto suffise dans cette référence. Les jeunes développent tout un savoir, toute un expérience : ils sont dans un e marginalité presque d’office. Pour les faire travailler c’est très difficile puisqu’ils n’ont même plus les codes généraux de la société. Ils vivent sur un mode tribal codifié selon leurs propres références. C’est ce qui pose le plus de problème dans les bahuts, dans les collèges parce que précisément ils sont en refus avec tout ce qui vient de l’extérieur.

 

Là on voit que la langue est très importante encore une fois, car ce refus de langage peut entraîner une limitation du vocabulaire qui parfois ne compte que trois cent mots. C’est un langage très pauvre dans lequel ils s’auto suffisent. L’expression du corps devient très importante (par compensation). Toutes les joutes de rivalités, tout ce qui peut faire sens au-delà du langage devient un vrai enjeu. Ceux sont ces jeunes là qu l’on retrouvent à l’écran et qui disent « nous on ne sait pas dire  comme vous, alors on casse. » on se retrouve dans un espace qui amène à la violence, quand on ne peut plus dire on réagit avec le corps et non avec le verbe.

 

Tous ces espaces de langages sont des lieux que l’on retrouvent dans les analyses sociologiques des jeunes qui sont en rupture de parenté, avec la famille traditionnelle. Comment est il possible pour ces générations, dont les parents ne sont pas valorisés, et qui se trouvent en marginalité de leur propre famille, de faire sens autrement que dans la tribu ?

Que doit faire quand les valeurs de la famille ne sont plus validées ? On retombe dans ce que Durkheim appelait l’anomie[9][9] : l’absence de normes.

 

Anne

«  Quoique la sœur si on y touche euh… »

 

Marc

«  Oui il y a du résiduel, mais en même temps on est capable pour sa sœur de faire ça, et d’aller faire des tournantes à côté avec la sœur de l’autre tribu. Je crois qu’il y a tout un espace de volonté de se mettre en marge pour être identifié. La valorisation va complètement changer. Tout cela a des conséquences sociales bien sûr. Dans notre collectage, on a eu un jeune qui de façon logique et posée nous a dit «  Moi j’ai un frère qui est Bac plus 5, il travaille chez Cora, il fait le ménage. Et puis j’ai un autre frère qui est dealer, il travaille deux heures par jour il se fait une  fortune. »

 

Shéhérazade

« Le choix, il est vite fait. »

 

Marc

« Il y en a un qui est complètement dévalorisé dans sa fonction et l’autre qui est complètement dans la norme du quartier : il a la belle bagnole… et quelque part on voit bien qu’il y a tout un système de valeur qui va se mettre en ligne de compte dans leur références mêmes, quand la société laisse traîner. »

 

Geneviève

«  Et alors est ce qu’on aura accès au témoignages qui ont été recueilli par l’association « assez le feu » (AC Le Feu). Ça me paraissait intéressant ce qu’ils ont fait, cette association a manifesté récemment, à l’enfer rocheraud ; ils ont fait des enquêtes dans tous les quartiers et ont recueilli des cahiers de doléances comprenant 20 000 plaintes. »

 

« Le cahier de doléance, c’est vrai que c’est intéressant, mais c’est une expression réactive. Moi dans la collecte la doléance ne m’intéresse pas trop parce que c’est une lieu où on peut déjà prévoir avec une analyse fine ce qui a été posé. Par contre, ce qui m’intéresse, c’est de voir comment cela est vécue. La collecte doit nous permettre de comprendre la complexité qui se joue quand on est   dans ces difficultés. »

 

Marc

« Le travail qui est très en retrait et marginal d’Abdelatif Chaouite se pose dans un lieu où il refuse le réactif. Quand quelqu’un vient poser une réaction, il lui dit « attend on se pose, d’abord on réfléchit. On ne parle pas comme ça. Ce qu’il faut c’est s’interroger sur le fond de sa propre réaction. Et ça c’est la grosse différence entre quelqu’un qui est sur le terrain en tant que sociologue, ou chercheur, et un journaliste. Le rôle du journaliste, c’est de capter la réaction. Il témoigne des réactions qui sont entrain de se faire. Je pense que le journalisme d’investigation ne devrait pas focaliser seulement sur la réaction. Il faudrait qu’il se fonde sur un travail d’étude global qui cherche à comprendre le pourquoi de la réaction.

Il est difficile de trouver un journal qui fasse ce travail d’enquête là. Il y en a de moins en moins. Le Monde qui à l’époque était un journal qui se voulait dans cet espace justement d’introspection est devenu un lieu de l’information abrupte : sans analyse. Il y a le mot d’un anthropologue qui est Joël Candau qui travaille sur la mémoire, l’image et le sensitif et qui dit qu’on est dans une « iconorrhée » : l’image de plus en plus rapide, comme une diarrhée  en fin de compte d’images subliminales. Pour lui une image, si on souhaite l’analyser, il faudrait qu’elle dépasse la minute quarante. Pour que l’image soit vraiment saisi, et qu’elle devienne un objet de réflexion c’est une minute quarante.

 

Shéhérazade

«  Ah ben on est loin ! » Rires.

 

Marc

« Ce qui représente une très longue publicité de cinéma. Il est important de ^prendre conscience de ce bombardement d’images qu’on n’a pas le temps ni de ranger, ni de structurer et mais qui sont impératives pour nous car elles agissent sur nous de façon sous jacente. C’est un langage en tant que tel ; le langage de l’image est très important dans notre société occidentale. Il est vrai que si vous allez  au cinéma et que vous voyez une image qui dure une minute quarante, vous allez vous dire : « C’est  un plan séquence, qu’est ce qu’il veut me dire ? » mais en tous les cas cela devient pour nous presque un réflexe de lassitude, parce que c’est long une minute quarante.

 

Marion

« Pour changer de plan, on compte huit secondes. Si l’acteur ne bouge pas, il faut 8 secondes pour changer un plan. »

 

Marc

«  Cela dépend du réalisateur, si tu prends Lin Vanders par exemple il y a des plans fixes qui durent jusqu’à sept minutes. Je regardai encore « Alice dans les villes » récemment, un de ses premiers films, c’est fou quoi. Il y a un seul plan pendant sept minutes. Voilà mais c’est aussi avoir conscience de ce qu’est un image et de ce qu’elle peut provoquer : c’est un travail d’écriture l’image, comme le reste. Donc c’est aussi bien de mettre en comparaison comment cette rythmicité de l’image bombardée en permanence sur une société devient aussi une pluricité de la parole, qu’elle conditionne de fait. Pour moi aujourd’hui, quand on parle est  on vraiment capable de se demander si on fait vraiment image chez l’autre. Est on encore capable d’oser décrire une image plus lentement pour que l’autre puisse rentrer vraiment dedans. Quand je fais de la collecte, à Sobres c’était le cas, c’étaient des bombardiers de réactifs. Quand on travaillait sur la fourche, onomatopées de bruits qui fusent. On laissait passer la tempête, puis on revenait sur une image : on a travaillé sur le bourgeon pendant une heure et demi…

 

On est obligé d’arrêter les gens pour ne pas qu’ils s’éparpillent dans mille sujets mais qu’ils fassent l’effort de rester sur un sujet. Ce n’est plus un réflexe normal, c’est un lieu qui est complètement marginal dans une prise parole de se fixer sur un sujet. On a tendance à vouloir nourrir et nourrir des quantités de choses. Silence dix à quinze secondes.

 

Dans les troisièmes ou quatrièmes générations, la marginalisation voulue fait partie des espaces à étudier, parce qu’elle signifie qu’on a plus de possibilité de relation à des racines intérieures. Et puis en même temps il y a cet espace de la rythmicité de parole qui est de plus en plus accéléré. Le rap est quelque chose d’intéressant à ce niveau là. C’est un lieu où il y a la fois une fracture permanente dans la rythmicité de la parole et des corps (le break danse : lieu de la désarticulation du corps comme s’il était fractionné). C’est un lieu où pour faire quelque chose de global il faut passer par toutes les fractions.

 

Anne

« Comment un dessin animé ? »

 

Marc

« Oui c’est un lieu de fractionnement permanent ; alors c’est à la fois intéressant parce que c’est une conscience du corps : tu ne peux pas faire cette fracture si tu n’as une conscience de la ligne mais en même temps c’est une décomposition, à telle point que le message global est difficile à entendre. C’est un lieu de chao quelque part. un reflet du chaos. On retourne à des multitudes de signifiants qui ne font pas obligatoirement sens. Ce n’est pas forcément un lieu de communication du sens, c’est un lieu du sensitif mais sans sens. On peut ressentir des choses mais sans obligatoirement les comprendre. Sauf pour certains rappeurs qui sont des rappeurs de texte, mais c’est souvent un lieu de parole fractionnée.

 

Fabien

« Moi j’aurai aimé dire que c’est une affirmation le rap, mais je ne sais pas, je ne voudrais dire cela par esprit contradictoire. C’est ma perception »

 

Marc

« C’est une affirmation identitaire mais qui se pose dans une volonté de non référence. C’est comme si le non référent s’appuyait sur un espèce de chaos ressenti.

Fabien «  Mais alors ce matin vous avez justement expliqué  que  ça venez des Etats Unis, donc il y a une référence  au rap des états unis, un rap revendicatif. Je suis sûr que si on regardait les textes on trouverait de multiple références…

 

« Ca dépend desquels, comme je disais il y a des rappeurs qui travaillent sur les textes, je pensais à … comment il s’appelle déjà ?

 

Fabien

«  Passy »

 

Marc

 « Il est devenu célèbre maintenant. »

 

S «  Moi j’aime bien Joey star »

 

Marc «  non plus ancien que ça ; il est de la vieille école. »

 

Benoît à S « Ah mais il travaille ses textes Joey. »

 

Marc « bon il est dans une parole plus poétique peut être, et forte

 

Benoît « Solaar ? »

 

Tous «  Solaar »

 

Marc

« MC Solaar, c’est quelqu’un qui dans ses débuts, moi je trouve au niveau du rap, il a vraiment une parole chargé de sens et d’un rédactionnel qui était vraiment très très classique. Bon alors c’était pas le référant de rap des jeunes hein,

 

S «  Non, non. »

 

Marc

 « C’était un lieu de médiation, c’est plutôt quelqu’un qui était dans l’écriture. Pour avoir travaillé avec des jeunes rappeurs, je pense qu’on retrouve les deux. On est tombé sur des rappeurs qui se servent des paroles de troubadours pour pouvoirs composer leurs textes et puis d’autres qui sont dans un lieu où le texte n’a aucune importance : c’est un espace de réactif, dans la ligne d’une parole qui même si elle n’est pas compréhensive ce n’est pas très important car ce qu’il faut qu’on perçoive c’est la révolte, cette fracture, mais ce n’est pas … ( NB/ phrase non finie ; que signifie une phrase incomplète ? l’incomplétude comme lieu du vide dans la conversation, il est angoissant car potentiellement source de conflit, de malentendu, mais il peut être positif lorsqu’il appel à être complété par une réponse juste)

Il y a deux écoles qui sont distinctes.

 

Shaerazade

«  Même Joey Star, si on regarde son parcours. Aujourd’hui il s’inspire de texte de Brassens, Ferrat, … »

 

Marc

«  Alors ce qu’on disait aussi c’est cette nécessité de transmettre quand on est parent. Parce que lui aussi il est père maintenant. Donc du coup il y a un autre endroit : «  j’été dans le réactif mais qu’est-ce que je transmet maintenant. » c’est cet espace où le chaos fait peur tout d’un coup, pas pour soi mais pour son enfant.

 

Schaérazade

« On n’avait plus rien à perdre. Maintenant on n’a quelque chose à perdre »

 

Marc

«  C’est ce qu’à l’époque on appelait la maturité. Moi je pense que ça passe par là. On est toujours père et mère mais de plus en plus tard, et la relation au « transmettre » oblige à se poser des questions dans la langue, comme dans le geste, comme dans l’attitude, comme dans l’être. Il y a des globalités. Si on regarde les statistiques de l’INSEE, avant on était père avant 25 ans, maintenant c’est souvent après trente cinq ans. A partir de là il y a des engagements qui ne sont plus du tout les mêmes : la responsabilité familiale vs indépendance d’expression. On n’est pas au même endroit. Rire.

 

Fabien

« Est ce que ça ne serait pas quand on dit du rap comme expression, et reflet d’une culture, avec les premiers textes de MC Solaar, l’arrivée des années 80 et celle de la gauche au pouvoir, des radios libres,  la marche des « beurres » jusqu’à paris … avec une volonté d’intégration … qui aurait échoué et suite à ce constat serait apparue une nouvelle forme de rap plus violente, plus revendicative qui dirait « l’intégration n’a pas fonctionné. »

 

Marc

«  Je crois qu’on glisse vers le chaos parce que justement avec MC Solaar ou les auteurs de cette même époque étaient des gens qui étaient dans la révolte mais qui avaient encore l’espoir de quelque chose à mettre en place et je crois qu’aujourd’hui on est avec une série de personnes qui sont  dans la difficulté d’envisager même le projet de vie. Eux sont « total sur le carreau », ils ne voient pas de solution, d’issue de secours.[10][10]

 

Fabien

« Et ces même gens ont le constat d’échec de l’intégration et de tout ces idéaux. »

 

Marc

« Ce n’est pas qu’un problème d’intégration, le problème c’est la révolte des quartiers par exemple, c’est évident qu’il y a quelque chose qui est quand même très parlant ce n’est pas une révolution qui est allée se passer dans les quartiers (riches) du centre ville ; c’est une autodestruction, un suicide. Ce qui a été touché au niveau des biens, ce ne sont pas les biens des gens qui possèdent mais leurs biens[11][11]. C’est souvent un espace du désespoir qui est crié en tant que tel. On s’auto détruit parce qu’il n’y a plus rien à faire. Et ça, je crois que le problème d’avoir un ministre comme Sarkozy qui renvoie de la violence, c’est qu’il a rien compris à l’affaire. Moi je comprendrai que ce qui a été dit par Sarkozy ait été dit suite à des casses dans les quartiers, mais la façon dont cela été fait montre qu’il n’a rien pigé à l’affaire. A croire qu’il ne veut pas entendre parler de ce qui est en train de se jouer. Aujourd’hui ce qui se passe avec les bus et autres, qui est ce qui est touché en réalité ? C’est à l’intérieur, encore une fois on se retrouve dans l’auto mutilation. C’est un espace où il y a tellement peu d’avenir possible qu’on s’y suicide. Quelqu’un qui se suicide par définition c’est une personne qui ne voit plus d’avenir, qui n’a plus de projet.

 

Fabien

« Alors que les premiers textes de Rap valorisaient le quartier. »

 

Marc

«  Les premiers textes de rap sont apparus à un moment où l’on voulait redonner une couleur particulière et en même temps créer un projet.  Si on relit MC Solaar c’était vraiment ça quoi. On sent derrière la touche d’aller vers quelque chose. Alors que maintenant on est dans un espace où la volonté de parole est plutôt pessimiste. On n’est plutôt dans le retour au chaos, qui n’est pas volontaire mais qui est constaté.

 

Benoît

« Il y a quand même une nette volonté de retour au chaos ». Je n’ai pas été plus loin mais voilà ce à quoi je pensais : Je pensais particulièrement à la chanson «  Qu’est ce qu’on attend pour foutre le feu ? » de NTM, dont les paroles qui suivaient été «  Qu’est ce qu’on attend pour ne plus suivre les règles du jeu. » Ou encore « prêt à foutre le souk et tout le monde est corda. »  Ou encore  à cette chanson «  Rien à foutre j’suis là pour foutre le bordel » de Diam’s (une fille). La volonté de briser les codes, les chaînes de transmission (comme les médias) est plutôt claire. Selon moi c’est un rejet (et non une critique) de la société dans son ensemble. Le plus remarquable à mon avis, c’est la date à laquelle a été écrite cette chanson : 1993 je crois. J’été encore au collège. Ce message a au moins 15 ans, et je pense que s’il y a une telle apogée de la violence urbaine en ce moment c’est parce que la sonnette a été tirée mais que rien n’a changé, donc on est passé à un cran de violence supérieur. En somme c’est une réaction à la non réaction qu’aurait dû susciter les premiers cris de détresse. Je pense qu’il serait vraiment intéressant de faire un travail d’enquête sur l’évolution du rap en France ces vingt dernières années, mis en parallèle avec l’évolution des mœurs aussi. Personnellement je trouve qu’il y a un vrai décalage entre les revendications « antisociales » et les attitudes de certains rappeurs, ou plus exactement le modèle sociale qu’ils esquissent.

 

Geneviève

«  Il y a quelque chose qui me frappe, j’ai entendu dire que les policiers c’était la même chose que l’éducation nationale. Parce que moi j’en ai trop vu de tous ces pauvres jeunes qui débarquaient dans les quartiers comme ça. C’est qu’en plus, les personnes qui représentent l’autorité ce sont les jeunes issus de l’immigration. Ceux sont eux qui sont en première ligne, qui ne peuvent pas donner cette image là, et qui sont dans une perdition absolu. »

 

Marc

« Oui mais je crois que la grosse difficulté, je l’ai compris en faisant du cinéma avec Malik, lorsqu’on a amené les caméras dans les quartiers pour que les jeunes travaillent sur une expression. Quand on arrivait il y avait une phrase qui était toujours difficile à contrer c’était qu’est ce tu viens foutre là toi ? Qu’est tu fais tu m’amènes un salaire ? Moi je n’ai pas de boulot. » Il y a ça aussi, d’un côté c’est bien beau de vouloir faire de l’occupationnel ou même de l’éducation alors qu’il n’y a pas les moyens de vivre. Après il y a un lieu de la négociation qui peut se mettre en place : le vital souvent n’est même pas assumé. Ou alors il est assumé dans la marge.

 

Geneviève

 « Oui d’accord pour eux, mais ceux qui viennent de l’extérieur, ils ont des difficultés à apporter quoi que soit puisque ils ont été envoyé non pas parce qu’ils voulaient y aller mais parce qu’ils étaient les derniers au barème, les plus jeunes, les plus fragiles et ils sont là avec l’idée « J’attends trois ans avant de retirer mes points, pour avoir un bon lycée dans le sud. » Ces gens là font ce qu’ils peuvent, mais au niveau de leur motivation personnelle, ils sont dans une fragilité extraordinaire, parce qu’ils leurs revient aussi le même refus de leur quartiers. »

 

Marc

«  Oui mais ce que je veux dire par là, c’est que ce qui manque la plupart du temps, dans la formation des professeurs c’est l’espace qui est pris en cause d’aller travailler dans ce type de quartier ce n’est pas un lieu sous valorisé mais au contraire, ce dont on a besoin ce sont des gens les plus pointu,  parce que ceux sont eux qui peuvent créer des espaces de motivation. Alors que ceux qui sont encore fragile devraient se charger des espaces où la famille est un lieu de motivation. Envoyer des gens qui n’ont pas encore d’expériences dans les quartiers difficiles c’est déjà une erreur. »

 

Geneviève

« C’est ce que je dit. »

 

Marc

«  Ils ne sont pas du tout préparer à ce qui est de l’ordre de la médiation. »

 

Geneviève

 « Alors ils s’en sortent un peu uniquement dans les établissement où ils arrivent entre eux à faire suffisamment corps pour se serrer les coudes et ne pas s’effondrer complètement. »

 

Marc

«  Et en même temps tu t’aperçois que « faire corps » c’est aussi une façon de ne pas s’assumer non plus. Dans une situation comme celle là, ça ne peut passer que si on assume ce que l’on est parce que c’est un espace de relation qui doivent être pleine et entière. Lorsque l’on veut susciter ou créer de la motivation on ne peut pas se donner à moitié. Il faut pleinement ce que l’on est quitte à ce que ça casse.

 

Plage 106 : Débat sur les profs,  le lycée de la grand combe et sa réputation provoquée par les médias.

Marc

« A la grand combes on a fait le pari d’introduire l’anthropologie au collège. Je pense que ça marchera. Les gamins sont en difficulté parce qu’ils ne savent ce qui les poussent à agir, ce qui les motive. Ils sont dans un réseau qu’ils ne savent pas lire, par conséquent ils ne peuvent pas agir sur ce réseau. Ils ont donc le sentiment qu’il n’y a pas de possibilité de projet. Je pense que c’est le rôle d’un collège, en ZUP par exemple, de décrypter les maillages du réseau.

 

Fabien

«  Avez-vous rencontrez des blocages pour introduire l’anthropologie ?

 

Marc

 « Non parce que le principal et les professeurs du collège en question ont parfaitement compris les enjeux. Les établissements classé en REP (anciennement ZEP) ont la possibilité d’être innovant dans le cadre pédagogique[12][12]. Ce qui est important c’est de prendre au sérieux les situations complexes et donner à ces élèves la possibilité de les tirer vers le haut en leur offrant les outils nécessaires pour une lecture de la complexité.

 

Fabien

«  Il faut un enseignant qui soit formé. C’est vous qui assurez cette position. »

 

Marc

« Je ne suis pas enseignant, mais je vais intervenir régulièrement tous les 15 jours, puis les professeurs prendront le relais afin qu’on ait un suivi de l’action. Pour le travail de laboratoire nous allons prendre une classe de 3ème.  L’idéal ce serait de commencer avec une classe de 5ème de manière à ce qu’il y ait un suivi progressif jusqu’en classe de troisième. On s’aperçoit que dans les sociétés actuelles, là où on avait des problématiques identitaires vers 17 ans, aujourd’hui c’est en 6ème.

 

L’identité ne peut se construire que dans un tissu conscientisé du réseau, on construit l’identité c'est-à-dire la connaissance de soi que si on sait reconnaître où est ce qu’on se situe. J’ai un grand père qui m’avait donné une clef en me disant comme ça, en français pour une fois, « le plus grand des bonheurs c’est de savoir qu’on est à sa place. » Ca m’a poursuivi dans ma tête, au départ je ne comprenais pas trop ce qu’il voulait me raconter. Pour moi ce n’est pas une question d’être à une place plus ou moins riche, ou plus ou moins pauvre, mais de savoir qu’on efficace là où on est, de savoir qu’on peut agir sur le réseau qui est autour de nous parce qu’on sait où on est. Il faut avoir conscience des espaces où on (ne) peut (pas) agir, savoir attendre, négocier. Beaucoup de gens se retrouvent en échec parce que c’est trop complexe, chaotique.

 

Disk 1 Piste 114

Les grandes difficultés, comme celle de la langue d'ailleurs, c'est que la transmission du savoir n'est pas organisée à partir d'une structure préalable. On vous donne du savoir, du savoir, du savoir mais on ne sait pas quoi en faire ni à a quoi ça sert. La notion du projet est manquante. Qu'est-ce que ça renseigne ? Qu'est-ce que ça pose du fait d'une mise en cohérence ? Le philosophe connaît ça, c'est la notion du logos, de la logique. Un espace où les éléments n'ont pas de lien entre eux, c'est un espace de chaos et pas de l'action. Aujourd'hui, je dirai que l'enseignement ne travaille pas beaucoup sur la mise en logique du savoir. Il travaille beaucoup sur la distribution du savoir. C'est un vrai problème parce que du coup derrière on laisse tomber, pour faire plaisir aux profs. On n'apprend pas parce que l'on sent que c'est utile pour nous. Quand nous arriverons à cette motivation là, cela voudra dire que tout ce que l'on apprend c'est un lieu de notre construction, des outils à réagir, à monter des projets. À ce moment-là nous apprendrons autrement. D'autant plus dans les sociétés difficiles, c'est-à-dire dans les endroits où le langage difficile à acquérir, où on arrive dans un espace où les réseaux sont d'autant plus opaques que ce ne sont pas ceux qu'on connût nos parents, donc la donc la transmission n'est pas faite. C'est ce qu'il se passe avec les lycées très  cossus : ceux sont des gens qui sont déjà dans une lisibilité des  réseaux, et donc qui savent agir dessus.

Donc la langue c'est ça aussi, un espace de structuration. Ce qu'il faudrait travailler avec les parents d'autres cultures, ce n'est plus de la méta langue mais de la méta culture: comment quelque part pour qu'il y ait une lisibilité possible de la société dans laquelle on vivait, l'enfant doit apprendre à interroger la culture de ses propres parents: comment on village était organisé, comment le travaille était organisé. Là on entre dans les vrais lieus de la transmission. C'est-à-dire quelque chose qui n'est pas de l'ordre d'un savoir cumulé mais d'un lieu de la transmission. C'est comme la langue, une fois qu'on en a une que l'on comprend bien il est très facile de faire le report sur une autre. Toute société est complexe. Il n'y a pas de société simple. Je dirai même que les sociétés primitives sont plus complexes que les sociétés civilisées, modernes. Parce que justement le rituel a besoin d'être justifié dans ces sociétés, du coup toute chose a un sens. Ces enjeux sont importants : si un gamin peut interroger ses parents, il va pouvoir les aider à énoncer, c'est le travail de l'enquêteur, mais la l'intérêt c'est qu'on travaille pour soi. Autant je ne peux pas le ramener un lieu de l'identité au collège parce que ce n'est pas moi qui viens d'Alès pour le faire, autant je peux leur donner des outils pour leur permettre de rendre lisible des attitudes et le sens qu'elles peuvent porter. Ça aussi ce sont des lieux de médiation qui peuvent aller loin pour reconstruire des espaces de plénitude de transmission.

 

Fabien

« Alors j'essaye de suivre votre fil, au lieu d'avoir finalement, un double rejet de la culture d'origine vous arriveriez à la "biculturalité. Ce serait ni l'un ni l'autre mais plutôt à la fois l'un et l'autre. »

 

Marc

« Pour moi ce serait cela l'idéal. La bi, tri ou quadri culturalité, je pense aussi que l'on va être de plus en plus issu de mariages mixtes. Toute ma réflexion est partie de là, moi je suis issu d'un grand père sur le mont Lozère, une grand-mère qui est née en Haute-Loire, et l'autre qui est née à ? . Vous voyez, on ne peut pas être plus centralisé et plus autochtone que cela. Si ce n'est que, dans la famille, qu'est-ce qui s'est passé ?, à partir des années 30, il y ait quelqu'un qui est arrivé et qui s'appelait Rajak, qui est entré dans une famille qui s'appelait Martinez, écuyer en a une autre qui est entrée et qui s'appelait Malika. Alors c'est évident que quand on fait des repas de famille il n'y a plus un espace autochtone cévenol. C'est un espace multiculturel, ce qui fait que pour moi je ne me sens pas du tout uniquement cévenol, je me sens dans une relation intime avec des gens qui ont des espaces culturels beaucoup plus larges. Je n'ai pas une impression, bien sûr je suis dans cet espace cévenol, il fait partie de mon fondement identitaire, mais par exemple la Kabylie est un endroit dont j'ai entendu parler tout gamin, ma grand-mère me parlait de la Kabylie comme nous des Cévennes. Donc la Kabylie est un espace qui a été transmis dans ma langue, tout autant que l'espace cévenol.

On retrouve ce thème dans l'identité meurtrière de Maalouf. Tant que l'on n'aura pas accepté  nos multiples identités, notre multi culturalité, on sera dans le lieu du conflit, de l'affirmation de l'un qui est conflictuel pour nous et qui va être conflictuel pour les autres. Moi je suis plutôt dans une idéologie de la multi culturalité, qui de toute façon est en train de se faire. C'est là que cela se joue à mon avis. Alors c'est sûr que ce n'est pas confortable du tout. Toute acceptation d'une autre culture met en cause nos propres fondements. Pour Maalouf, aujourd'hui autant il est possible d'être multiculturel, pluri linguiste, autant il est impossible d'être pluri religieux. On ne demande de choisir de façon unanime une religion ou une autre.

 

Anne

« Oui mais regarde en Amérique du Sud on est à la fois catholique et vaudou."

 

Marc

« Non il y a du syncrétisme mais le syncrétisme en lui-même devient une autre religion c'est-à-dire qu'on est dans un espace où on te demande en permanence de choisir : « choisis ton temps camp camarades et tes croyance en même temps ». Donc cela c'est un espace qui est encore un lieu de résistance sur la multi culturalité, la croyance est un lieu unique, tranché. Je vois très mal comment un musulman peut dire « je suis musulman et chrétien... » C'est un espace quelque part où on aimerait bien faire plus mais le plus est presque impossible, alors à terme on pourrait faire du syncrétisme et avoir une religion qui deviendrait elle-même une autre religion, mais cela serait encore quelque chose d'autre.

Donc je pense que c'est aussi pour cela qu'il y a des résistances, des extrémismes très forts, qui sont liées aux religions. L'ouverture culturelle et linguistique a tendance à remettre en cause un endroit ... (hésitation) un petit peu fermé des religions en tant que telles. Ça frotte un petit peu à ce moment-là.

 

Marion

« Je ne pense pas tout à fait comme toi justement, les gens prennent un peu dans toutes les religions et sortent des religions toutes faites. »

 

Marc

« Oui mais là on tombe dans la religion laïque. Chacun a sa croyance en intime et par contre on n'a pas de croyances affirmées. Pour moi c'est une religion comme une autre la religion laïque. Au même titre que la religion scientifique qui en était une autre. À partir du moment où il y a idéologie et croyance en est dans un système religieux. Tant que la science a été convaincue qu'elle pouvait comprendre l'univers en était dans un fait religieux. Ceci dit aujourd'hui elle revient là-dessus, pendant longtemps elle a cru qu'elle pouvait tout savoir et dans ce cas-là en était dans un espace religieux: un espace de croyance où on a même redéfini

La naissance du monde.

 

Benoît

«On n'en est pas encore tout à fait sorti. »

 

Marc

«Oui, il y encore un peu de cela, mais si on prend les grands scientifiques. Il y a des gens comme Jacquard qui te dit la seule part de la science c'est là où le mode d'emploi est reproductible, là où l'on peut reproduire expérience, tout le reste se sont des hypothèses, donc de la croyance et de la religion. Rire étouffé. Donc c'est bien, il y a des gens qui sont capables d'affirmer des positions de cet ordre là, qui sont des positions philosophiques en même temps et qui remettent les choses à leur place aussi.

 

Donc voilà moi je pense que sur la problématique de l'immigration c'est un ...c'est un vrai travail de laboratoire sur la mondialisation qui est en train de se jouer aussi. Donc quelque part il faudrait le  positiver  dans ce sens la aussi, le fait de cette inter culturalité en contact depuis des générations est un vrai travail d'adaptation à une mondialisation qui est en train de se faire, et les gens qui auront eu des immigrations chez eux seront sûrement nettement plus aptes à entrer très vite dans le processus contrairement à ce qui auront été complètement cloisonnés aux autres cultures, et qui risque d'avoir un sacré choc. Bon cela paraît difficile de rester fermé. Cela n'a jamais existé de toute façon,  une culture fermée cela n'existe pas. Il y a toujours eu des contacts. En tout cas, pour les gens qui ont eu à vivre cette inter culturalité ce sera difficile pour eux de vivre autrement. Tous les gens qui ont le monopole cosmopolite, de toute façon, ils ont beaucoup de mal à vivre dans un village. Il leur manque une dimension, mais cela on ne le valorise surtout pas. Rire. Cet espace de l'inter culturalité qui est une vraie richesse en tant que telle. Une fois de plus, elle n'est riche que si l'on arrive à faire en sorte que les gens expriment leur qualité. Si les gens sont repliés sur eux-mêmes dans un lieu, hésitation, de ghettos, qui peut être engendré par le social mais surtout par un manque de confiance, de valorisation, l'échange ne pourra pas se faire non plus et il n'y aura pas de vrais inter culturalité. Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire.

 

Fabien

« Toute la difficulté de l'inter culturalité, c'est justement de mettre deux culture au même niveau."

 

Marc

«Pour moi c'est comment quelque part on arrivera à ça si on accepte le fait que la culture est aussi valorisante que la culture qui est la nôtre, autant d'un côté que de l'autre. Je connais des gens qui sont dans un refus de la culture autant d'un côté que de l'autre, c'est un lieu de la protection.

 

Fabien

« Cela demande un reformatage de mentalité. »

 

Marc

« Oui mais je pense qu'il n'y a qu'à partir de la que l'on pourra trouver quelque chose. Si l'on a une valorisation de la culture qu'en tant que sous culture de l'autre, on est dans une colonisation qui continue à se faire. De toute façon si c'est le cas, c'est comment on a envie de faire une mondialisation qui soit une occidentalisation du monde; l'Occident se prétend être dans un lieu de la rationalité et qu'on ne pourra pas l'éviter etc. etc. alors bon  c'est évident, on ne peut aller qu'au conflit. Parce que les gens qui sont dans une perception du monde différente ne vont pas accepter non plus d'être dans une occidentalisation à outrance. Moi je pense que le respect et la connaissance de la complexité culturelle de notre culture est aussi importante dans ce processus dynamique que le fait de vouloir à tout prix que l'autre accepte la culture telle qu'elle est.

 

Fabien

« Ramener l'autre à soi."

 

Marc

« Moi je crois. Plus on valorisera sa culture plus on aura de facilités à accepter l'autre culture. Ça c'est un peu le travail de l’ethnologie, qu'est-ce qui fait qu'une personne envie d'échanger ? C'est que ce ne soit pas un lieu de la curiosité malsaine mais un lieu de la compréhension, et en même temps, en énonçant sa culture auprès de l'ethnologue il est en train d'apprendre sa culture car il y a des question qu'il n'avait jamais eu à se poser puisqu'il pratiquait cet culture de façon naturelle. Dans cet échange, on est dans un espace d'inter compréhension rencontre ont en

 

Disk 1, Piste 119 :

 

« En énonçant sa culture auprès de l’anthropologue, il est en train de comprendre sa propre culture, parce qu’il lui pose des questions qu’il n’avait encore jamais eu à se poser étant donné qu’il vit dedans, et que c’est devenu naturel. On est dans un espace d’intercompréhension, et qu’est-ce qui vas se passer au bout de quelque temps, c’est que lui va vous demander « Et chez toi ça se passe comment ?[13][13] » il commence à comprendre où est son propre fondement culturel donc il a envie de connaître, pour comparer, ce qui se joue en face. Mais cela passe par la  valorisation : «  Je reconnais ta culture comme étant une culture et pas une sous culture. »

 

Geneviève

« Mais ça c’est une vision positive… disons, de mondialisation, mais la vision négative est-ce que ce n’est pas le risque que cette mondialisation gomme toutes les cultures et qu’on ait une culture unique qui est (le ton monte) une bouillie simplifiée. Voilà c’est ça le risque.

 

Marc

«  Je pense que c’est quelque chose qui ne  pourra pas arriver, dans le sens où cette valorisation des cultures autres est déjà faite depuis un certain temps : il y a des relevés, et un certains nombres de travaux réalisés, quand on voit le nombre de lectures qui se font  sur les bouquins d’anthropologie, sur les musées d’ethnologie ( et pour d’autres raisons qu’au début du siècle dernier où c’était pour conforter sa propre identité qu’on allait voir les zoos humains ; on allait voir l’autre en tant qu’être différent pour se conforter soi-même dans son identité)

 

Benoît

« Les quoi !? Zoos humains ? »

 

Réponse collective : « les zoos humains, au début du siècle dernier on exhibait des hommes dans des cages… »

 

Marc

« L’exotisme. Ça a commencé chez Barnum  aux Etats-Unis, c’était un cirque qui allait chercher des personnes dans quelques villages à l’étranger, chez les Inuits, les Africains, les Hottentots  pour les mettre en exposition face à un public, et les gens venaient les voir « vivre dans leur quotidien » rire étouffé, phrase interrompue (significative d’une indignation).

 

Geneviève

«  Maintenant on commence à les ramener chez eux pour les enterrer sur leurs terres d’origine. »

 

Marc

« Alors on dit qu’il y a encore des réactions racistes ou autres, mais il faut penser qu’au début du siècle, avec la foire universelle, on n’était qu’au début des ces zoos humains qui ont duré jusqu’en 1930 ; et c’était quelque chose de naturelle pour la population que d’aller voir les tribus étrangères exposées dans leurs tenues d’origines, leurs villages reconstitués. Et puis o s’installait, on regardait comment ils vivaient, et traitaient leurs enfants. Et c’est une peu le cas aujourd’hui encore quand  on regarde des films d’ethnologue, on est encore dans des espaces de cet ordre là, ils ont changés de lieux. Moi je connais des ethnologues qui refusent de filmer ou de diffuser leur documentaire. C’est du film de travail mais ce n’est pas du film à projeter. Il y a des tas de films qui sont en interdiction d’être diffusé à d’autres personnes que des chercheurs spécialisés. Puisque justement il y a le côté «   comment on entretien un exotisme »

 

Geneviève

« Voilà, ceux sont des  débats qui ont lieu autour du quai Branly maintenant. Est-ce que c’est quelque chose qui va aider à  la compréhension ultime des civilisations, ou est ce que ça va être un beau lieu esthétique ? »

 

Marc

«  Moi je suis le débat, et je l’ai suivi depuis le début du projet du Quai Branly. Tous les objets devaient être sortis pour être exposés, sans les fiches de contextualisation : c'est-à-dire ne plus expliquer à quoi ça servait, mais simplement en tant qu’objets d’esthétiques.

 

Fabien

«  Donc cette exposition ce serait la forme ultime de l’exotisme moderne.

 

Claire

 «  Moi j’y suis allé, et ce qui m’a frappé c’est qu’ils ont voulu mettre des films, que j’ai trouvé superbe, mais dans des endroits où tu n’as pas le temps de te poser, sur des écrans en contrebas qui obligent à se baisser pour regarder. Cela m’a donné une impression de « zapping ».

 

« Oui ils ont fait la médiation entre l’enfant et l’adulte : les enfants se mettent sur la pointe des pieds, et les adultes se baissent. Rires. »

 

L’approche d’une culture ce n’est pas quelque chose d’évident. Moi qui aime bien la culture Kabyle par exemple, si on veut comprendre ce qui se joue, pour moi le conte est important à différents niveaux : l’expression en elle-même est magnifique. Quand on lit le répertoire des contes kabyles on comprend la richesse culturelle qu’il y a derrière, au même titre qu’un littérature écrite : on entre dans un espace de la lecture complexe de la pensée d’un peuple et on ne peut réduire ce peuple à un espace de sous culture, on sait très bien qu’il y a la même complexité que chez nous et qu’on est dans le mêmes rapports. Si ce n’est que là aussi, vis-à-vis de la littérature orale qui peut être un objet absolument magnifique, la plupart du temps on va choisir quelque récit complètement bateaux traduits pour les enfants, et à nouveau on entre dans un espace de sous culture immédiat et apparent qui masque la complexité culturelle. Si on veut faire de la vrai inter culturalité, il ne faut pas prendre les choses de façon simpliste, il faut des choses qui disent la complexité de cette culture. Pour moi il y a tout ce qu’il faut, toutes les cultures, tous les peuples même les plus primitifs ont une complexité de penser le monde. Si tu prends les Dogons avec le travail de Marcel Griaule et «  Dieux d’eau », on s’aperçoit que la mythologie grecque à côté, c’est du pipi de chat.

 

Benoît

« Du pipi de chat ! »

 

Marc

« Quoi ? »

 

Benoît

«  Ben, c’est mon objet. » Rires.

 

Marc

« Non mais ce que je veux dire par là, c’est qu’est-ce qu’on fait voir des Dogons ? La plupart du temps on montre leurs rituels, avec des plumes et des trucs, comme le truc touristique sous la falaise avec des pagodes. La plupart des gens ignorent qu’ils ont une mythologie. Moi je ne connais pas de cultures qui n’ait pas développé un espace de réflexion sur le monde, qui n’est pas neutre mais qui constitue un système logique aux mêmes titres que le notre. Et justement ça remet en cause notre propre logique. Ahmed Bouzine dit que les conteurs dans le côté mondialisation sont des « broyeurs de sens » parce que lorsqu’on rencontre une autre mythologie qui est vachement forte, toute notre mythologie référente est à négocier : qu’est ce que je garde ou pas, qu’est ce que j’échange comme image. Et changer l’image de la mythologie fondatrice c’est changer tout un  lieu de notre pensée. Ceux sont aussi des ouvertures qui ne sont pas confortable du tout. Ce n’est pour cela que je disais que l’inter culturalité ce n’est pas quelque chose de confortable du tout, c’est un lieu de  la remise en cause permanente. Donc je dirai que les gens qui sont en fragilité préfèrent choisir un espace de référence dans lequel ils vont pouvoir se constituer. Avoir des certitudes, c’est confortable, en tout cas plus que de vivre dans le doute et l’incertitude. Je ne sais pas qui y gagnera au bout du compte. Silence.

 

Jacquard pense que un des espaces à venir de l’éducation est d’éduquer le doute[14][14]. Souliki Diabaté, un comédien qui a joué chez Brook, c’est un griot qui a été rencontré par Brook dans une tournée. Il est le père d’Hassan Kouyaté, un conteur. Voilà ce qu’il dit à la fin, comme pour clore le colloque, « Celui sait, et qu’il sait qu’il sait est un savant, il faut le suivre. Celui qui sait et ne sait pas qu’il sait. C’est un rêveur, il faut le réveiller. Celui qui ne sait pas et qui sait qu’il ne sait pas, est un chercheur. Si on peut on le guide. Celui qui ne sait pas et qui ne sait pas qu’il ne sait pas, c’est un danger public, il faut le fuir. » RIRES.

 

Benoît

«  On retrouve exactement la même sagesse chez les Orphiques. »

 

Anne

«Chez les ? »

 

Benoît

« Les orphiques sont des adeptes du culte d’Orphée, qui est un dieu étranger. Un poète en fait. Les orphique parlaient de ce savoir du savoir, du non savoir… »

 

Marc

« Et ça à la fin d’un colloque je trouvais ça bien, parce que ça remettait tout le monde en place. Rires. On lui a demandé de conclure, il a trouvé la bonne conclusion. C’est aussi ça la parole, et ce qui est bien avec elle, c’est quand elle cesse d’être un simple lieu de conversation informelle pour devenir un lieu plus formel de la parole forte, qui a été transmise, une parole de sagesse. Ces paroles paraissent parfois un peu décalé par rapport à notre société, alors qu’en fait elles ne le sont pas du tout, elles sont hyper contemporaines alors qu’elles peuvent avoir transmise de griot en griot depuis plus de cinq cent ans. La littérature orale m’intéresse beaucoup en ce sens là, parce qu’elle a tendance à être dans un lieu de transmission des valeurs permanentes de l’humain.

 

Benoît

« Donc elle est toujours contemporaine en fin de compte. »

 

Marc

«  C’est la différence qu je fais entre le conte facétieux, et une blague. La blague étant attachée à un fait, au bout d’un moment elle n’aura plus de sens car sans référence dans l’actualité. Alors que le conte facétieux lui est un lieu de permanence de l’humain. C’est un lieu qui fait toujours rire. Ce qui nous renvoie à la question de savoir comment les cultures en elles même sont-elles capables de transmettre leurs paroles formelles ?

Peut on reconstruire les contextes de ces paroles formelles ? Est-ce que les contes merveilleux des mères sont encore transmis ? Ils sont importants dans toutes sociétés ; chez les Kabyles, ils constituent des sources de régulations importantes. Silence de 7 secondes.

Et ce n’est pas du tout décalé, c'est-à-dire qu’on a l’impression que comme c’est une tradition qui est dépassée, elle n’a plus de valeur, alors que sa valeur est toute aussi important aujourd’hui qu’il y a cent cinquante ans, cinq cent ans… mais encore faut-il le dire autrement pour que cela puisse être entendu. Il faut une adaptation au contexte.

 

A vous un petit peu, je parle beaucoup.

Silence de 20 secondes.

 

Marc

« A propos de l’enquête, il y a quelqu’un qui faisait un travail sur l’Algérie, et qui disait que le fait d’avoir voulu à un moment donné supprimé de l’enseignement du français au secondaire avait entraîné un phénomène inverse à celui escompté. Ce qui s’est passé, c’est que quand les élèves ont étudiés leur cursus complet d’arabe, ils sont obligés de réapprendre le français à leur arrivée dans des facultés comme médecine, ou droit. Il y a un décalage entre l’enseignement supérieur et la volonté de réintégrer uniquement l’enseignement arabe dans le cursus scolaire. C’est le problème des langues minoritaires, les pays de langues minoritaires sont bilingues. Si vous prenez les grecs par exemple, vous vous apercevez que tous les grecs de plus de cinquante ans parlent le français, ceux qui ont moins de cinquante parlent l’anglais. La langue grecque est tellement peu utilisée dans le monde qu’ils sont obligés d’apprendre une deuxième langue, qui leur sert à communiquer avec l’étranger.

 

Anne

« Moi j’ai toujours pensé que les groupes sociaux qui sont les moins représentés sont ceux qui parlent le plus de langues. Si tu prends un enfant du Sénégal, il parle sa langue vernaculaire, le français, l’anglais…

 

Marc

« Il est en contact obligé avec le bilinguisme. Il faut pensé que l’Afrique, c’est mille cinq cent langues, donc déjà pour se déplacer au sein même de l’Afrique. Justement c’est ça qui est intéressant, il y a un bilinguisme naturel quand il n’y a pas d’unification artificielle de la langue, souvent les gens  qui parlent plusieurs langues sont ouverts sur cette capacité d’apprendre. Ce qui est intéressant avec Souliki Diabaté c’est justement qu’il ne parlait pas le français, avant de rencontrer Brook il connaissait un dialecte. En un an il appris à lire et à écrire le français. Alors tout le monde lui demandait comment est-ce possible ? Il leur répondait « Mais je suis griot. Depuis que j’ai trois ans, on apprend à savoir ce que c’est une langue. Ce n’est pas très compliqué de faire de la transposition. » Là pareille, on revient à ce qu’on disait plus haut, la notion de métalangage. Le griot sait ce qu’est une langue parce qu’il sait comment elle fonctionne, donc il sait aussi lire immédiatement les règles, et la lexicologie s’adapte à terme assez facilement. Du coup il parle un français qui est vraiment un superbe français. On sent que c’est quelqu’un qui est amoureux de toute les langues du monde parce qu’elles constituent un espace de connaissance partagée. Voilà, et il est vrai que nous rencontrons beaucoup de gens qui ne sont pas amoureux de leur langue, d‘ailleurs même nous « français » utilisons notre langue sans être obligatoirement dans une conscience de la pratique.

Il y a le fait d’être amoureux non pas pour fermer sur les autres langues mais par plaisir de la connaissance, plaisir de partager quelque chose et d’avoir un outil efficace de communication quelle que langue que ce soit. Il y a des hongrois par exemple qui adorent le français.

 

Fabien

« Mais justement la francophonie a cette particularité par rapport à l’ONU, l’UNESCO, c’est que la base, le ciment c’est le partage d’une langue : le français. Et cela cause de grands problèmes au niveau de la culture parce que comme une culture est véhiculée (hésitation) souvent par sa langue. Donc c’est pour cela que… C’est un paradoxe finalement parce qu’ils prônent la diversité culturelle… et linguistique…

 

Marc

« Il n’y a pas très longtemps, j’étais à un colloque sur la diversité culturelle, je m’endormais un peu toute la matinée parce que c’était un peu d’autosatisfaction sur le travail qui se faisait. Et puis il y a un gars qui est arrivé, un prof de l’université de Strasbourg, et alors là ça m’a réveillé parce que la première phrase qu’il a posé c’était « On est dans un pays où moins il y a de diversité culturelle, plus il y a de colloques sur la diversité culturelle. » Je me suis dit «  Tiens v’là quelqu’un d’intéressant. »Rires. Et alors là il s’est mis à poser tous les points où il y a des contradictions permanentes dans nos politiques culturelles: on veut bien accepter la diversité mais on revient toujours à la notion du français, aux valeurs françaises comme les droits de l’homme… Il a fait un bilan de toutes ces contradictions en jouant en plus, avec un complice dans le public à qui il demandait de bien faire le décompte : « Vous notez hein ! »Rires. Au total il y avait douze situations qui manifestaient notre refus de l’interculturel tout en revendiquant notre volonté à faire des colloques sur inter culturalité (sans avoir conscience de nos limites, de nos refus). Ce n’est qu’après son intervention que le débat s’est enclenché. Il y a eu du réactif, c’est parti. C’est d’ailleurs dans ce genre de situation qu’on se rend compte qu’il n’y a besoin que d’une personne qui soit dans des lieux d’opposition pour que les consciences se réveillent.

 

Fabien

«  Alors justement en matière inter culturalité, on a souvent des dissimilarités entre les discours et puis les actes, ou les représentations parce que voilà l’autosatisfaction et puis les concepts… »

 

Marc

« Oui il y a une peur. Moi je reviens beaucoup à cette notion de peur de perte de la langue comme fondement de l’unité nationale en tant que telle. On est toujours dans ce référent de protectionnisme sur la langue. C’est un espace où on n’a pas envie de se faire pénétrer par d’autres langues. Les Canadiens sont dans cette espèce de « schizophrénie » permanente de la langue, plus que nous…

 

Anne

« Les Québécois. »

 

Marc

« Parce que justement eux ils sont dans une proximité avec des langues multiples qui est vraiment très menaçante. Et en même temps on sent que cette langue si elle se ferme trop peut devenir une perte. Elle peut se scléroser à terme, et avec le développement des moyens de communication la situation est de plus en plus compliqué. Alors en même temps on a un petit peu l’impression qu’on maintient l’exception culturelle française mais pour moi elle tient à la langue cette exception. C’est un lieu de protection de la langue en même tant que de la culture. Et donc c’est un espace où l’on a du mal à accepter qu’une autre langue puisse entrer en relation, et puisse dire elle aussi quelque chose.

 

Benoît

« Je pense qu’on a d’autant plus peur qu’on perdu consciences des règles qui permettent de construire les mots, de maintenir la langue, et de la faire s’adapter. »

 

Marc

« Si on était d’avantage conscient du métalangage, on accepterait mieux la venue d’autre langue parce qu’on saurait comment les intégrer sans perte à l’intérieur même de notre vocabulaire et de nos règles. La plupart du temps on vit notre langue comme un lieu d’identification inconsciente : un matière qui est en nous et dont on ne sait pas parler que par conséquent on a peur de tout ce qui peut la provoquer, dans le bon sens du terme, ie, la bouger un peu quoi.

 

Fabien

« Et effectivement pour faire le lien avec les québécois, un québécois qui parle français ça n’a rien avoir avec le notre. Eux ils sont dans des valeurs de résistance, et cela veut dire quelque chose pour eux.

 

Marc

«  Ils ont une langue qui est très imagée et c’est cela qui est puissant. La dernière fois on a réécouté un bout de Sole qui fait des choses absolument folles avec la langue, sa façon de jouer avec les mots … et on s’aperçoit qu’en même temps, c’est quelque chose qui est complètement ancré dans une conservation du vieux français même si c’est très contemporain, c’est ancré dans un langue qui est complètement fixé. Et ils sont dans une telle peur de perdre la langue au Québec, qu’ils figent certaines expressions. Il existe tout un travail des linguistes la dessus, il faut aller voir sur le site Internet de l’université de Laval. Ils sont intéressant sur deux points qui nous intéressent particulièrement : la notion d’autochtonie, car là bas, le langage autochtone est minoritaire, et puis la notion de l’immigration. Ils sont très éclairants pour nous car ils ont une situation renversée par rapport à la notre. Ils sont dans une espèce de majorité dominante qui n’est pas autochtone. Donc du coup ils sont obligés de regarder l’autochtone comme l’immigré presque. Rires. Moi quand j’ai eu à définir l’autochtonie je suis allé sur leur site parce que je trouvais intéressant d’avoir ce point de vue là, comment eux définissaient l’autochtone. Et puis inversement on avait travaillé  avec Robert Seven Crows qui est un indien Micmac, sur les camps qui nous expliquait que trente pour cent des autochtones étaient soit en prison, soit internée en asile, avec un des taux de suicide les plus important au monde. Tout un lieu de remise en cause d’une façon de vie, d’une façon d’être. C’est un espace qui est aussi très important. Au départ quand on lit les règles on est souvent assez déroutés car à chaque  fois qu’il mettent une loi en place pour les autochtones c’est un peu comme nous lorsqu’on met une loi en place pour l’immigration. On apprend beaucoup de choses sur le positionnement extérieur identitaire. Les canadiens ont également beaucoup suivis la transformation des sociétés Inuits à partir de l’arrivée des occidentaux. Là par contre, il y a tout un travail sur le fait que les Inuits qui sont toujours majoritaires chez eux mais en même temps confrontés à une pression occidentale qui entraîne des ruptures. Pour rétablir l’équilibre avec les ados, ils remettent en place des chasses traditionnelles pour qu’ils revalorisent leur culture de base. Ce n’est pas une question d’en vivre mais de ressentir ce qu’il est possible de transmettre.

 

Claire

« Mais ça devient du folklore à ce moment là. »

 

Marc

« Non ce n’est pas du folklore, mais ils ne comprennent plus ce qui est transmis par leurs anciens parce qu’ils n’ont plus le sensitif nécessaire. Et comme ceux sont des langues très basées sur la transmission sensitive, les enfants ne comprennent plus ce que disent leurs parents. Ils ne savent pas ce que c’est de chasser avec une température de moins cinquante quand tu es sur un traîneau avec des chiens, ni ce que c’est de vivre dans un igloo… Donc du coup ils sont obligés de les rééduquer dans un espace de sensations corporelles réelles pour qu’ils puissent réentendre la transmission.

 

Disk 1piste152

Anne

« En Lozère, ils remettent le labour avec les chevaux, ils ont réintroduit cela.

Fabien

« Pour les jeunes générations ? » Rires.

 

Anne

« Pour le plan écologique. »

 

Marc

 « Je sais qu'on faisait déjà du débardage avec les chevaux pour les forêts par exemple, pour éviter que l'on soit obligé de faire des grandes saignées, les chevaux permettaient d'extraire du bois sans faire de dégâts dans le biotope. De toute façon on peut faire du boulot avec une paire de boeufs ou de chevaux, mais c'est plus contraignant il faut les nourrir et être là en permanence. On avait fait un travail à il y a quelques années, il faudrait que je vous amène le film. On avait demandé aux gens de repartir sur comment est-ce qu'on pouvait refaire une saison avec des gestes ancestraux afin de repartir sur une mémoire du geste, donc on était reparti de faucher un champ, avec un volant, c'est une espèce de faucille. Il y avait encore des papis qui savaient le faire. On était aussi au reparti sur comment labourer avec des boeufs, tout le travail du blé en collectif, ce qui n'est pas rien : on travaillait à la faux à 10 sur un champ assez grand. On avait un papi de 80 ans, qui avait retrouvé le geste : ont été obligé de le stopper car personne ne le suivait derrière. Rires. Il y avait des jeunes qui tiraient une langue jusque-là. Et lui il était devant et ça avançait tout seul. Donc ça aussi c'est des lieux de transmission qui était important pour nous. Du coup quand on écoute une transmission et quand on a fait le geste, on ne peut pas écouter de la même façon, même si on ne sait pas le faire, le simple fait d'avoir expérimenté modifie l'écoute et la conscience. Si quelqu'un te dit avant on battait au fléau, oui ben d'accord. Mais quand tu as participé à battre au fléau avec sept ou huit personnes et que tu es obligé de chanter parce que sinon tu te tapes le fléau sur la tête ou sur le bras parce qu'il faut organiser la rythmique de battage etc. une fois que tu as senti le mouvement et que tu sais ce que c'est, alors tu te rends compte  de ce que cela voulais dire à l'époque quand il fallait battre une journée entière, tu n'as plus le même référent. On a changé d'espace de référence. Et c'est ça aussi la non transmission, c'est-à-dire qu'à un moment on peut avoir une image mais on n'a pas la véritable sensation qui va avec. On peut dévaloriser un travail parce que l'on n'a pas la capacité de le figurer correctement et ne pas comprendre la complexité de ce que cela engendre. Donc la transmission se perd. Et on comprend mieux ce que cela implique dans les ruptures qu'on a eues, des ruptures aussi puissante que celle qu'il y a pu avoir entre les années 50 et l'arrivée des machines d'exploitation agricoles.

 

Geneviève

« Moi j'ai vu battre au fléau, mon grand-père battait. On fauchait à la faux. Jusque vers 1955.»

 

Anne

« Oui mais attends, moi je pense aux gamins maintenant on dit que par exemple ils n'ont jamais vu une poule pondre un oeuf, ils ne savent pas qu'un steak haché c'est un morceau de vache. Bon, qu'est-ce qu'on peut faire contre ça? »

 

Marc

 « Moi je pense qu'il y a des enjeux hyper importants dans cette compréhension, il ne s'agit pas de faire de l'écologie et de laisser une non représentation de l'objet en tant que tel. Si le gamin n'a pas compris qu'est-ce que c'était qu'une poule et comment ça s'élevait on ne pourra jamais lui dire d'acheter un poulet bio, mais s'il comprend quels sont les enjeux d'un élevage sur la qualité et qu'il comprend ce qu'il se passe... Mais cela suppose des "fermes écoles", où l'on emmène les enfants ont passé une semaine avec les animaux de la ferme. A Nîmes il y en a une où vont toutes les écoles de la ZUP Nord. Tout cela me paraît essentiel : pour que la transmission soit efficace, et qu'on ne véhicule pas de préjugés. On a exactement le même problème lorsque l'on collecte, si l'on aborde le collectage est que l'on va voir quelqu'un en lui disant  " racontez-nous » : « à moi à tu sais quand j'étais gamin, j'allais à l'école alors il y avait des bancs, des bureaux, un tableau, la maîtresse etc. » enfin ce que je veux dire c'est que tu sais déjà tout ça donc ce n'est pas cela qui est intéressant, mais par contre ce qui lui faut lui demander c'est comment c'était une journée d'école ? Comment tu te lever le matin, comment tu t'habillais, est-ce que tu retrouvais les copains ? Autrement dit ce dont il s'agit c'est de retrouver le contexte parce que c'est là qu'on est éclairé sur les spécificités d'un monde, si on lui demande de décrire l'école ce n'est pas très intéressant. Et souvent dans la transmission c'est ce qui se passe. La personne qui va transmettre fait comme si vous étiez avec lui à ses côtés donc il ne va pas vous resituer le contexte mais il va vous parler des choses qui sont en événementielle pour lui, les choses qui l'ont marquées. Du coup on a une image qui est complètement « dé contextualisée », floue, dans un espace qui n'est pas du tout un espace de références fines et précises. Moi c'est ce que j'appelle de la non transmission : on a construit le sens par rapport à nos représentations mais pas en fonction des représentations de la personne. C'est de cette façon que l'on dévalorise la personne, puisqu'on n'est pas capables de comprendre ce qu'elle a vraiment vécu on se dit « mais il radote le papy". Rires. Alors que le papy si on le gratte un peu il a beaucoup de choses à vous dire, mais comme on ne sait pas aller le chercher et que lui ne l’a jamais formulé, on reste dans le radotage. Et pour moi c’est ce qui se passe dans beaucoup de familles aujourd’hui, c’, on reste dans le radotage. Et pour moi c’est ce qui se passe dans beaucoup de familles aujourd’hui, c’est une espace où comme il n’y a pas de champs commun de référence la transmission peut être difficile. Alors que jusque dans les années cinquante les choses avaient tellement peu changée au niveau technique et pratique que le contextuel était partagé d’entrée. Je pense que ce qu’il faut comprendre c’est la mutation des formes de transmission. Lorsque le territoire est commun depuis des générations, qu’on a toujours vécu dans « ce » village, les champs, les chemins, les bois on les connaît par leurs noms. Chaque habitant du village est connu par son nom, donc quelque part quand on parle d’un tel il n’y a pas besoin de faire un dessin, parce ce « un tel » tout le monde connaît. Et quand le père qui est parti d’un pays d’Afrique du nord, ou d’ailleurs arrive ici, lui qui n’a jamais vécu dans le village va devoir fournir un effort d’explicitation aux autres s’il veut pleinement être reconnu, et transmettre. C’est là que ça se complique lorsque que cette personne n’a pas cette habitude de transmission traditionnelle qui consiste à tout dire, tout donner pour comprendre. C’est dans ces ruptures et ces mutations que se joue la perte de la transmission[15]. Je dirai que le problème est que plus les gens sont dans la rupture avec une tradition forte plus le travail qu’ils ont à faire sur le métalangage est important s’ils souhaitent transmettre leur culture. C’est peut être beaucoup leur demander mais ceux sont eux les principaux concernés. Parce que sinon on va perdre tout un pan de mémoire d’où l’importance de la collecte aujourd’hui avec les vieux chibanites ou autres, qui sont détenteurs de toute une mémoire peu parlée parce qu’ils ne parlaient pas beaucoup. Et qui sont en même temps dans cet espace limite, car avec risque de partir toute une mémoire profonde de l’immigration. Il n’ y a pas que celle la mais en même temps… Silence

 

Fabien

 «  Alors je sais qu’on est au Centre Méditerranéen de Littérature Orale, mais il y a aussi des écrivains issus de l’immigration, je n’aime pas trop ce terme mais il n’y en a pas d’autres, qui ont posé par écrit toute une histoire de cette traversée, que leurs pères leur ont transmis ou pas, et donc … voilà. »

 

Marc

«  Je crois que l’écriture est un lieu de la sauvegarde mais dans l’écriture il y a un espace de … qui manque de … Pour moi il y a des très bons écrivains qui sont capables de donner une réalité profonde de la chose parce qu’ils savent mettre du corps et du sensitif dans leur écriture. Pour moi un bon écrivain, c’est que quand on lit on voit le corps, un espace de sensitivité, de corporalité qui se met en place. Ca je dirai que ce sont des écrivains rares. Il n’y en a pas tant que ça. Ensuite il va y avoir quand même une chose qui va se passer c’est qu’on a pas la personne en face de nous, et on sait, pas moi mais les cogniticiens savent que toute la parole ( intonation, rythme, tout ce que vous voulez) c’est quarante pour cent de la communication. Donc il en manque 60.

 

Fabien

«Ah oui. »

 

Marc

«  Et oui c’est ça aussi que ça veut dire. On a l’impression  que le livre peut tout remplacer mais il ne peut pas tout remplacer, alors l’auteur va faire le maximum pour compenser ce manque. C’est son travail d’écrivain. Mais il arrive rarement à compenser, au mieux il arrive à cinquante pour cent de al communication quand il arrive vraiment à poser une belle écriture. Et puis après il y a une chose qui est passionnante pour nous c’est la part d’interprétation, c’est nous comment nous on accède à l’intelligence du contexte pour pouvoir interpréter et faire image avec ce qu’on nous donne.

 

Fabien

 «  Savoir redonner le fil de l’immigration, en fait, s’ils ne parlent pas aux enfants, il n’y aura pas de transmission orale, et comme ils n’ont pas écrit, c’est là qu’est le danger. Il faut à tout prix renouer la parole»

 

Marc

«  Alors certains auteurs ont essayé de travailler la dessus, Amin Maalouf… ils ont beaucoup écrit sur ces éléments, mais moi je dirai que c’est la vision d’un auteur. Le problème c’est que cette parole est un enjeu au sein de la famille et qu’un auteur va donner les clés qui sont en général communautaire, en gros, il va donner une image un peu … mais il y a la part de l’intime dans la transmission qui ne peut se faire que de père à fils ou de mère à fille. C’est cette parole qui est la plus dangereuse à terme parce que la mémoire collective sera toujours là, elle. La mémoire collective ce n’est pas un problème, elle sera, par le travail des historiens, des anthropologues ou des écrivains, des artistes. Il y a toujours œuvre derrière qui fait qu’une mémoire collective persiste. Mais par contre celle qui est pour moi fondatrice d’une identité et qui peut se perdre c’est la mémoire familiale. Car cette mémoire est dans le lieu de l’intime est si elle n’est pas transmise par moment, il y a des manques, de toute façon. Il y a des manques fondateurs, (la voix devient « chuchotante », elle fait corps avec ce qui est dit) on se sait pas ce qui se perd. Le trans générationnel, il n’est pas facile, dans le sens où nos sociétés ont beaucoup évolué, et rapidement évoluées, il y a déjà à prendre en compte la notion de rupture d’une génération à l’autre, parce que, entre autres les gens évoluent dans un autre espace mais ce n’était pas le cas avant les années cinquante. Jusqu’à cette époque on écouté les anciens comme des personnes de transmission mais du fait qu’on est arrivé dans des savoirs techniques de plus en plus puissantes, on l’impression que parce qu’on maîtrise une technique on n’a plus rien à apprendre des anciens. On est dans un espace où on a l’impression de maîtriser le monde par nos techniques. Du coup c’est tout le contraire, on se situe comme l’éducateur de l’ancien, en lui disant «  Mais toi t’y connais rien, nous on a tout ce qui faut pour tout comprendre aujourd’hui. » Mais ce qu’on ne comprend pas quand on nous dit ça c’est que l’ancien a quelque chose qui nous appartient dans l’intime et pas dans le social. C’est cette transmission là qui manque le plus aujourd’hui. Pour se structurer dans le monde, c’est cette connaissance qu’il nous manque.

 

Pour moi la transmission de l’ancien dans le trans générationnel, c’est un lieu de la révélation de soi, c’est trouver sa place dans la chaîne familiale, c’est se situer dans un contexte où on n’est pas seul mais, au bout de quelque chose. Et ça aujourd’hui, c’est une rupture qui est énorme. Il y a beaucoup de jeunes qui ne se sentent rien du tout, d’aucune part. tous ces jeunes qui sont dans des familles … c’est terrible, parce qu’ils n’ont pas les moyens de se fonder sur une parole en place dans le sein de la famille. Les psychologues le savent très bien, c’est souvent un lieu de rupture de la transmission.

 

Fabien

 «  Et parfois dans le monde rural on peut rencontrer des personnes qui, par rapport à leur histoire familial savent très bien leurs origines, par contre par rapport à l’histoire collective… hésitation,

 

Marc

«  Il y en a beaucoup, il n’y a pas de miracle parce que cela peut devenir un lieu de la protection. Ça c’est le juste équilibre qui est difficile à trouver, en tous les cas, s’ils ont déjà une identité familial ce sera plus facile à vivre que s’ils n’ont rien du tout. Parce que moi je connais des jeunes dans les quartiers qui n’ont ni identité familiale, ni identité collective, et c’est ceux là qui, la plupart du temps, vont plonger soit dans le tribal, soit dans les extrémismes.

 

Shéhérazade

« Ceux sont les plus vulnérables. »

 

Fabien

« La perte de repères. »

 

Marc

«  Il n’y a plus d’identité, la seule identité, c’est une identité artificielle, construite pour survivre en gros. On ne peut pas survivre sans identité, il faut au minima être reconnus par quelques personnes. Donc, je dirai que celle là c’est la plus difficile à travailler parce que c’est une conscience entre l’enfance et la chaîne familiale. Comment revaloriser la mémoire collective familiale, communautaire au sens large ? Comment redonne-t-on de la motivation pour trouver sa place dans l’espace de transmission ? Ce n’est pas évident dans la mesure où aujourd’hui, les familles n’ont plus les mêmes valeurs, les mêmes contacts (les repas familiaux, par exemple, on perd énormément de choses, pourtant on avait l’impression de s’y emmerder à cent francs de l’heure, Rires, on se demandait mais quand est-ce que ça va finir ? Et puis rétrospectivement, on s’aperçoit que c’était des lieux très fondateurs.

 

Fabien

«  D’ailleurs dans certaines cultures, la nôtre notamment, le repas dure beaucoup. Il y a d’autres cultures où ce n’est pas au moment du repas que ces choses là se jouent.

 

Marc

« Non c’est vrai, ça peut être la place publique. Dans un village où il n’y a qu’une famille, comme il y en a beaucoup dans le monde du Maghreb ou d’Afrique noire, le soir c’est une réunion familiale qui se fait sous l’arbre à palabre, ce n’est pas un espace villageois (au sens français), c’est un endroit où on peut s’échanger des choses qui sont de l’ordre de l’intimité familiale, parce que même s’il y a soixante personnes, il n’ y a que la famille. Là il y a des enjeux de paroles très important.

Fabien «  Finalement peu importe la forme, le lieu, ce qu’il faut c’est qu’il y ait une place pour la parole.

Marc

« Oui il faut qu’il y ait des espaces de transmission. »

Anne

« Moi je pense aux enterrements. »

Marc

«  L’enterrement c’est  l’occasion de faire le point. »

Anne

«  Sur celui qui est mort. »

Marc

« Mais pas seulement sur celui qui est mort, mais il devient un axe référent, et du coup on parle des autres qui étaient en relation avec cette personne. On « dé trame » le tissage qui se fait au sein de la famille à partir d’un axe. C’est de l’anthropologie les réunions d’après l’enterrement permettent de comprendre l’espace familial et social. Donc c’est évident qu’il y a la conscience ou pas, c'est-à-dire qu’on écoute où on n’écoute pas. Mais quand on est dans l’obligation, et c’est cela qui faisait la force de la tradition, même si c’est sûr que ce n’est pas du tout confortable. On n’avait pas le choix de ne pas être là, car cette absence pouvait mettre en rupture avec la communauté familiale. Aujourd’hui on a le choix, mais du coup on perd cet espace de transmission qui se fait de moins en moins, les gens se séparent.

 

Je dirai que ce qui est important dans l’inter culturalité, c’est de trouver comment refonder la parole intelligible, celle qui peut parler de l’intime dans le sens noble du terme : le secret, quelque chose qui peut dire, énoncer quelque chose de soi. Et dans l’inter culturalité le vrai rapport est là : qu’est-ce que je dis de moi à l’autre ? Et qu’est-ce que l’autre me dit de lui ? Un des maux de notre siècle est le fait de déléguer la parole aux autres, aux journalistes aux éducateurs, et de ne plus s’engager dans une parole qui dit quelque chose de soi. Quelque part, on souhaite que quelqu’un nous dise à notre place. On cherche à se valoriser par la presse, par le truc, le machin, on ne va pas de soi même vers l’autre : on met une Web Cam sur son téléphone, rires, pour pouvoir être très loin et ne pas prendre de risque, voilà comment on assume la difficulté d’être pleinement présent. Cette parole déléguée est pour moi une vraie question. Quand on ne s’affirme pas en tant qu’identité on laisse souvent la parole aux autres. Dans le cadre de l’immigration c’est quelque chose que nous devons travailler, car les primo arrivants sont souvent obligés de léguer leur parole aux autres. Ils sont obligés de faire confiance, mais jusque où ? Ils ne comprennent parfois même pas ce qui est en train de se jouer pour eux.

Je n’y ai pas pensé, mais il y a aussi cette parole de l’intermédiaire qui serait intéressante à analyser. C’est à cet intermédiaire que l’on confie la transmission,

 

 

27/10/06

 

A propos de l’identité vocale :

 

          Selon la pratique que l’on a de sa langue, on ne place pas les adjectifs aux mêmes endroits. On fait varier l’intonation, les accentuations, et c’est cela qui est assez fabuleux. On peut reconnaître quelqu’un au téléphone alors qu’on ne le voit pas, ce n’est pas la voix qu’on reconnaît parce que beaucoup de voix sont sur les même timbres, mais la façon de formuler, de mettre en intonation, c’est un rythmique particulière en soi, une identité verbale en fin de compte. C’est une notion essentielle : on demande à reconnu sur son apparence corporelle, mais notre identité vocale est vraiment essentielle elle aussi. C’est un problème de culture, on a une construction identitaire culturelle. Par exemple, on parle de plus en plus de la même façon que les présentateurs radiophoniques. Ecoutez « énergie », Fun radio et autre Sky rock, et allez écoutez ce qui se dit dans les quartier ou les cours de lycée, on trouve de véritable copié collé de certaines phrases, de certaines formes, de rythmiques.

 

          Même pour quelqu’un qui parle correctement français, mais qui a trempé dans un autre bain que celui de la culture française, il sera très vite identifié par son identité vocale. Simplement parce qu’il utilise d’autres rythmes, d’autres intonations, et d’autres référents ce qui peut créer un espace de décalage et d’incompréhension. Lorsque je côtoyais les membres du royal théâtre , il travaillaient surtout sur la voix du comédien et on voyait des gens qui entraient avec une voix et sortaient avec une autre. Ils avaient pour principe d’aller chercher à travailler avec la voix réelle, c'est-à-dire de faire en sorte que le comédien exploite sa voix à sa capacité maximale. Je me suis aperçu de ce que beaucoup de personnes avaient des voix construites culturellement, ce qui peut constituer un choc traumatique énorme lorsqu’ils s’en aperçoivent. Il faut que les gens soient prêts à accepter ça aussi. Cela implique un changement fondamental dans sa relation avec l’autre d’accepter sa vraie voix. Il est également difficile de renoncer à sa voix culturelle car elle est un lieu du confort, et socialement un tel changement c’est un choc. Un changement d’identité vocale, c’est une mutation énorme. C’est un espace qui a peu été travaillé dans le cas de l’immigration et qui mériterait de l’être. La notion d’accent mériterait elle aussi une étude : accent du sud, du nord… Moi je suis parti à dix sept ans, c’est l’âge où se fonde la fixation de l’accent. Donc j’ai une espèce de voix un peu bâtarde, pour les strasbourgeois je suis du SUD, pour les Alésiens je suis du nord.

 

          Il y a des connotations et des traits culturels qui contrairement à ce qu’on pourrait penser ne sont pas obligatoirement naturels.[16][16]On n’est toujours dans une volonté d’être reconnu par l’autre, ce qui fait qu’inconsciemment on va prendre la couleur de la langue pour ne pas être repéré, identifié comme l’étranger. On ne le fait pas volontairement (Rires). Les gens qui font cela ont parfois l’oreille « musicale ». Ils sont dans un système de repérage involontaire de la voix de l’autre.

Tout cela ce sont autant de clés à prendre en considération. Il est évident que quelqu’un qui une bonne oreille, ou une oreille absolue par exemple, changera très rapidement de timbre.

 

Synthèse :

 

La communication non verbale : Lorsqu’on aborde ce thème là, je pense qu’on doit obligatoirement passer par la notion d’imaginaire. La notion d’image comme objet visuel peut nous conduire sur une fausse piste car l’imaginaire n’est pas composé que d’images visuelles, pour moi l’imaginaire c’est une bibliothèque de sens. C’est un endroit où il n’y a pas que des images mais des perceptions olfactives, tactiles, sonores… Le problème selon moi, quand on en reste à une conception de l’imaginaire comme lieu de création d’objet visuels, c’est qu’on n’atteint pas la plénitude de sens que recouvre l’imaginaire. Quand on élabore un objet dans notre imaginaire ce n’est pas obligatoirement sur le mode d’une projection sur un écran, mais plutôt sur celui d’une mise en cohérence à partir de nos cinq sens. L’image n’est pas fixe, c’est toujours une image sur laquelle on va pouvoir se déplacer. Dans le domaine des sciences cognitives, c’est cela que l’on appelle l’image mentale. Elle renvoie à notre capacité d’être dans le plan sensitif.

 

Cette notion est fondamentale en pédagogie, car nous apprend tous par cette dimension. Que se passe-t-il quand on apprend ?

 

Si je vous parle d’un arbre, vous allez tous élaborer votre arbre. Si on prend le temps, et si on laisse le silence pour que l’image se fasse pleinement, alors on retrouve les éléments sensitifs de l’ordre du toucher de l’odeur, de la sonorité qui compose cette image. C’est à partir de notre bibliothèque sensitive que nous recomposons les choses.

 

C’est quelque chose à prendre en compte quand étudie ce qu’est une langue. Aujourd’hui, la langue emprunte des rythmiques folles. La rythmicité est une des clefs du discours poétique. On choisi les espaces où l’on va faire silence, où l’on laisse la place à l’imaginaire.

La notion d’imaginaire est importante car c’est en elle que l’on compose toute notre force symbolique de langage. Pour moi le lieu du symbolique correspond à cet espace là de dilatation. Il faut que le référent soit un référent qui ouvre sur un espace de plus en plus large. C’est un point essentiel parce qu’il recoupe toute notre expérience sensitive depuis notre toute petite enfance, jusqu’avant la naissance. L’espace symbolique est un espace culturel : on ne vit pas la même chose selon le milieu dans lequel on naît.

Quel lien avec le non verbal me direz vous ? Et bien le non verbal est tout ce qui accompagne la parole, tout ce qui va appuyer la parole, alors ça va de la gestuelle qui paraît la plus apparente. La gestuelle va pouvoir être un lieu de sens, mais elle est surtout un appui énergétique. On tape sur la table pour se faire entendre, on caresse pour réconforter… A ce moment le geste ne fait que préciser la parole.

Au niveau de la petite enfance, on a pu observer le phénomène de la micro mimique. On peut bouger très peu et signifier beaucoup : une dilatation de l’œil, un mouvement de sourcil, un sourire en coin. Tous ces éléments on ne les voit plus parce qu’on a appris la langue comme ça. L’enfant met en relation ce qu’il voit et ce qu’il entend. C’est un réflexe humain. Lorsqu’il arrive qu’une personne dise quelque chose qui ne correspond pas à l’expression de son corps, « on ne peut pas la sentir ». Depuis la naissance, nous faisons ce travail pour comprendre l’autre, comprendre ce que nous dit l’autre.

 

Ensuite il y a tout ce qui relève de « l’état de corps », le corps c’est de l’énergie de parole. On sait, par exemple, en voyant arriver quelqu’un s’il s’agit d’une personne qui va avoir une parole agressive ou non. Nous le savons parce que son état de corps nous le dit, c’est un positionnement. S’il n’y a pas d’adéquation entre le positionnement et la parole, cela va nous gêner, on ne comprendra pas. C’est un élément à prendre en compte dans le cas de l’inter culturalité. L’état de corps est culturel.

                  

Prenons un exemple, qu’est-ce qui pose problème dans le port du voile ? Souvenez vous dans les années soixante, beaucoup de femmes étaient voilées pour aller à l’église. Mais aujourd’hui, nous sommes entrés dans un espace corporel de l’étrange, ie, que nous ne sommes plus habitués à cette image là : nous ne sommes plus habitués à ne plus voir la tête en entier. Donc il y a une perte de communication. L’habit comme le voile ou la djellaba sont des espaces qui brouillent notre lecture corporelle. Nous perdons une part de notre communication. Plus cette perte est grande est plus l’autre est perçu comme étranger. Nous sommes en rupture avec nos modes de communications.

Le vêtement en lui même est un lieu du non verbal, on parle énormément avec son vêtement. On ne choisit pas n’importe quel vêtement, même si on ne se rend plus compte. Lorsque vous allez dans un magasin (vous choisissez le magasin)  vous ne prenez un vêtement au hasard, vous choisissez quelque chose qui colle à votre identité corporelle. Il y a tout un langage de l’habit, de la parure.

 

Geneviève

«  Il y a des décalages aussi quelque fois. »

 

Marc

« Oui mais ceux sont souvent des personnes qui ont des problèmes d’identité. Quelqu’un qui est vraiment affirmé dans un espace identitaire choisira une ligne, une espèce de cohérence vestimentaire qui ne bougera pas beaucoup. Moi je me souviens quand on a travaillé avec un lycée d’Alès (un LEP mode), c’était fabuleux de voir ces jeunes filles réagir à la lecture du vêtement. Quand elles ont compris l’ampleur de cet espace, elles s’amusaient à observer les gens, et à « lire les vêtements ». Cette lecture on l’a fait tous les jours, de façon inconsciente, on catalogue l’autre dans une série par son vêtement, son attitude… on se met dans l’entente d’une parole spécifique vis-à-vis de ce qui va se passer. Si ça ne colle pas, il y a un endroit de « réadaptation nécessaire » : on est dans une sorte de malaise, on se dit «  attends mais c’est qui celui là, il y a un problème là, c’est quoi ce look ? ». Pour moi tous ces codes font partie de la langue.

 

Et puis il y a le contexte qui va être essentiel, ie, la façon dont je prends la parole. Je ne parle pas ici de la même façon que je parlerai dans un troquet. Le contexte amène à un certain type de parole. Quelqu’un qui s’apprête à faire un discours, de type conférencier, va rentrer dans un code de prise de parole spécifique. Le contexte détermine des codes de prises de parole, et cela fait aussi parti du langage non verbal. Lorsque je parle avec des amis, je suis là pour échanger et pas pour donner une parole d’enseignant, de réflexion.

 

Pour moi, cela fait partie d’un « tout » de la langue qui fait qu’à un moment donné, on ne fera pas appel à notre bibliothèque de la même façon selon l’endroit, la personne à laquelle on s’adresse. Si on est dans une parole poétique et sensible, ou artistique, on ira cherche des images dans notre bibliothèque sensitive dans un rayon différent de celui qu’emprunte la parole conceptuelle. Tout cela, ceux sont autant de choses qui se « sérient » et nous permette d’entrevoir la complexité de la communication. Ce qu’il faut comprendre c’est que ceux sont ces choses qui rendent possible la communication en fin de compte.

 

Il y a des gens qui travaille sur tout ce qui est de l’ordre de la signalétique en informatique. J’ai un copain ingénieur qui travaillait sur la mise en place du minitel. Il fallait déterminer l’espace médian du choix du mot par une enquête visant à repérer les mots utilisés les mieux compris. Est-ce que l’image est bonne sur ce mot là, ou faut il en trouver un autre ? C’est ça aussi faire de la communication mass médiatique : savoir trouver le mot qui va être dans la bonne représentation, et qui ne va pas trop ouvrir. Car si on n’ouvre trop, les gens ne comprendront pas tous la même chose.

Un poète, ou un artiste cherche l’ouverture du mot, alors qu’un spécialiste en communication est plutôt dans la clôture, il faut qu’il trouve le mot qui rejoigne les endroits moteurs, motivants. Alors s’il cherche l’ouverture sur le symbolique, il va essaye de trouver un endroit qui met dans une position de culpabilité, d’envie… il faut que la personne se dise « Comment ! Je ne possède pas ça, mais c’est impossible je suis un vrai nul. »

 

Fabien

«  On pourrait faire un grille de lecture avec tout ce que vous avez dit (le comportement, les vêtements…), et cela nous donnerait des indications sur la personne. »

 

Marc

«  Oui, c’est très intéressant de se mettre à la terrasse d’un café quand on cette grille. Il suffit de regarder autour de soi et c’est fabuleux, on a même plus besoin d’entendre ce que les gens disent, il suffit de les regarder être, de voir leur façon de bouger, de se comporter. »

 

Geneviève

«  Les gares m’ont toujours fascinés. »

 

Marion

«  La queue dans les super marchés ? »

 

Geneviève

« Selon l’endroit où l’on va on a pas le même type de population. Dans les gares je trouve que c’est plus varié que dans les bars, ou les restaurants. »

 

Marc

« Ce qui est très signifiant aussi, c’est tout ce qui est de l’ordre du vêtement institutionnel. Par exemple, pourquoi les gendarmes portent un Képi ? Et pourquoi un curé porte-t-il une soutane ? Ceux sont des vraies questions, parce que le choix d’un vêtement est lié au choix d’un espace de référence. Le curé, par la soutane qu’il porte, montre qu’il fait abstraction de son corps. Tout ce qu’on voit, ceux sont ses mains et sa tête. Le reste est « absent ». On peut aussi se demander pourquoi il est exigé de porter un costume avec cravate sur son lieu de travail. Selon moi, c’est un lieu du stéréotype, on doit être repéré comme étant un commercial. Le costard vient jouer un rôle similaire à celui de la blouse qu’on portait à l’école, dans le sens où il n’y a pas de commercial qui soit supérieur à un autre ; pour échanger il faut qu’on soit égaux. Pour nous c’est un signe, un signe qui signifie que pour négocier il faut être comme l’autre, et inversement que la différence ferme la possibilité d’un échange. Nous sommes dans un espace de lecture avec le vêtement.

 

Benoît

« Comment on pourrait qualifier ce langage ? »

 

Marc

«  C’est un langage non verbal. On est dans du signifiant, au-delà de la langue, mais c’est de la langue aussi. La façon dont tu t’habilles t’amènes à choisir une langue. »

 

Benoît

«  Oui mais ce n’est pas le sujet qui parle… enfin c’est le sujet mais

 

Marc

 « Social. Mais on peut avoir un comportement très individuel. Je dirai que c’est un lieu où on essaye de se qualifier dans un groupe particulier. C’est un espace de qualification de l’identité  au sein d’un groupe. Le fait de choisir ton vêtement te met dans un espace où tu t’annonces comme faisant partie de ce groupe là, ou de ce groupe là. »

 

Fabien

«  C’est du « non verbal culturel ? »

 

Marc

 « C’est un lieu de la masse culturelle. On se positionne dans un groupe culturel posé. C’est un appui à la langue. Un appui qui dit « Moi je suis de tel groupe social, je m’annonce et je vais parler de tel façon. » Et en fin de compte c’est une recherche de validité. Si je suis dans ce groupe social, la validité peut déjà commencer à parler à partir de là. Tu peux essayer de travailler sur les différentes catégories de couches sociales, tu vas voir qu’il y a des stéréotypes vestimentaires[17][17]. Si tu vas dans un café prés d’une usine, tu trouveras des salopettes bleues même le soir après le boulot. Le vêtement est l’objet de reconnaissance dans le groupe. C’est cela qui est intéressant parce qu’à partir de là tu peux commencer à poser une parole. Si tu vas dans un resto routier par exemple, c’est intéressant parce qu’il y a des gens qui te parlent dans la langue du routier à midi, et qui dans leur camion écoutent France Culture toute la journée, ce qui parfois leur permet d’avoir des discussions beaucoup plus fines. Ils ne parlent la même langue selon qu’ils sont avec des routiers ou d’autres personnes. La langue s’adapte au cadre, au groupe, à travers le vocabulaire, le geste, l’attitude.

Ce qui est intéressant pour nous c’est de voir que ces modes de langues[18][18] sont très culturels. On l’a évoqué un peu plus haut, notamment avec le cas de l’orient où l’on prend le temps de faire image. Cette conception est complètement décalée avec notre pratique de la langue qui vise plus l’efficacité, donc qui se veut concise et objective, minimaliste, excepté dans certaine situation.

 

Fabien

«  Est-ce que la différence entre le verbal et le non verbal relève de la différence entre ce qui est conscient et inconscient ? »

 

Marc

 « Je pense que verbal et non verbal sont des espaces très proches de l’inconscient. La gestuelle, le choix des vêtements ne sont pas forcément conscients. Ce n’est pas un lieu de lecture quotidienne, sinon on deviendrait fou. C’est le travail de l’analyse mais lorsque je choisis mes vêtements je ne me demande pas ce que je vais représenter. Rires. Je sais que ne vais pas choisir n’importe quel vêtement. C’est ce qu’on appelle le goût. « Moi ce qui me plaît c’est ça et pas autre chose. » Mais ce n’est pas un lieu de la conscience.

 

Fabien

«  Contrairement à la parole. »

 

Marc

« Même la parole, sauf quand on est dans un lieu très complexe où il faut qu’on construise un parole, le discours, la pédagogie, ou la didactique. Sinon en général, c’est quelque chose qu’on laisse glisser mais dans lequel on est capable de s’adapter très rapidement, ou pas, d’ailleurs, il y a parfois des refus. Il existe des endroits où s’ennuie, alors on s’en va. Ceux sont les endroits où nous ne sommes pas dans notre langue, ou autrement dit, les espaces  de communications qui ne sont pas les nôtres. Ceux sont des lieux qui ne font pas image, ça ne touche pas notre imaginaire par conséquent on ne peut pas travailler dans l’intelligibilité, parce que faire image c’est « entrer dans l’intelligence de ». Plus on fait image dans les cinq sens et plus on fait intelligence.

Fabien

«  Comme on l’a dit tout à l’heure, chaque individu  a plusieurs espaces de communications, et quand il rencontre un autre individu, il essaye de rejoindre ces espaces. »

 

Marc

« Quand on demande à quelqu’un au téléphone « Où tu es ? », on cherche l’espace de communication. Ensuite on demande «  Et qu’est-ce que tu fais ? » Rires. Petit à petit, on affine l’espace de communication à travers ces espèces de rituels du quotidien. Il y a beaucoup. « Bonjour, comment ça va ? »… Tout ça ceux sont des espaces qui sont nécessaires dans la communication, parce que si quelqu’un vous répond un « Ouuuais ça va » qui montre qu’il n’est pas très en forme, cela vous invite à prendre la fuite. Rire.

 

Tous ces rituels du quotidien font que nous sommes en permanence dans des recherches d’une parole partagée via des espaces où les autres pourront nous reconnaître pour nos qualités, nos capacités. Nous cherchons celui qui va nous comprendre, nous «  prendre avec ». Nous sommes un peu compliqué de part notre nature humaine, mais il est important de prendre en compte ce système en particulier quand on travaille sur l’immigration. Car dans ce cas on est confronté à cette complexité du regard non formalisé, dans le sens où les gens ne sont pas conscients de tout ça. Que se passe t il quand nous ne comprenons plus l’autre ? Notre aspect animal prend le dessus, un aspect qui peut être réactif et violent. Nous allons réagir dans la peur, le refus, et repousser l’autre.

 

Benoît

« C'est-à-dire que lorsque les espaces de communications sont brouillés, ou non partagés alors…

 

Marc

« Pour donner un exemple, moi, je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais lorsque j’entre dans un bar où il n’ y a que des gens en costard cravates, je m’en retourne et je vais voir dans le troquet d’à côté. »

 

Benoît

« Oui d’accord, donc la lecture peut interdire le dialogue comme elle peut le favoriser. »

 

Marc

«  Oui c’est cela, c'est-à-dire, qu’on ne la pas forcément consciemment mais c’est un lieu qui peut être d’attirance ou de répulsion en fonction du groupe où l’on se situe, c’est pour cette raison qu’il y a des espaces sociaux qui se spécialisent à terme. Les cafés sont des espaces intéressants pour voir les réseaux car tout le monde ne fréquente pas les mêmes cafés. Il y a des endroits où l’on sait que l’on sera en incohérence avec ce qui s’y passe. Ces endroits ne sont pas inintéressant mais ils ne sont pas intéressants pour nous, ie, ceux ne sont pas des endroits qui nous permette de nous mettre en communication, d’échanger. Si on veut y aller, alors il faudra faire un effort de changement de positionnement, de langage, pour rentrer dans un espace de communication. C’est une vrai exploration en tant que telle, c’est allé dans un autre pays déjà aussi, dans une autre langue, un autre espace de réflexion, un autre imaginaire.»

Benoît

« Mais est-ce qu’on peut y aller si l’autre ne nous reconnaît pas comme « même » que lui ? »

Marc

«  Ce sera plus difficile, tu seras perçu comme l’étranger, celui qui est étrange dans le groupe parce qu’il n’a pas le même comportement, parce qu’il n’a pas les mêmes vêtements, parce qu’il n’a pas la même langue ni les même sujets de conversations. Eclat de Rires. »

 

Fabien

«  Et si je peux permettre, moi je vais beaucoup dans le bar du village, parce que je connais beaucoup de gens…, et avant-hier je ne savais pas où étais le boulevard Gambetta à Alès. Alors je me suis dit, tien je vais aller au bistrot pour leur demander où est-ce boulevard. Tout le monde (six ou sept personnes) m’a répondu, certains se sont exclamé « Ah mais c’est là où il y a la féria ! » pour d’autres, c’était le boulevard à côté du Gardon, certains me localisé vers le stade de foot, ou vers la clinique, mais personne ne m’a demandé pourquoi je voulais le savoir. Ils ne savaient pas ce que je suis venu y faire, mais tous avaient une réponse, et ça a crée une communication… »

 

Marc

 «  Référentielle. Chacun a donné ses référents pour dire ce qu’il voyait. »

 

Geneviève

«  Personne ne voyait la même chose. »

 

Fabien

«  Ah ben personne ne sait que je suis venu »– Eclat de rires, fabien n’a pas eu le temps de finir sa phrase mais tout le monde a bien compris qu’il s’agissait du CMLO.

 

Marc

«  Si vous voulez vous rendre compte de ces effets de groupes, vous pouvez commencez par regarder les affiches de promotion d’un spectacle. Vous verrez que les gens ne regardent l’affiche qu’à condition qu’elle parle de quelque chose qu’ils aiment bien. Parfois, il y a des spectacles qui sont affichés en 4 par 3 et dont vous ignorez l’existence, parce que comme ça ne vous intéresse pas vous ne les voyez pas. Nous avons un regard hyper sélectif. Je me rappelle une fois en formation collecte, nous étions dans une pièce où il y avait une petite fenêtre qui donnait sur un arbre, alors je leur ai dit « on va tous passer sur la chaise qui est dans cet axe, et on va chacun à notre tour décrire ce que l’on voit, en trente secondes. » Il y a avait douze stagiaires, il y eu douze descriptions différentes. Ils ont tous visé le même arbre, un espace, mais ils avaient tous vu un élément différent. Même dans le même cadre, sur le même objet, on a une façon différente de voir, et nos choix pour décrire une même chose sont très différents d’un individu à l’autre. Nous sommes dans une sélection permanente qui fait qu’on est un individu. Mais cette façon de voir est également régie par le groupe. Il y a des idéologies qui dépendent du groupe, des espaces de représentation du monde. Chaque groupe construit ses représentations du monde. Celui qui est passionné de foot ne verra pas un matche de la même façon que celui qui est passionné de musique classique, et inversement. Il y a tout un jeu de construction des représentations qui dépend de l’activité de chacun. Dans une société où les individus parlent la même langue la situation est déjà très complexe, car les décalages sont parfois énormes, alors pour un individu étranger la situation est d’autant plus dure. S’il est passionné de foot, même s’il ne parle pas très bien notre langue, comme il éprouve de l’intérêt dans cet espace de communication, il sera dans une position d’écoute. Si en plus il possède une capacité d’analyse, qu’il connaît les équipes… alors il pourra être accepter.

              Ce qu’il faut comprendre c’est ça aussi, sur quoi se fait une rencontre ? Sur quoi se fait l’échange ? Par quoi passe la médiation ? Comment trouver « l’axe commun » à partir duquel  on commence à négocier ? Il n’y a pas d’idéal, il n’ y a que la personne à trouver, que ce soit un cultivateur d’olivier, un joueur de foot… Le problème étant que plus la culture est différente et plus les écarts empêchent de trouver un terrain d’écoute dans lequel on va pouvoir échanger quelque chose de profond. Aujourd’hui, c‘est difficile d’avoir quelqu’un qui arrive d’une agriculture complètement autarcique où l’objectif est uniquement de parvenir à en survivre, et de le faire discuter avec un agriculteur d’ici. Il y a un système de représentation de l’agriculture qui fait que très vite la communication sera limitée. Alors on va essayer, mais on se dira «  Et bé, on n’est pas sorti de l’auberge avec celui là… » Et l’autre se dira « C’est complètement fou leur truc. »

 

              Lorsque les représentations sont différentes la communication est difficile. Mais c’est cela qui est intéressant en même temps, car une fois que l’on a conscience il faut faire l’effort d’écouter l’autre jusqu’au bout. Est- ce que je suis capable d’être curieux du système de représentation de l’autre ? Pour moi, dans cette question se trouve un des outils du médiateur. Le médiateur ne doit surtout pas imposer son point de vue, il doit être capable de faire en sorte que l’autre énonce son propre système de représentation, où il se situe et quelles sont ses valeurs, car c’est dans son système de représentation que se trouvent ses normes, ses valeurs, ses habitus (au sens où Bourdieu l’entend, ie, celui de réflexe culturel). Il n’ y a qu’à partir de là qu’on peut arriver à détecter ces codes et à voir comment ils peuvent entrer en relation avec d’autres codes (les points de contacts et les points de ruptures). C’est le travail du médiateur, mais souvent, la mission du médiateur n’est pas du tout dans ce travail. En gros, on lui demande de trouver les outils pour imposer la culture de celui qui accueille à celui qui arrive.

Sa parole est plutôt communicante dans ce cas, et cela n’a rien de choquant puisque la parole est aussi faite pour communiquer.

 

              Il y a des choses qui sont complètement culturelles. Par exemple dans le monde kabyle, les hommes cultivent les arbres, les soignent… mais ils ne cueillent jamais les fruits, car cela c’est le travail des femmes. Alors quand ils arrivent sur une exploitation  agricole en France et qu’on leur demande de cueillir les fruits, ils sont choqués. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que cela représente. Leur demander de cueillir les fruits c’est leur demander d’accomplir un acte féminin. Ils le font parce qu’il faut bien vivre. Mais derrière il y a quelque chose qui se joue, il y a toute une remise en cause du normatif et de la tradition, ie, tout ce qui fait valeur.

 

              De notre côté, je pense qu’il y a tout un travail d’accueil des gens qui ne partagent notre culture qui n’est pas assumé. Est-ce que les gens qui accueillent un contingent de marocains se posent la question de savoir quelle est leur culture ? Se demande-t-il ce qui se joue ? Où est ce qu’il va y avoir des choses à négocier ?

 

              Parce que si l’employeur sait que la cueillette des fruits est un acte féminin alors que c’est un acte neutre en France par exemple, et qu’il cherche à comprendre le pourquoi et le comment, il y aura moins de problèmes parce que la différence sera mise en intelligence, donc négociée. On peut très bien être dans un lieu de gestion qui passe par la parole, et aujourd’hui malheureusement, je pense que ce temps de parole n’est pas du tout travaillé. On recherche l’efficacité, ce n’est pas très grave si on casse de l’humain, le tout c’est que ça marche. Rires. Sauf qu’après, il y a des révoltes qui se mettent en place, au sein même des entreprises.

 

              Le non verbal est aussi important que le verbal pour moi, je dirai qu’il représente 60% de la communication. Je dirai que la parole est le dernier espace de transmission, c’est ce qui va traduire l’état corporel, l’état mimique, l’énergie par les gestes. La pensée est intérieure, mais avant même la parole il y a tous ces états là qui commencent à parler. La parole affine ce qui est dans le corps. Je me souviens d’une expérience intéressante que j’ai eu à Paris. J’avais venir des conteurs étrangers qui n’étaient pas traduits. Il y avait juste quelques mots clés sur lesquels on s’arrêtait, mais on comprenait tout parce que les conteurs avaient un état de corps tellement parlant qu’avec seulement quelques mots toute la complexité du récit et du conte était lisible.

 

Benoît

« Est-ce que cela veut dire qu’il y a un langage universel du corps ? »

 

Marc

« Non, il n’est pas universel parce l’état de corps est culturel. Donc une culture génère son état de corps aussi, ie, sa gestuelle et sa mimique. »

 

Benoît

«  Mais pour qu’on puisse comprendre sans comprendre le mot, il faut bien qu’il y ait un référent commun. »

 

Marc

«  Oui, en effet, mais là si tu veux on était dans le conte, r le conte en lui-même est un espace en grande partie archétypale, par conséquent il y a des traits en communs, mais cela n’empêche pas qu’il y ait des traits culturels. Par exemple, les japonais ne sourient pas parce qu’ils sont contents. Ils soueint quand ils commencent à se méfier de toi ou à être dans le doute, le sourire n’est pas un lieu du contentement. »

 

Benoît

« D’accord.  » Sourire.

 

Rire

 

Marc

« Le langage gestuel n’est lui aussi pas signifiant de la même façon dans un endroit ou dans un autre. Par contre il y a des éléments qui sont communs et archétypal, des invariants, comme le fait d’avoir la pupille qui se dilate quand on prête attention à ce que dit l’autre…

Alors il faut également prendre en considération les contextes de prise de parole. Le contexte culturel est très important. En occident par exemple nous avons un rapport spécifique à la temporalité : nous n’aimons pas attendre, alors que dans les monde arabe par exemple, il est tout à fait normal qu’on te fasse attendre deux heures avant un rendez vous. Ce n’est poas impoli du tout, cela fait partie de la rythmicité du quotidien et tous les gens qui travaillent à l’international le savent bien. Ce que nous vivons comme une impatience, eux le vivent comme quelque chose de normal : on te laisse le temps de prendre ton thé, de t’installer, à tel point que c’est même un lieu de la politesse que de faire attendre. Cette attente est le passage nécessaire pour que tu puisses rencontrer l’autre dans de bonnes conditions. L’occidental qui n’est pas au fait de ses mœurs s’énerve. En fait, la perception temporelle est culturelle, et il en va de même pour la politesse. Au Maghreb, le rot après le repos est une marque d’appréciation du repas. Donc si tu ne fais pas de rot cela signifie que tu n’as pas aimé. En général, quand tu es perçu comme l’étranger on ne t’en fera pas grief. C’est la même situation chez nous, on a l’impression de vire sans traditions, sans rituels … mais nos pratiques sont tout autant de l’ordre de l’habitus socio culturel, ce qui fait que pour quelqu’un qui possède une autre culture, c’est tout aussi étrange. Je me souviens lorsque je vivais à Strasbourg, on m’avait confié un travail à faire au Sénégal. On  était censé faire un film, pour moi c’était mes tous premiers mois de travail en ethnologie, il y a une coopération qui se faisait avec le Sénégal, donc nous on était allé là-bas et on avait filmé des tas trucs, complètement ridicules. Et inversement, les sénégalais qui étaient venus chez nous avaient faits la même chose. Ils avaient filmé les chiens en laisse par exemple, ou encore les toilettes publics, ces boîtes en fer, closes où il faut mettre une pièce. Pour nous c’était l’inverse, on avait montré le foyer public dans lequel tout le monde déféquaient. Ceux sont des trucs complètement banal, de l’exotisme… mais qui ont le mérité de montrer les ancrages culturels, les traditions, tout un lieu du comportement qui devient étrange parce que ce n’est pas neutre. Accueillir l’autre c’est être conscient de ses propres espaces, et ce n’est pas évident, car si on regarde ce que l’on fait par habitude sans en avoir pleinement conscience, la liste est longue.

              Tous ces habitus forment un langage qui se reporte dans la langue. L’unité de l’expression pour une habitude ne doit pas nous masquer la diversité des pratiques. Par exemple, faire sa toilette le matin, tout le monde sait ce que c’est, mais personne ne le fait de la même façon. C’est le problème de la traduction. Traduire ce n’est pas uniquement traduire des mots, c’est aussi traduire des comportements, des habitus, des traditions, des façons, d’être. C’est le travail de l’ethnologue que d’étudier le détail, car tous les détails de la vie quotidienne ont une importance, une signification par rapport à une culture et c’est là, dans les détails, qu’on voit souvent les témoignages d’une culture, et pas seulement dans les évènements historiques. Si tu évolues dans un univers de croyance animiste, tu n’auras le même déplacement sur le territoire que si tu évolues dans une société chrétienne. Le religieux lui-même est un espace d’habitus.

              En général, par l’usage quotidien de  notre langue nous oublions de faire la traduction de l’habitus. Nous avons l’habitude de parler à l’autre comme s’il était capable de tout comprendre de notre culture, comme s’il avait toutes les clés pour rentrer dans notre culture, comme s’il avait grandi et toujours vécu avec nous. C’est comme cela que se développe un langage de sourd : on développe des représentations différentes à partir d’incompréhensions qui peuvent parfois aboutir à des non sens. L’écrivain a conscience de ce fait, il sait qu’il s’adresse à un public qui ignore tout (ou presque) du groupe dont il parle. Ce qui fait la qualité d’un roman bien souvent, c’est qu’on n’est pas dans l’exotisme mais dans la découverte d’un autre monde. C’est ce passage à un espace qui n’est pas le nôtre, à un univers autre que le nôtre.

 

Fabien

              «  Si je peux me permettre par rapport au sujet de l’immigration, le retour au pays des enfants algériens qui sont nés en France, c’est un retour à une culture qui est parfois méconnue et pas toujours comprise-

Marc

              « Ou d’une culture dont les traits ne sont plus valides. »

Fabien

              « Alors les autochtones les accueillent peut-être en connaissance de cause, mais le non verbal, la culture fait qu’ils perçus comme des étrangers. »

Marc

              «  Oui en France, on les appelle algériens, et en Algérie on les considère comme des français. Faire identité est très difficile dans ce cas. »

 

Fabien

              « Il faut réussir à transcender le clivage. Enfin c’est plus facile à dire… »

 

Marc

              « Ce n’est pas une question facile, et le processus de mondialisation va élargir la sphère de cette problématique de la conscience interculturelle. Mais justement, je pense que la conscience interculturelle passe par la réponse à la question « Comment fait on un habitus commun sans qu’il y ait obligatoirement concession d’un côté comme de l’autre ? »  Pourquoi les gens issus de l’immigration cherchent-il leur communauté ? Pourquoi revient-t-on à cette communauté ?

              Parce qu’il savent très bien qu’en dehors de la communauté il faut qu’ils bougent et changent leurs habitudes. Mais ils ne peuvent se réadapter immédiatement, c’est impossible de se dire français dés son arrivée. Ce temps d’adaptation est plus moins long, cela dépend de l’ouverture de la  personne et de sa compréhension du nouveau milieu. La notion du méta me semble très importante, le méta langage c’est la connaissance des fonctionnements de sa culture à travers le regard d’une autre. Parce que dés que l’on s’ouvre sur la culture de l’autre on n’a un espace de comparaison possible. Cette dimension « méta » culturelle n’est pas suffisamment travaillé, on a tendance à vouloir expliquer notre culture d’emblée au moment de l’accueil. Du coup comme le primo arrivant n’a pas forcément conscience de sa propre , puisqu’il la vit, il n’a pas encore d’élément de référence et de comparaison. Etant nous même fondé (souvent) sans le savoir par un espace judéo chrétien, les propositions qu’on lui fera vont pouvoir le choquer. Pour un individu fondé sur un espace musulman la quasi-totalité de nos habitus (dont on exige qu’il les adopte) le remettent en cause dans ses croyances, ses valeurs, ses fondements les plus profonds.

 

              Pour certaines primo arrivantes, leur demander d’ôter le voile c’est comme leur demander de se mettre à nu, car cette nudité est vécue sur le mode de l’impudeur, donc là il faut faire attention, ce n’est pas la même chose que de porter un voile sur le mode d’une revendication identitaire. Ceux sont des espaces qu’il faut négocier dans la complexité et pas par des lois qui interdisent systématiquement. Le principal du Collège de la Grand Combes la très bien compris. Récemment une de ses élèves portait le voile. Il a transgressé la règle et l’a laissé faire sachant qu’au bout de moment elle s’adapterait d’elle-même à la situation, et c’est exactement ce qui s’est passé. Sentant que les autres filles, ses copines n’avait pas cet endroit de pudeur, elle a compris qu’elle pouvait aller dans cette impudeur là sans être choquante. Mais cela elle la sentit d’elle-même et parce que  ce n’était pas interdit non plus. A un moment c’est elle qui a cherché une identité au sein du groupe (dans la classe) et la situation s’est régulée d’elle-même. Mais si tu commences à « mettre ton grain » de dessus, cela devient un acte réactif, et la personne bute contre cette réaction qu’elle ne comprend pas.

 

              Ici, avec la Grand Combe, on a vu ce que ça a donné. Un proviseur a interdit purement et simplement le port du voile, en prenant des mesures coercitives (renvoi provisoire), il y eut une couverture médiatique de cet évènement.

              Ce qui est important, c’est de bien comprendre ce que l’on demande à quelqu’un lorsqu’on lui demande de se comporter comme nous, c'est-à-dire d’adopter d’autres habitus culturels. En même temps bien entendu, il faut faire sorte que la société d’accueille ne soit pas choquée par les habitus de l’allochtone. Cela suppose qu’il y ait une intelligence des codes culturels. Pour moi cette négociation passe par la mise en intelligence du comportement. Je pense que si la jeune fille comprend ce que c’est que le voile pour elle, alors elle peut entendre les raisons de l’ôter.

 

Geneviève

« De part mon expérience, j’ai aussi conscience qu’il est très important d’expliquer ce que nous pensons du port du voile, et de rendre lisible le pourquoi de notre position. Donc il faut qu’un dialogue s’instaure.»

 

Marc

 « Bien sûr. Pour moi une loi ne peut être respectée que si elle est justifiée, donc comprise. On ne peut pas respecter une loi qu’on ne comprend pas, au contraire, si on ne la comprend pas on va essayer de la contourner et de comprendre de cette façon pourquoi les autres sont contre. C’est par la confrontation qu’on cherchera à mettre du sens sur ce qu’on ne comprend pas.

              Pour moi, la parole est importante à ce niveau là. Plus haut on a indiqué le rôle de la transmission familiale était fondamentale, elle est le moteur d’une compréhension de sa propre culture, et du fonctionnement de sa langue. Elle est aussi le moteur qui permet de créer une identité dans la valorisation de la chaîne de transmission familiale. C’est ce qu’on appelle être enraciné. Enraciné pour moi ce n’est pas être dans le sol, c’est le problème aussi pour nous aujourd’hui (français) on a tendance à penser qu’on est toujours enraciné sur un sol. Alors que pour moi la racine est dans la connaissance du parcours de ceux qui ont été avant nous. C’est cela connaître ses racines : ce n’est pas savoir qu’elles partent de là et qu’elles arrivent là, mais de comprendre où est ce qu’elles prennent et à partir de quoi elles se développent pour arriver à « faire arbre ».

 

Le chemin de la racine, c’est la trace dans laquelle on va pouvoir s’inscrire. Connaître la chaîne de transmission familiale c’est être un minima conscients de ce qui a pu nous fondé dans notre identité, tout ce qui nous a été transmis sur un mode conscient ou inconscient. C’est pour cela que la psycho généalogie est une discipline intéressante, elle nous permet de découvrir dans la transmission de nos ancêtres tout ce qui a nous pu nous formaté, tout ce qu’on a essayé de nous faire porter dans des désirs. C’est là que ça devient intéressant parce qu’on mesure l’ampleur de ce qu’on porte malgré soi, comme les désirs des parents, des grands parents…

 

Fabien

«  Si je peux me permettre de filer la métaphore, il s’agit de comprendre quel fruit on est. »

 

Marc

« En gros, oui. Je dirai plutôt que c’est comprendre quel bout de racine on va être en plus. »

 

Fabien

« Pour les primos arrivant dont les enfants sont nés en France les difficultés sont liées au fait que la transmission ne se fait pas. »

 

Marc

«  Elle s’est faite parfois, mais male faite ou a été refusée parce qu’il y avait des parents qui voulaient tellement que leurs enfants s’intègrent qu’ils n’ont surtout pas parler du pays, et au contraire on a des pères dont l’objectif était de revenir, et ceux-là ont réalisés une transmission que je qualifierai de « transmission négative», dans le sens où elle s’est faite malgré eux, et où ils ont transmis une image de leur pays tel qu’il était lorsqu’ils l’ont quitté. Alors comme même le bled a évolué, on se retrouve avec des enfants ne sont ni à l’aise dans notre société, ni à l’aise dans la société de leurs parents, et à ce moment là, la transmission devient un lieu porteur de mal être. La transmission n’est pas obligatoirement quelque chose de positif. Elle peut devenir négative, comme toute choses, il y a toujours deux pôles. La transmission peut freiner ou limiter la possibilité d’un ancrage à un bien être. La bonne transmission, c’est celle qui pense à l’avenir, et pas celle qui idéalise le passé. Quand on est dans la notion de transmettre, il faut penser à donner les outils pour construire l’avenir, c’est cela qui est important et non de chercher sa propre connaissance, par l’autre, dans le passé. La mauvaise transmission c’est celle qui renferme un idéal dans quelque chose qui est déjà révolu, parce qu’à ce moment la personne ira chercher son bien être dans une nostalgie, un  « C’était bien dans le temps. »

 

Fabien

« C’est le mythe du pays perdu. »

 

Marc

«  C’est le paradis perdu, un espace que l’on regrette, donc du coup la où il y a du positif on transmet du regret. »

 

Fabien

« Une nostalgie éternelle dans laquelle on ne peut pas se construire. »

 

Marc

              « Un aspect important dans la notion de pays c’est le coffre qu’on n’ouvre jamais. Le coffre que la grand-mère a pris quand elle a traversé la mer, et qui est là dans un coin. Si elle l’ouvre on sait que c’est un lieu de la nostalgie qui va être dedans, mais on a besoin qu’il soit là. C’est l’objet de reliance, quelque chose qu’enfin de compte on n’ouvre jamais. On le retrouve dans énormément de témoignages. Ce n’est pas forcément un coffre. Je me souviens d’un témoignage très émouvant d’une personne qui avait ouvert le coffre. Quand elle la ouvert les tapis étaient mités, il y avait un tapis et un bandir, et deux ou trois petites choses. Elle s’est demandé ce qu’elle allait en faire, je jette ou je jette pas. Et finalement elle a refermé le coffre, pensant que là où elles étaient ces choses étaient bien. De toute façon ce n’est pas quelque chose qu’on jette. Il faut le laisser fermé. Ceux sont toutes ces choses les objets de reliance.

 

              Par contre cette femme n’a plu eu besoin d’ouvrir le coffre parce que son père, qui venait du monde paysan, avait pris la précaution depuis sa plus tendre enfance de raconter ce que vivait la famille là-bas, son parcours, ainsi que des contes traditionnels. Il a maintenu le fait d’une valorisation de la culture. Donc c’est une personne qui venait d’une famille très modeste, des paysans kabyles d’Algérie mais qui avait fait des études en France et en Algérie de manière à avoir une biculture. Aujourd’hui, elle a fondé une association qui s’appelle « Les deux rives ». elle travaille sur la valorisation des deux cultures, pour elle les rencontres sont importantes car elles permettent de rester dans la perception de cette bi culturalité.

 

Marion

« Mais il n’ y a bien une jeune fille dont le père envoyait des coffres. »

 

Marc

« Oui, Dydia, mais c’est autre chose là encore. Pour être bien reconnu dans la communauté immigrée, il est nécessaire de justifier le départ en renvoyant des choses au pays. Alors pendant des années, tous les trimestres il envoyait un coffre, une malle pleine de vêtements… Et puis la récemment, ils sont retournés en Algérie, et dans la maison ils ont retrouvé les coffres. Ils se sont aperçus que personne ne les avait jamais ouverts. Ils étaient stockés dans la maison. Ce qui importait c’était la reconnaissance au sein de la communauté.

 

Marion

« Mais a-t-il été reconnu dans la mesure où les coffres n’ont pas été ouverts ? »

 

Marc

«  Il a été reconnu dans la communauté d’immigrés. Personne ne savait ce qui passait en Algérie, mais on voyait juste partir les coffres. Cela on le retrouve dans plein d’endroit. La volonté d’être reconnu peut conduire à des « délires » de ce genre. »

 

Fabien

« On peut vivre dans la difficulté en France mais à partir du moment où l’on rentrent au pays, ne serait-ce qu’un mois ou deux pour les vacances, il y a une nécessité de paraître mieux portant que si on était resté. »

 

Marc

              « Oui, il faut montré qu’on est celui qui a réussi. Et cela a d’ailleurs beaucoup entretenu la continuité de l’immigration. Il y a un espèce de mythe fondé sur la réussite sociale des gens qui viennent immigrer en France. Ce n’est plus aussi vrai que cela a pu l’être, car il y a une communication qui est plus forte, et que la réalité se dévoile petit à petit. Mais, dans les premiers temps effectivement, comme toute la famille (soit une soixantaine de personnes) misait l’argent qu’elle avait épargné sur le départ d’un membre. Après il fallait que celui-ci trouve du travail, et pour cela il pouvait accepter de vivre dans des conditions déplorables, : caves, taudis, quoi que ce soit pourvu qu’il renvoie une part de son salaire à sa famille. Il était donc liée par une dette à la communauté d’origine. A son retour, puisqu’il avait eu la chance de réussir, il avait le devoir de le montrer et de rendre au hommage à l’investissement de ses proches.

              On peut donc dire que le devoir de satisfaire l’honneur du groupe a favorisé le maintien d’une conception erronée de la réalité du phénomène migratoire. L’image d’un homme comblé s’est véhiculée dans les représentations, alors qu’en fait, son discours répondait à un impératif social plus ou moins conscient. Cela fait partie d’une culture, parfois le code d’honneur est plus important que la vie elle-même. C’est un trait culturel, on ne peut pas revenir déshonoré au pays. »

 

Fabien

« Cela me fait penser à un autre choc culturel qui est celui du rôle des enfants par rapport aux parents. L’enfant travaille pour donner ou rendre, je ne sais pas, à ses parents. ? . »

Marc

« Il y a un du, et un espace de sacralisation des parents, et des enfants aussi, parce qu’il font véritbalement ce qu’ils veulent jusqu’à un certain âge. Dans le musulman l’enfant est roi, jusqu’à l’âge de sept ans où on considère qu’il a atteint l’âge de raison qu’il va se socialiser, normalement. Aujourd’hui, ce stade dure jusqu’à quinze ans. »

 

Geneviève

 «  Et pas seulement chez les musulmans. »

 

Marc

«  Non dans d’autres sociétés aussi. Chez nous aussi mais pas de la même façon. L’espace de sacralisation des parents est très vivace, regardez Zidane, on n’insulte pas sa mère. Rires. Il ne faut pas toucher à ça.  »

 

Fabien

« Je me souviens d’un copain avec lequel on avait gagné mille euros en travaillant. Moi j’étais parti dépenser mon salaire en une soirée, alors que lui en avait donné la une bonne partie  à ses parents. Son premier souhait c’était celui là, en restituer une partie à ses parents. »

 

Marc

 « Oui cela fait partie des codes culturels. Cela fait parti des espaces de négociation, et puis les parents sont souvent des enfants aussi. Il faut penser que nous dans une famille élargie on a la retraite mais pour quelqu’un qui a « travaillé au noir », avec des fiches de payes plus ou moins trafiquées, au bout du compte sa retraite ne doit pas représenter grand-chose. Ils vont être dépendants de la famille, il y a un espace de cet ordre la. Je pense que même pour les enfants il y a une espèce de conscience du besoin parental qui, elle aussi, fausse les données du problème.  Chez nous, on n’a l’habitude de voir des parents qui aide leurs enfants plutôt que l’inverse. Lorsque les enfants aident leurs parents sur le plan administratif aussi bien que sur le plan professionnel, il y a pour nous une inversion des rôles : ceux sont les enfants qui éduquent les parents. Comment est-il possible d’avoir de l’autorité sur ses enfants à partir de là ?

 

              Ceux sont des enjeux de l’échange, on accepte l’autorité parentale parce que nos parents nous aident et ont la connaissance. La mutation technologique a renversé l’ordre de la transmission puisque ceux sont les enfants qui possède le savoir validé et reconnu par la société : paperasse administrative, assurances, nouvelles technologies.

 

Fabien

 « Cette dépendance des anciens vis-à-vis de la connaissance techniques des nouvelles générations renversent les codes de valeurs. »

 

Marc

« Oui, cela renverse la logique valorisante du cadre parental, lequel est censé être celui qui protège et assume les responsabilités. Le parent devient l’in-fant. C’est d’autant plus vrai pour une personne immigrée qui ne parle pas français, puisque celle-ci ne peut être reconnu qu’à travers la parole de ses enfants.

Notre idée c’est de rendre conscient l’importance de la transmission du parcours. Pour que l’enfant ait cette conscience là, il faut d’abord qu’il ait eu l’envie d’écouter le récit du parcours. Dans le parcours le parent doit se valoriser, ie, retrouver une part de valeur. L’enfant doit prendre conscience qu’il doit écouter cette parole s’il ne veut pas qu’il lui manque quelque chose plus tard dans sa construction personnelle. C’est là qu’il faut arriver à mettre de l’intelligence dans l’immigration : ce n’est pas parce que tu as changé de pays que tu n’as pas de racine là où tu es né. Tu as besoin de cela pour te construire, et si tu ne vas pas le chercher, il te manquera quelque chose.

 

Fabien

«  Alors je repense au film « Indigène », qui redonne une histoire qui revalorise-

 

Marc

 « C’est une histoire pour les enfants qui revalorise aussi l’histoire des Français. »

 

Fabien

« Il y a une double prise de conscience. »

 

Marc

« Quand nous sommes allés dans les Lycées, analyser certains témoignages qui avait été collecté par Elizabeth, et d’autres membres du CMLO, sur les parcours, certains élèves étaient au bord des larmes ( ils avaient aux alentours de dix huit ans). Ils ne disaient rien classe mais à la sortie, ils venaient nous voir pour nous dire « Je ne peux plus voir mon père comme avant. Je ne sais pas si j’aurai fais ce qu’il a fait.» Ces témoignages n’ont jamais été fait dans la famille, et lorsque les parcours sont transmis par d’autres bouches, et cela ouvre des horizons sur la compréhension de la réalité d’un départ. Les jeunes qui sont issus de la deuxième ou troisième génération n’ont aucune idée de ce que c’est de partir. Ils se retrouvent dans le confort d’un HLM qui, même s’il n’est pas très confortable, n’a rien avoir avec la misère que leurs parents ont pu connaître. En 1958, l’hiver est dur en Algérie, les Oliviers gèlent, des milliers d’hommes et de femmes se retrouvent sans revenu. Devant cette situation de crise, la seule solution est de quitter le pays, de traverser la méditerranée, pour y trouver du travail. Une fois que cela est dans les consciences, dans l’histoire, et la transmission vécue, une autre conscience se met en place. Ce ne sont pas des choses naturelles, souvent les parents ne veulent pas en parler parce que cela les renvoie aux souffrances qu’ils ont endurés. Ils ont l’impression qu’ils vont être dévalorisés sur ces choix, et ont peur qu’on leur reproche d’être partis du pays, alors ils restent dans une espèce de mutisme, et la transmission ne se fait pas. Si en plus de cela le parent n’a pas trouvé de travail, et qu’il a du mal à faire vivre sa famille, ou pire que ceux sont ses enfants qui assument ce rôle là, il y a de grandes chance pour qu’on se retrouvent avec des enfants qui n’acceptent aucune autorité. Les parents n’étant pas valorisés ne peuvent pas avoir de pouvoir, donc ils n’exercent aucune autorité sur leurs enfants. Il arrive même que les parents soient victimes d’agressions physiques de la part de leurs enfants. Sans le savoir, par leur silence, les parents contribuent à maintenir ce manque de respect envers leurs personnes.

 

Tout cela nous montre bien les enjeux de la parole de l’immigration. Mais je crois que cette parole ne peut être conçue dans une activité que si ce à quoi elle sert est intelligible. Il faut qu’il y ait une conscientisation du processus par lequel la parole nourrie l’individu. On a l’impression qu’il n’y a que le fric qui peut nourrir. Il y a beaucoup de chose qui nous font vivre, certaines paraissent archaïques et sont mises en marge, et c’est vrai que pour moi, il y a là une vraie question à se poser sur la notion de « l’adieu au corps » : la désincarnation de la parole.

Là aussi, nous ne sommes plus tout à fait dans le même mode de communication. Une parole sans corps, c’est une parole qui se prive des soixante pour cent de la communication non verbale. On parvient, par des artifices, à rétablir un peu l’équilibre, mais je pense que l’on « zappe » facilement quarante à cinquante pour cent de la communication.

 

Les espaces de communication et l’oralité représentent de véritables enjeux pour notre avenir.

 

Fabien

« Dans cette notion de transmission de la mémoire de l’immigration, il me semble que nous n’avons pas parlé de la guerre d’Algérie. »

Marc

« Nous avons évoqué ce sujet lors du séminaire consacré à la mémoire collective. Cela fait partie de l’histoire, c'est-à-dire qu’on est vraiment dans un espace où on se confronte à des enjeux de positionnements. Tant que ce ne sera pas mis sur la table en tant que lieu de discussion entre les gens qui ont fait la guerre d’Algérie, et je pense qu’il n’y en aura plus bientôt. C’est toujours le même problème lorsqu’il s’agit d’éclairer les conflits, soit on pense que c’est trop tôt, mais en même temps, si nous nous privons des témoins directes, nous entrons dans un endroit du conceptuel, or les vécus constituent de véritables enjeux dans la transmission. La violence de certains de ces vécus permet de comprendre l’importance des parcours dans la transmission orale.

 

              Un jour, lors d’une collecte, dans le cadre d’un partenariat avec « Radio France ? », on avait enregistré le témoignage d’une mère qui était là, et qui avait dans son discours une espèce de violence contre les français. Donc on voulait comprendre pourquoi, et quand lui journaliste lui posa la question. Elle nous raconta qu’en Algérie, son premier mari avait été fusillé par les français devant ses yeux. C’est son second mari qui l’a amenée en France. Cette violence qu’elle a ressentie et n’a jamais oubliée, elle l’a transmise à ses enfants sans le savoir. C’est là qu’on se rend compte qu’il y a des lieux de discussion nécessaires qui n’ont jamais été posé. Les femmes qui étaient là avec elle lui ont fait remarqué qu’elle ne le leur avait encore jamais dit. C’est le fait d’être engagée dans un travail de collecte lui a permis de le dire.

 

              La communication, la transmission peut être négative si le dialogue n’est pas établi, car à ce moment là, la personne va entretenir un espace de haine enfoui profondément à l’encontre de son pays d’accueil. La guerre d’Algérie n’a pas encore été digérée. Nous avons encore des témoins qui sont les porteurs actifs de nos mémoires. Ce n’est pas uniquement  une mémoire, au contraire c’est une mémoire qui peut avoir des conséquences sur nos actes, et nos attitudes, d’autant plus lorsque cette mémoire n’est pas verbalisée, car elle peut engendrer un du réactif.

 

              Geneviève à Fabien « On a fait une conférence récemment avec la participation de l’historien Nicolas Bancel sur le thème de la « La fracture coloniale. »C’est un des auteurs de l’ouvrage sur l’histoire de la colonisation dédié aux « Zoos humains.  Une centaine de personnes sont venues à cette conférence.

 

Fabien

« Ce qui prouve qu’il y a des choses à dire.»

 

Marc

« C’est un endroit difficile à digérer même pour les jeunes générations. On sent très bien que cela nous rattrape sur des espaces de communication possibles. Il y a beaucoup de choses à éclairer encore. »

 

Geneviève

« Mais de toute façon, ce mutisme est aussi écrasant tant d’un côté que de l’autre. Moi j’ai vu mes grands frères partir, et certains ont été très abîmés et n’en ont jamais parlé. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais mon frère ne m’en a jamais parlé, jamais. Il est revenu avec une souffrance et une violence. Cette non parole … nous laisse sans mot.

 

Marc

« C’est un conflit. »

 

Benoît

«  C’est déjà une forme transmission aussi. »

 

Marc

« Le non dit ? Oui mais cela devient un espace phantasmatique qui peut alimenter la violence, et nourrir le réactif. »

 

Geneviève

« Dans ma famille il y a des blessures. Je suis assez sensible à ce sujet, les quatre fils de ma belle mère sont partis là-bas. Quatre fils. Donc da ma famille c’est resté une blessure sensible. »

 

Marc

« Mais avant qu’on parle de manière sereine, le travail des historiens est nécessaire. Où est ce que l’historien est important ? A un moment donné, il va faire sorte de ne plus se laisser manipuler par le pouvoir. Pendant très longtemps, l’histoire a été écrite par le pouvoir en place. Mais aujourd’hui il y a des gens qui réagissent au pouvoir en place, on l’a vu récemment avec la loi de 2005, et la volonté de réintégrer la part positive de la colonisation à l’enseignement scolaire. De nouveaux éclairages se mettent en place, ne serait-ce que dans les technicités qui se développent, comme le fait d’intégrer l’histoire orale dans l’histoire écrite a fait changer notre conception de la notion de témoignage. Pendant très longtemps, on rejeté le témoignage orale pour ne s’appuyer que sur des écrits. Les techniques de l’anthropologies ont permis de faire rentrer la catégorie du témoignage orale ( ie de celui qui n’a pas le pouvoir d’écrire) dans le cadre de l’histoire. Et cela change beaucoup de choses.

On avait travaillé avec Sujier  la dessus, il avait pris en exemple un évènement qu’il avait travaillé ici sur la région. Donc il avait le témoignage de la préfecture, celui de la police, celui du Maire qui était présent sur les lieux, et tous étaient contradictoires. C’est ça qui est intéressant parce que du coup il s’est demandé ce qu’il devait faire. Alors, il a mis tous les témoignages, et nous a laissé le choix. Comme il n’avait pas de vérité, il a tout exposé.

 

C’est pour cela qu’il est intéressant que l’écrit ne prime plus. Il y a une coexistence de point de vue différent et on prend en compte que la mémoire est un endroit de l’auto manipulation. Nous manipulons nous même notre propre système de représentation, et donc, cela signifie que notre mémoire n’est pas fiable en tant que lieu de l’histoire. C’est la confrontation des mémoires qui fait qu’il y a un sens commun qui se dégage. La vérité, selon ce qu’on a vu, ne correspond pas à celle de l’autre. Et puis il ne faut pas oublier la part phantasmatique.

 

Je me souviens de ce témoignage d’un maquisard qui était du côté d’Andelus, à la Madeleine. On commence à discuter avec lui, il discute, il discute. Et puis il commence à nous raconter son histoire, il entre dans des détailles. Et à un moment donné, on lui demande où est-ce qu’il était. Et alors là, blanc. POF. Enfin de compte, de là où il était, il ne pouvait rien voir. Il s’en est rendu compte à ce moment là. Il s’était approprier tout ce que les copains avaient raconté, comme étant un lieu du témoignage, de son histoire. Sauf que lui d’où il était, il ne pouvait strictement rien voir. Et c’est lui qui nous l’a avoué. Le simple fait d’avoir posé la question lui a permis d’accéder à la conscience qu’il avait imaginé tout cela.

Alors c’est vous dire si la mémoire est manipulable. Et cela faisait des années qu’il racontait ce fait de guerre, convaincu qu’il était de l’avoir vécu.

 

Quel est l’état de conscience de la mémoire en fin de compte ? La mémoire n’est pas stable, on a des faits qui bougent tout le temps, des trucs complètements qui viennent se coller à des éléments de l’ordre du légendaire. Pour l’historien c’est un peu la galère aussi dans le témoignage, comme pour toutes les disciplines des sciences humaines qui ont l’habitude de recomposer une histoire qui n’est plus du tout la même. Sur le conflit colonial c’est cela qui est intéressant, l’historien reconnaît qu’il ne possède pas la vérité mais qu’il collectionne des bouts de vérité, ce qu’on n’aurait pas pu faire il y a quelques années. La notion de négociation va changer énormément de choses.

 

Fabien

 « Pour faire la continuation de ce que vous venez de décrire, je connais un petit village où il y a beaucoup de légendes sur les faits de guerre de la seconde guerre mondiale. Ce qui me frappe c’est qu’il n’y en a absolument aucun qui concerne la guerre d’Algérie.

 

Marc

« Il y a aussi un élément à prendre en compte, c’est que la guerre d’Algérie n’est pas valorisée. C’est un lieu de la culpabilité. On a été impliqué dans un conflit qu’on n’acceptait pas.

 

Geneviève

«  Quand on arrive à parler avec des hommes qui sont allés là-bas, finalement la seule justification c’est, mais nous n’étions pas les pires, il faut voir ce que les autres faisaient. »

 

Marc

« J’avais un voisin, aujourd’hui décédé, qui avait fait la guerre d’Algérie, et qui disait à tous le monde avant qu’il ne meurt, « Ah ben si je meurs de toute façon, il y a des rêves que je ne ferai plus. » Il y a des silences qui nous laissent penser à ce que cela pouvait être. Comme en plus cette guerre n’est pas un lieu de la libération, de l’héroïsme, il y a un silence qui s’installe dessus, une espèce de chape de plomb. On en parle  plus du côté algérien, mais du côté algérien, c’est le gouvernement qui a récupéré cet espace là pour en faire quelque chose qui n’est pas facile à vivre non plus aujourd’hui. Donc du coup on est dans un espèce de conflit qui n’est claire ni pour l’un ni pour l’autre. Il y a un gros travail d’éclairage à faire avant de pouvoir en parler vraiment. Il y a un travail de déculpabilisation d’un côté et de récupération d’une mémoire un peu sain de l’autre côté. Ce n’est pas facile à gérer, et puis il y a aussi toutes les notions de harkis… ce n’est pas rien.

 

Fabien

«  A ce titre, le cas de l’Allemagne avec le nazisme est particulièrement intéressant parce que les gens que j’ai rencontré, des personnes de mon âge, étaient assez sereins par rapport à cela, alors que ce n’est pas très vieux. Si j’ai bien compris on a fait un vrai travail d’état des lieux, on a assumé l’histoire pour les générations à venir. Les jeunes allemands je les trouve très éclairés. C’est une mémoire assumée.

 

Marc

«  Parce que dialoguée, et discutée. Cela a fait partie des programmes scolaires pendant très longtemps de façon obligatoire. Tous les collèges, et les lycées en Allemagne avaient cette tranche de l’histoire posée en tant que telle, et en plus avec des histoires confrontées, ie, il y  avait des livres d’histoires français. Alors que nous si on regarde nos manuels d’histoire scolaire, il n’y a que quand on commence à faire des études d’histoire en fac, qu »’on commence éventuellement à avoir des ouvertures.

 

Geneviève

 « C’est vrai que dans l’affaire Gunter Grass, on lui a beaucoup plus reproché de ne pas l’avoir dit que de l’avoir fait et de l’avoir continuer à la caché jusqu’ à aujourd’hui. »

 

Marc

« Il n’arrivait pas à l’assumer. Mais cela c’est un élément qu’on avait soulevé pendant la conférence sur le fracture coloniale, qui est le problème de savoir comment un immigré peut construire une identité quand il ouvre un livre d’histoire où son existence n’est pas reconnue. C’est une sociologue qui a travaillé avec nous dans le cadre de Mémoires à partager, qui disait « Moi j’ai fait toute ma scolarité en travaillant sur de l’histoire, de la sociologie et je me suis cherché dans les livres mais sans jamais m’y trouver, je n’existe pas. » Rire.

 

Geneviève

«  Moi j’avais bien aimé son mot quand elle disait que pour elle quand elle entendait le mot colonie, elle pensait au colonie de vacance. »

 

Marc

« Elle était issue d’une colonie, mais elle ne savait pas, elle-même, ce que c’était. Dans l’histoire, cela n’existe pas la colonisation.

 

Fabien

« Je ne sais pas vous, mais je n’ai souvenir d’avoir reçu aucun cours sur la colonisation.

 

Benoît

« Sur La colonisation ?»

 

Claire

« Si moi un peu. »

 

Marc

« En classe terminale à la rigueur ? »

 

Benoît

« Quel sujet exactement ? »

 

Réponse collégiale

« La colonisation. »

 

Fabien

« Et la guerre d’Algérie ? »

 

Marc

«  Cela en fait partie un tout petit peu. »

 

Fabien

« La colonisation oui mais pas la décolonisation. »

 

Benoît

« Si, moi j’ai reçu cet enseignement.

 

Marc

« Oui mais tard, en terminale. »

 

Geneviève

« Pour ma génération le discours en gros c’était que nous apportions la civilisations à ces peuples. Alors on nous disait qu’il fallait ramasser les papiers de chocolat « pour les petits noirs ».

 

Marc

« Des petits noirs qui, lorsqu’ils lisaient leurs livres d’histoire, apprenaient que leurs ancêtre étaient des gaulois. »

 

Marion

«  Nous quand on était enfants, il y avait la collecte pour les orphelins de la guerre. Et en fait il y a quelques années j’ai appris que les orphelins de la guerre était une organisation qui avait pour objectif d’aller chercher des enfants provenant des DOM TOM pour les élever en France. Ils étaient envoyés en Lozère pour repeupler la Lozère. »

 

Marc

 « Rémy Boussengui, a fait un spectacle lors duquel il commence en disant « les livres d’histoire disent bien la vérité n’est ce pas ? Et bien si c’est la vérité messieurs dames, alors nous avons le même ancêtre. Nous avions des ancêtres gaulois, rires, parce que dans les livres d’histoires j’ai toujours lu que mes ancêtres étaient les Gaulois. Rires. C’est un conteur d’origine gabonaise. Et puis ensuite il continue en disant, bon voilà vous vous avez été élevés dans une culture judéo chrétienne, moi j’ai été élevé dans une culture totale, non pas Shell Total, dénonçant par la mise au Gabon de Total sur tout ce qui est pétrole, industrie de raffinement…

 

Fabien

« La pompe Afrique ? »

 

Rires

 

Marc

« Parfois on a tendance à remettre en cause le système d’accueille, et le système d’accueille nous oblige à remettre en cause notre système. De plus les contacts vont eux aussi remettre en cause la culture B et les gens qui sont de la culture B. On a vu que le système B était légitimé la plupart du temps par le fait qu’il est émis par un territoire acquis. La légitimité de l’occupation d’un territoire par le fait de l’histoire, des habitus et des croyances majoritaires.

Il me semble que l’ethnocentrisme (naturel) découle de là. L’homme situe toujours sa communauté au centre du monde. En l’occurrence (quand un membre d’une culture A rencontre un membre d’une culture B) cela signifie qu’il va y avoir beaucoup de difficulté à remettre en cause ses propres normes et valeurs, car le risque est de n’entendre l’autre qu’en compraison de ce qui est déjà acquis. Donc la difficulté est l’absence de véritable sympathie. La sympathie ce n’est pas être à la place de l’autre comme pour l’empathie, mais c’est essayer de comprendre l’autre, le comprendre pleinement. Cela veut dire que pour moi si on est dans l’ethnocentrisme, on n’a pas accès à la reconnaissance de la culture de l’autre, on est juste dans la comparaison et pas dans la sympathie complète.

Comment amener les gens à une connaissance de la culture de l’autre pour pouvoir rentrer en sympathie ? Comment rendre conscient les habitus, les croyances, les valeurs, sachant que si on ne voit pas ça, on ne pourra jamais rencontrer pleinement l’autre ?

 

Ce qu’il faut aussi prendre en compte dans ce contact, c’est la peur de l’acculturation. On a peur de cumuler des cultures différentes, ce qui nous conduit à nous retrancher sur notre culture. Je pense que cette peur est amenée à s’effacer du fait de la mondialisation. Je pense que la peur de l’acculturation est liée à la crainte de ne plus être reconnu dans aucun groupe d’appartenance. Le fait d’être acculturé nous place face à la question de savoir si on sera toujours reconnu par les groupes dans notre identité. Faire parti d’un groupe, c’est faire partie d’un social.

Je vais prendre le cas d’un homme d’extrême droite qui prône le racisme, s’il commence à entrer dans une démarche comme celle là (ie, la rencontre de l’autre) c’est fini, il ne peut plus retourner dans son groupe. Du coup, s’il veut être reconnu, il va falloir qu’il change complètement de groupe d’appartenance et donc d’identité. C’est donc une mutation identitaire très forte qu’il va être obligé d’accomplir. Je pense que dans ce qu’on appelle la peur de l’autre il y a plus profondément la peur de cette remise en cause des fondements par lesquels on nous identifie.

 

Un dernier point me paraît essentiel, c’est la notion de rencontre en elle-même, et toute la difficulté qu’elle implique pour conscientiser nos habitus et ainsi les rendre lisible à l’autre. Cette rencontre implique un travail d’introspection sur nous même (autant pour A que pour B).

 

Et puis finalement, il faudrait essayer de faire entrer dans notre cadre d’analyse la notion de la langue. La langue serait peut être l’expression d’une expérience sensitive et intellectuelle, fonction d’une culture singulière. C’est une capacité à exprimer plutôt qu’une expression. De ce fait la langue serait aussi témoin de nos représentations du monde et de notre culture, d’où la possibilité d’être les témoins de notre appartenance sociale. La qualité de la langue dépendant de notre groupe d’appartenance, ie, de la transmission sociale, familiale et médiatique. Le normatif fait partie de la transmission.

 

Au-delà d’être le témoin de notre représentation du monde et de notre culture, la langue est le témoin d’appartenance à notre groupe sociale. Les spécificités de langage. Pour avoir une ouverture sur une autre langue, c’est une obligation d’être dans la découverte de la compréhension d’une autre culture, d’autres groupes d’appartenance, et d’autres groupes sociaux. Cela demande un effort d’ouverture très important, car il n’est ni évident, ni naturel sauf si on arrive à déterminer où se situent les motivations des gens qui apprennent d’autres langues.

 

Souvent, c’est soit dans un élément d’économie, soit dans un désir d’aller connaître l’autre aussi, soit dans un désir d’aller se chercher soi-même car c’est dans la comparaison avec l’autre qu’on se trouve aussi. Le voyage c’est la recherche du miroir de l’autre. On a vu qu’avec les Zoos humains, la finalité implicite est de se distinguer de l’autre, et donc de faire identité, de se découvrir au travers de l’autre. Il y a peut être là aussi, dans l’étude des motivation de la rencontre avec l’autre, un domaine intéressant à analyser, au moins pour certaines tranches d’âge. Il y a des pistes mais je pense qu’il faudrait peut être voir si on peut synthétiser cela autrement.

 

Ce travail doit nous permettre de comprendre comment se construisent des logiques symboliques à travers les notions d’oralité, d’écriture

 

Fabien

« Concernant la qualité de la langue, cela me fait penser à un concept que je ne maîtrise par ailleurs pas parfaitement, qui est celui de l’insécurité langagière. Est-ce qu’on pourrait l’inscrire dans cette problématique ? »

 

Marc

« Bien sûr oui, pour moi, l’individu lorsqu’il est hors de son groupe se retrouve systématiquement dans une situation d’insécurité langagière. Il y a des gens qui se mettent à bégayer par exemple lorsqu’ils ne sont plus dans leur famille. Ils se sentent dans un endroit d’insécurité par rapport à ce qui va se transmettre, par conséquent ils deviennent très hésitants, certains restent même dans un silence total alors  même qu’ils sont des grand bavard au sein de leur groupe.

 

Fabien

«  Alors est que ce serait le non verbal, en gros le contexte, qui influencerait

 

Marc

« Le contexte fait partie de ce blocage. Je pense que la qualité de la langue est dépendante du groupe d’appartenance, ie, on a tendance à se fonder une langue dans son groupe d’appartenance. Plus on est dans des groupes multiples, plus on a de facilité de s’adapter aussi après. Quelqu’un qui fait partie d’un club de foot mais qui le soir va faire un travail dans un café philosophique, et qui ensuite va partir dans un groupe religieux, cela dépendra d’un individu à l’autre, mais il y aura forcément des qualités de langage qui vont se développer. Quelqu’un qui est complètement enfermé dans un milieu va éprouver de la difficulté à se réadapter à différents types de langage. Il sera souvent hésitant et comme il ne sera pas obligatoirement compris (du fait que son expression ne colle pas au sein de l’autre groupe de langage), il ne se sentira pas reconnu dans sa parole et aura tendance à se taire.

 

Fabien

« Le silence devient un refuge. »

 

Marc

« Un refus mais il peut aussi être un lieu de l’apprentissage : je me mets dans une position d’écoute pour comprendre où sont les codes de l’autre, sans forcément être dans cette volonté. »

 

Fabien

«  C’est vrai des fois, lorsque l’on fait de nouvelles rencontres, il y a des gens qui ne disent rien , alors que d’autres au contraire parlent, sans jamais se taire. »

 

Marc

« Cela dépend du mode de pratique, d’où vient la personne, de quel groupe d’appartenance. On a tendance à penser que cela dépend du caractère de l’individu, en réalité, je pense que c’est plus large que cela. Si on vient d’une famille où l’on apprend à parler dans la confrontation, alors la personne va plutôt essayer de se confronter dans son langage pour comprendre celui de l’autre. Si au contraire, on est issu d’une famille où l’on a appris à se taire, alors la personne aura tendance d’avantage à écouter que de prendre la parole.

 

Enfin de compte, il existe autant de facettes, d’habitus que d’apprentissage différents. Et entre les deux extrêmes que l’on vient de prendre il y a toute une gamme d’adaptations différentes. On pourrait formuler la chose de la manière suivante « Dis moi comment tu te comportes dans ta famille et je te dirai pourquoi tu te comportes comme cela dans ce groupe. » La première transmission  se fait dans la famille elle-même. Quand la famille est au complet, dans la famille traditionnelle, l’enfant doit se taire. Il n’est pas autorisé à parler à table, mais parfois c’est le contraire on va favoriser le lieu du repas comme étant un lieu de prise de parole et d’échange. Et cela donnera deux personnalités, mais bien sûr tout dépend du parcours. Si l’enfant a grandi dans une famille où on lui demandait de se taire, et qu’il se retrouve dans des groupes où l’on favorise la parole, il va compenser. Il existe autant de cas de figure que d’individus.

 

Ce qui est important, même si on peut essayer de trouver quelques exemples pour illustrer nos propos, c’est de comprendre que le système de création d’une langue singulière passe par les groupes d’appartenance. »

 

Fabien

« Au risque d’enfoncer une porte ouverte, un enfant qui grandi dansun milieu social élevé parlera de façon très… dés l’adolescence, alors que d’autres enfants qui ont grandi dans des milieux où le français n’est pas toujours maîtriser va grandir avec des schémas…hésitation.

 

Marc

« C’est-à-dire que déjà, quand on baigne dans un milieu où le vocabulaire est très riche, exploité à bon escient, où on a cette conscience que le travail de description est important et où l’on prend du temps pour le mettre en ordre, c’est évident que le comportement va différer. On le voit déjà quand les enfants sont en maternelle. Dans les grandes sections maternelles ( 5 ans) où il y a une mixité sociale très importante, on peut voir des sacrés contrastes de prise de parole. »

 

Marion

«  Ils régressent aussi. Moi je l’ai vu avec ma famille, j’ai eu l’impression qu’elle avait régressée pour se mettre au niveau de l’autre. J’ai eu peur. »

 

Marc

«  Après ce qui va se passer, c’est qu’au moment où il y aura la conscience d’appartenir à un groupe, il faut faire normatif avec le groupe  et c’est là qu’on va trouver un langage commun et que les enfants commencent à faire leurs identités, ie, ils vont avoir leur identité dans l’école maternelle, et leur identité dans la famille. Le jeu se met en place très rapidement. C’est pour cela que l’on dit que l’école maternelle est un lieu de socialisation très important. Au delà de l’apprentissage, c’est un espace de socialisation important parce que quelqu’un qui ne parlerait que son langage familial, et qui serait issu d’un milieu plutôt très bourgeois et intellectuelle, et se retrouverait ensuite avec des gens qui n’ont pas du tout ce cadre là, il se sentirait complètement exclu de tout groupe, marginalisé totalement.

 

Marion chuchote pendant que Marc poursuit

« Je ne comprends ce qu’il dit. Mettre en cause ses valeurs et ses normes…»

 

Marc

« Il serait obligé de faire un effort de réadaptation, et inversement pour quelqu’un issu des quartiers. Et c’est d’ailleurs le cas. Qu’est-ce qui va se passer par exemple avec un jeune issu des quartiers qui a trempé dans un bain linguistique qui le rend auto suffisant tant qu’il n’est pas sorti du quartier. Et le jour où il va chercher du boulot, il y a un lieu de la non compréhension entre la personne qui l’écoute lors de l’entretien d’embauche, et un endroit du vocabulaire qui n’est pas assumer. Il y a également des grandes chances qu’il passe à côté de l’emploi, parce que la personne qui embauche va regarder si il peut y avoir une communication avec la clientèle, ou s’il a un bon contact avec le reste du personnel. S’il est considéré comme limité dans son expression et qu’on ne comprend pas ce qu’il dit, ne ce qu’il fait, ni pourquoi il le fait, le choix est vite fait.

 

Geneviève

« C’est pour cela aussi que finalement il y a une difficulté d’insertion qu’on retrouve entre le niveau du diplôme et l’emploi qu’on leur propose. »

 

Marc

« C’est très important d’expliquer aux jeunes l’importance de la façon dont on s’exprime et dont on prend la parole. Parfois dans les colloques, je leur dit quand vous me parlez comme ç, ça passe bien mais quand tu devras communiquer avec d’autres groupes sociaux, ça risque d’être compliqué. Il va falloir que tu changes de langue.

C’est déjà, pour certains, comme si tu leur demandais d’apprendre une langue étrangère. C’est quasiment du bilinguisme quelque part.

L’usage que chacun fait de sa langue a des conséquences sur la réussite socio économique. Nous vivons dans un monde où il y a beaucoup d’échanges, de communications, et dans de nombreuses langues, alors si on sent qu’une personne a plus de facilité d’expression qu’une autre, ce sera celle-là qu’on emploiera.

 

Le choix de l’attitude, de l’apparence, ceux sont autant de points qui servent de critères de sélection, lors d’un entretien d’embauche en particulier.

 

Fabien

« Des points à connaître pour pouvoir entrer dans la norme de tel ou tel milieu. »

 

Marc

« De toute façon On fonctionne avec des moules normatifs, dans lesquels on fait le choix d’entrer ou pas

 

Geneviève

« Et puis nous évoluons sur différents langages, comme le langage administratif par exemple. Pour l’avoir beaucoup fréquenter, la langue de l’administration c’est quelque chose. Tout est codé, la façon de se présenter, la façon d’intervenir. Dans n’importe quelle langue on retrouve des codes différents. »

 

Marc

«  Moi je vois par exemple le type de contact que je peux avoir avec notre hébergeur de site, le gars qui s’occupe de l’entretien, quand il vient faire une réunion ici, je lui demande de me traduire ce qu’il dit. Je ne comprends rien, je suis nul. Mais lui, en tant que technicien c’est son langage de tous les jours. A terme il va y avoir un langage de contact qui pase par là aussi. Je suis obligé de klui de temps « Attends traduis là », surtout si en lus il nous d’un site, parce qu’alors là ça devient.

Mon frère, lui aussi, travaille dans un domaine très technique. Quand il nous fait ses fiches techniques et ses modes d’emploi d’installation qu’il doit traduire, je lui dis « heureusement que tu as fait des études la dedans. » parce que moi j’abandonnerai dés la deuxième ligne, trop de codes techniques, trop d’anglicisme. C’est aussi ça appartenir à un groupe.

On le vit aussi avec les blagues. Il y a des blagues de métiers. Je m’ensuis aperçu très bien lorsque je travaillais en intérim. Ils se racontent des blagues, à certains moments de la journée. Tout le monde rie, et vous vous êtes à côté. Rires. Tout de suite vous êtes repérés comme celui qui n’est pas de là. C’est aussi un espace de vérification. Dans le rire.

 

Le comportement et la langue sont pour moi deux points qui ne peuvent pas être dissociés. L’espace comportementale ne peut pas être dissocié de l’espace langagier surtout dans le cas de l’immigration. On est obligé, pour arriver à faire action, de tenir compte des deux espaces.

 

Maintenant, il serait intéressant de voir quelles sont les questions à poser pour vérifier ce type de démarche. Quelles sont les questions que nous devons mettre en place pour faire faire une enquête sur le comportement langagier de l’immigré, et de l’autochtone face à l’immigré, de façon à trouver une vérification possible de nos hypothèses de travail.

 

Ce n’est pas tout à fait un questionnaire que nous cherchons puisqu’il s’agit de réaliser une enquête ouverte, mais plutôt une logique de questionnement à mettre en place. Et puis est-ce qu’il existe déjà des actions envisageables, imaginables pour pouvoir essayer de faire sauter les nœuds dans cet endroit de l’inter relation. C’est là que ça devient intéressant parce cela suppose que l’on soit dans la vérification par l’application. On va imaginer des actions que la vérification des hypothèses (par le questionnement) permettra d’étayer.

 

Cela pourrait peut être aussi nous permettre de voir quels sont les témoins, les informateurs à chercher. Est-ce qu’il faut par exemple choisir un panel avec des personnes qui ont déjà traversé ça et qui sont des linguistes d’origine arabe et qui travaillent dans les universités françaises, ie, des personnes qui ont conscientisé le chemin du langage, et puis peut être avoir des gens qui sont complètement dans la culture de leur quartier et qui n’ont aucune conscience de cela, afin de voir où est-ce que la conscience se situe.

 

Geneviève

« Des gens qui sont à des étapes différentes pour pouvoir les comparer. »

 

Marc

 

« Oui c’est cela, avoir par exemple un primo arrivant, et lui demander comment est ce qu’il raconterait sa culture, les habitus de son pays, essayer de savoir s’il est capable de le faire, de comprendre où est ce que ça bloque. Ceux sont autant de points à déterminer, quitte à travailler avec un traducteur afin de trouver un espace de communication possible. Pour moi c’est le travail nécessaire d’une enquête pour pouvoir vérifier nos hypothèses. Il faut d’abord demander à l’autre s’il est capable d’exprimer sa culture, et savoir si on peut le guider en lui posant les bonnes questions.

 

Marion

« C’est ça les bonnes questions. »

Marc

«  Les bonnes questions peuvent être dans l’hésitation. Il existe des techniques anthropologiques qu’on peut utiliser, comme par exemple demander la description d’une journée banale, quotidienne. Je me lève le matin, qu’est ce que je fais ? Jusqu’au soir quand je me couche qu’est ce que je fais ? Dans le détail. Déjà, cela ouvre la personne sur beaucoup d’éléments. Rien le matin quand on se lève, comment on se lave chez vous ? ça paraît complètement banal, mais ça ne l’est pas du tout. Dans quel lieu ?

 

Marion

«  Est-ce que la personne ne va pas se sentir agressée par des questions qu’elle trouvera déplacées ? Peut être que tout dépend de la façon dont elles sont présentées. »

 

Marc

« Oui c’est cela, tout dépend de la présentation. Si tu lui expliques que tu essayes de voir comment on peut être dans une traduction de nos habitudes… pour essayer d’améliorer les relations avec les autochtones, que tu vas faire pareil avec de gens du coin, et que tu expliques bien la démarche, pourquoi tu as besoin de cette personne. J’ai besoin de vous parce que vous n’avez pas encore de contact bien établi, et que vous avez encore ce savoir qui pourrait être nous permettre de voir où est ce qu’on ne peut pas se comprendre, et où est ce qu’on se comprendra.

La personne se sentira directement concernée, il n’ y aura aucune raison pour qu’elle refuse. Et puis il faut lui donner la possibilité de ne pas parler, lui dire de vous arrêterez si vous allez dans des endroits trop intimes. Lui expliquer qu’elle peut vous répondre que ça vous ne regarde pas, et que vous ne le prendrez pas mal si elle ne vous répond pas.

Quand les règles sont fixées, c’est bon. La personne est consciente, tu n’est pas dans un endroit où tu veux à tout prix pénétrer dans son intimité.

 

Geneviève

«  C’est qu’en plus on ne pose pas lieu de l’intime au même endroit, selon les individus. Une chose banale pour moi peut choquer l’autre. »

 

Marc

«  Ceux sont des précautions d’usage qu’il faut mettre systématiquement quand on fait de la collecte. Je préfère passer deux heures à essayer d’expliquer à la personne ce que je cherche, parce que cela me paraît important, jusqu’à ce qu’elle m’ai compris, qu’elle soit rassurée. De toute façon c’est toujours la première qu’on vous posera dans votre enquête « Mais c’est pour quoi faire ? Qu’est ce que vous voulez en faire ? Je veux biens vous dire des choses mais qu’est-ce que vous voulez en faire. Il y a une espèce d’angoisse qui’l faut lever immédiatement. A partir de là on pourra travailler sur des choses un petits peu pointues, et puis les gens ne refusent pas trop.

 

Geneviève

 « Quelque part, c’est finalement valorisant pour eux. »

 

Marc

« C’est un travail sur eux, ie, sur quelque chose que la personne n’a peut être encore jamais formulée, verbalisée, elle l’a vécu, point. Du coup c’est une possibilité pour elle de se mettre à distance de ça et de pouvoir aussi être dans une intelligence d’autrui, et ce n’est pas rien. Si vous faites le travail pour vous, vous aller voir que ce n’est pas triste. Une journée dans le détail, et arrêtez vous systématiquement sur le pourquoi des choses.

 

Marion

« Ah c’est fabuleux. »

 

Marc

« Il y a de quoi s’amuser »

 

Fabien

« Alors excusez moi de poser cette question qui est peut être un naïve

 

Marc

«  T’excuses pas, t’es là pour ça ! » Rires

 

Fabien

«  Et si la personne vous dit Mais qu’est ce que vous allez en faire ? »

 

Marc

« J’explique le projet. Je lui dirai voilà moi ce qui m’intéresse c’est de faire en sorte d’améliorer la relation entre les gens du pays et  le gens qui arrivent. Et pour comprendre cela j’ai besoin de vous, j’ai besoin que vous m’expliquiez cet espace là. Je ferez là même chose avec les gens de la région. Et je vous tiendrai au courant des résultats. Je vous donnerai la transcription de ce que j’ai écrit de votre parole, et on viendra vous le lire si c’est nécessaire. C’est la seule règle pour moi qui est à respecter, il faut qu’on soit claire. C’est pour cela que faire de la collecte c’est déjà définir une problématique : comment, qu’est-ce que je cherche, et pourquoi je le cherche ? Ceux sont les trois premières questions. Si c’est par simple curiosité, il faut arrêter immédiatement. »

 

Geneviève

«  Si c’est pour faire un bouquin, la personne ne sera pas forcément intéresser. »

 

Marc

 « Pour moi, c’est la notion de projet qui est essentielle. Il y a un projet qui doit se rattacher à une action sociale et pas au simple fait d’être écrivain ou je ne sais quoi. Si vous allez voir quelqu’un en lui disant que vous faites un livre sur la résistance, il vous dira peut être que lui aussi peut le faire. Alors que si vous lui dites que vous travaillez sur les faits de resistance pour pouvir comprendre comment lres évènements se sont déroulés dans le cadre sociale afin de faire en sorte que les jeunes d’aujourd’hui se retrouvent avec un cadre de transmission meilleur que ce qui s’est fait jusqu’à présent. Là il y a une autre motivation, un projet de transmission, il y a la valorisation d’une parole.

Pour moi un projet qui répond à une demande sociale ne peut pas dépendre que de nous, on est obligatoirement dans la restitution de ce que l’on tient indûment (ie, ce qui signifie littéralement dans la traduction). Si d’autres personnes nous viennent en aide, il faut que cela leur soit utile aussi. Il n’y a que de cette sorte qu’ils puissent s’investir. Alors si vous ête arrivés à passer ce cap là, les gens sont dans un investissement tel que cela peut même devenir gênant parce que cette fois ceux sont eux qui vous rappellent. La valorisation d’une parole peut avoir un effet thérapie à terme, mais on n’est pas là pour cela non plus[19].

 

Fabien

«  Ils sont acteurs du projet, et pas seulement des objets d’observation. »

 

Marc

 « Ils sont acteurs, sans eux il n’ y a pas de projet. Ceci dit, avant d’aller questionner sur le terrain, il faut au préalable travailler une grille. Ensuite, en une journée il est possible de passer plusieurs entretien, tout dépend du temps que l’on se donne pour aller au bout des choses. Parce que sur la salle de bain, symboliquement on touche à la notionn de la relation à l’intime, sur tout ce qui est de le la toilette, sur tout ce qui est de l’ordre de l’appzarence, il y a de quoi faire. Sur le petit déjeuner, par rapport à tout ce que l’on choisit dans l’alimentation, ce que l’on peut faire et ce qu’on ne peut plus faire (les éléments qu’on ne peut pas trouver), il y a de quoi faire aussi. Dans chaque phase, il y a de quoi faire, les déplacements pour aller à… Ce quotidien là, c’est le lot de tout humain. C’est là qu’on peut voir les espaces représentations, les conceptions. « Vous utilisez quel savon ? Ca s’achète chez vous ? ça se fabrique ?

 

  Marion « ça te regarde ! » rires.

 

Marc «  oui ça me regarde parce qu j’ai expliqué que ça me regardait. Et donc à partir de là, on met en place des réseaux, des espaces de fabrication, d’appropriation, d’appartenance à travers de la journée quotidienne. C’est une des façons de mettre en logique une pensée. On pourrait demander à la personne de nous raconter sa vie. C’est strictement impossible. L’objectif du témoignage n’est pas de faire une biographie.

Le fait d’une journée suffit des fois à comprendre bien des choses. Ce qui est intéressant c’est de repérer les moments qui se répètent régulièrement. Moi j’ai travaillé sur les déplacements des handicapés dans les transports. C’est vraiment intéressant de voir qu’il y a des endroits qui correspondent à des lieux de régulation, de prises de parole et d’établissement de contacts qui ne se font que là, parce que ceux sont des espèces de no man’s land, où l’on revient tous les jours régulièrement avec les mêmes personnes. Tout ce qui se joue dans le bus pour quelqu’un qui est trsimoique, ou autiste, … c’est hyper important, ceux sont des espaces où ils sont lâchés, il n’ y a plus les parents, ni l’accompagnateur. Il s’agit de repérer ces espaces répétés auxquels on prête plus attention. Je sais qu’un fois on est passé prés de la catsttrophe. C’était avec le CAT des chênes verts à Nîmes, il y avait un processus d’accueil qui était très particulier. Ils avaient une villa,

Et il partait faire des animations dans des ateliers dans un endroit qui se situait à un kilomètre de là. Et puis, les parents de l’extérieur, se plaignaient de ce que leurs enfants fassent le trajets tous les jours, par tous les temps, alors ils exigèrent un bus. Bien sûr les responsables ont écouté les parents. Ils ont commencé à

Préparer un projet pour mettre en place untransport par bus. Pendant ce temps, je suis allait sur ce chemin quelques matins pour voir comment les choses se déroulaient, et je me suis aperçu, c’est que sur le chemin, ils connaissaient tout le monde, et tout le monde les connaissait. Ils posaient des questions aux gens, il y avait toujours un contact quelque part. Tu zappes le parcours, tu zappes le contact. Mais cela c’est un travail d’observation. Je suis retourné là bas 4 à 5 fois dans la semaine, et je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas d’ un individu, mais que touts avait au moins un voisin préférer qu’ils allaient voir et pas les autres, et que les gens les reconnaissaient aussi, que c’étit un espace de socialisation.

 

Benoît «  Cela peut nous éclairer sur l’impact de la voiture sur notre société. »

 

Marion

« Et quelle fut la décision des parents, finalement ? »

 

Marc

« Après avoir expliqué au directeur les enjeux sociaux que représentait ce trajet pour les enfants, il a trouvé cela génial, et cela lui évitait d’engager de nouvelles dépenses. Alors, nous avons faits une réunion avec les parents en leur expliquant qu’il valait mieux leur acheter des impers. Rires. Et aussi qu’on avait trouvé l’importance de cet espace là  dans la socialisation de leurs enfants.

 

Marion

« Et ils l’ont entendu ? »

Marc

« Ils l’ont pleinement entendu. Il n’y avait pas de mauvaises intentions de leur part, ni de la notre. Eux pensaient à l’orage… ils étaient dans la précaution, et ne voyait pas le parcouyrs de leurs enfants le matin sur chemin. Donc tout cela, ceux sont des choses qu’on met en place de façon un peu arbitraire, sans y faire attention, ceux sont des petites  choses. C’est là qu’il faut interroger la personne, sur les endroits qui pour elle n’ont rien d’essentiel parce qu’il n’y aucune conscienc de xce qui se joue. Les anthropologues le connaissent bien, c’est le moteur e leur travail.  Il ne faut pas s’enfermer dans des endroits du politique, des espaces tellement larges que tu ne comprendras rien de la logique de la personne. Pour comprendre la chasse, description d’une journée de chasse. Une fois qu’on a compris ça, on peut revenir à comment cela se passait avant. Pour voir les mutations. Tant que tu n’as pas compris comment ça se passe aujourd’hui une journée de chasse, ce n’est pas la peine de savoir comment cela se passait avant. Il faut partir de l’observation d’une réalité posée comme quelque chose du quotidien, et à partir de l’habitus, tu essayes de remonter au pourquoi de cet habitus. L’anthropologue veut savoir pourquoi les habitudes sont comme cela. Qu’est ce qu’il les engendré, qu’est ce qui les a poussé jusque là. Manger avec une fourchette ? Manger avec la main ?  Derrière, il y a toute une croyance, toute une tradition. Comment peut on amener quelqu’un à verbaliser cela ? On pourrait par exemple poser la question « Pourquoi avez-vous chois de ne plus manger avec les doigts ?» Pour nous c’est de l’impolitesse, alors on pourra dire « ah il a évolué » alors qu’en fait, il y a tout un espace traditionnelle avec lequel il se met en rupture.

 

Un jour, le compagnon d’une de nos amis nous avait invité à venir manger le couscous chez lui. Il avait disposé des fourchettes autour de nos assiettes, alors au moment de passer à table je lui demandais « T’oublies rien là ? Tu le manges avec des fourchettes d’habitude ? il m’a dit « non mais là vous n’êtes que des occidentaux. » « Ben ce serait bien que nous fasse découvrir d’autres traditions. » Du coup on a enlevé nos assiettes, on s’est servi dans le plat central et il nous appris à faire des boulettes avec du couscous, sans en faire tomber. Il nous expliqué les côtés conviviales, c'est-à-dire comment la vie s’organise autour du plat… C’est tout un rituel de s’installer pour manger du couscous. C’est là qu’on commence à respecter parce qu’on comprend que derrière il n’y a pas que le fait de manger avec les doigts, il y a aussi tout le rituel de sociabilité  qui va avec, tout un espace d’échange et d’attention à l’autre qui fait qu’on est pas chacun dans son assiette en train de gérer son assiette, il y a le plat commun.

On ne va pas prendre tout n’importe quand, on regarde si on mange au même rythme que l’autre, il y a presque une esthétique du plat qui se fait dans le puisage. Tout ça ceux sont des choses qui font qu’on apprend une culture autrement. On n’est pas dans la comparaison de notre travail mais bien dans la façon de découvrir un « autre mangé », et cela va loin, il y a tout un faisceau d’influence dans ces habitus. Les pratiques peuvent refléter les croyances. Dans le quotidien, tu as la source de ce tu peux travailler en profondeur.

 

Benoît

«  Et comment tu les contactes les gens ?  Par courrier d’abord ou par rencontre ? »

 

Marc

« Moi je vais d’abord traîner sur le terrain. Quand j’ai commencé à travailler sur le dossier des Fourches de Sauves, j’ai trouvé mes premiers interlocuteurs un peu par hasard. Je ne voulais surtout pas travailler avec les membres de la coopérative des cultivateurs de fourches, parce que je savais déjà ce que j’allais avoir comme réponse. C’était des gens qui étaient déjà constitué en une association, des passionnés.  Donc je suis allé sur le marché, je suis allé au troquet, j’ai écouté, et puis on a commencé à parler d’un Marcel qui avait encore fait un fourche « Tu verrais la fourche qu’il a fait ! » (avec l’accent) « Oh il est pas aller la donner à la coopérative, dieu sait bien qu’il est pas allé à la coopérative ! » Génial, l’informateur qu’il me faut. Alors après, qui c’est marcel ? Et ben tu te renseignes,. Et le Marcel je l’ai rencontré, et c’est ce qu’on appelle chez nous un vrai « réboussier », quelqu’un qui répudiait d’apporter ses fourche à la coopérative et qui les faisait pour lui avec le four à pain qu’il avait bricolé dans son jardin. C’est quelqu’un qui m’a donné les cleé sur une autre façon de faire. Et il m’a dit pourquoi il n’est pas d’accord avec les autres, que son propre père n’était déjà pas d’accord…

 

Fabien

« Il y a tout le lignée des réboussiers qui se met en place ! » Rires

 

Marc

« C’est ça qui est intéressant, les gens en marge. Ensuite je suis allé voir comment faisaient les gens de la coopérative. Mais je ne me suis pas fait avoir dans le discours parce que j’avais écouté celui du réboussier. A certains endroit j’ai posé des questions qui ont provoqué des grands silences, ce qui les a poussé à travailler eux aussi leur relation au réboussier, alors qu’il ne leur avait jamais parlé. C’est comme ça aussi qu’on travaille, par petite touche.

 Comment détecte-t-on un bon informateur ? Tout le monde n’est pas susceptuble d’être un bon informateur, il faut découvrir  sa place dans le cadre social, et cela c’est le travail de l’observation de base. Alors qu’est ce que j’avais fait ? J’avais commencer par relevé dans MLidi libre toute les informations qui traitaient de la fourche, de la coopérative, des choses comme cela. Et puis ensuite j’avais remarqué la présence de lignée familiale, qui sont là depuis des générations et des générations. Alors là tu peux voir les endroits où il y a un patrimoine orale, et une transmission de ce patrimoine. Ensuite il y a les actes de vente. Une famille qui vient de vendre dix hectares d’anciens fourchiers, c’est intéressant de savoir ce que ça représente de vendre un patrimoine comme celui la, alors qu’ils savent très bien que cela va devenir autre chose, et que tout sera arraché.

Ceux sont des points de cet ordre qui donne le sens de ta recherche. On ne va pas sur le terrain avec du préconçu. Il est important de se laisser porter par le terrain, pour cela il faut être dans une optique ( qui est celle de ton travail).

En vérité, l’information est disponible partout. Il suffit d’être vigilant. Des fois c’est plus ou moins évident, cela dépend du degré de visibilité de ton sujet. Et puis, en se baladant dans le village, tu vérifies si les gens continuent d’en parler, parfois il faut être un peu dans la provocation pour essayer de voir où sont les impacts, où il y a une nuit noire…

 

Tu as besoin de connaître le contexte dans lequel tu vas plonger sinon tu risques de te faire mener par le bout du nez, par des gens qui ont envie de faire valoir quelque chose et qui vont idéaliser complètement l’histoire de la fourche, alors qu’en réalité, il y a eu des meurtres entre fourchiers… si tu n’as pas prêter un minimum l’oreille aux échos tu peux passer à côtés et faire l’histoire  idéale, légendaire, et irréelle de la fourche de Sauves.

 

Fabien

«  Comment vous y vous pris pour que le réboussier ne fasse pas le réboussier avec vous quand vous êtes allés à sa rencontrer ? »

 

Marc

« Il m’a demandé ce que je voulais faire de son témoignage. Alors je lui ai exliqué « On ml’a commandé une étude. » « Ah ouais et qui vous demandé une étude ? » « Ben c’est le département parce qu’ils veulent faire un » « Ah ouais c’est espèce de truc là bas, et bé je sais pas ce qu’ils veulent en faire » « Justement, je ne voulais pas les rencontrer directement, je voulais m’informer par ce qu’il me semble il y a d’autres façons de faire quand même. » « Et comment qu’il y a d’autres façons ! » Et c’était parti. Du moment qu’ils sentent qu’il y a une lucidité qui se met en place, ça marche. Comme ils savent que leur parole ne va pas être un lieu de la confortation de celle des gens avec lesquels ils ne sont pas d’accord, mais qu’elle sera aussi valide que celle des autres, il n’y a aucun problème, sauf celui d’en rajouter, après il faut faire attention. Il faut canaliser.

 

Il faut tremper dedans. Donc si on veut comprendre ce qui se passe avec l’immigration, il faut aller se balader dans les bons endroits, et essayer d’entrer en contact. Au début, il ne faut rien demander mais simplement être dans la patience de comprendre, rien qu’en étant dans le bain. Il ne s’agit pas de passer pour un curieux, vous pouvez profiter d’une fête, d’un moment de rassemblement, aller dans les centres associatifs, demander si on peut assister à une réunion et y jouer un rôle participatif pourquoi pas, on peut apporter sa contribution. En même temps il s’agit de comprendre où est ce que cela se joue, où sont les espaces de prise de parole, quelles sont les espaces qui sont en train de se mettre en route, les difficultés de parole, les tabous d’expression. L’enquête n’a pas encore véritablement commencé mais vous êtes déjà en train de tremper dans une matière.

 

L’anthropologue possède deux carnets. Il a ce qu’il appelle un carnet de terrain, c’est là que l’écriture rejoint l’oralité, tous les soirs on rentre et on écrit ce qu’on a vécu, vu, et compris dans la journée, en détail. C’est en faisant ce compte rendu qu’on s’aperçoit qu’il y a plein de choses qui deviennent intéressantes. En faisant des recoupements, il y a des éléments qui se croisent.

Sur le deuxième carnet, celui de collecteur, on commence à mettre en place notre propre vision des choses : «  celui là je l’aime pas, je ne sais comment le prendre, il faut que je fasse attention au risque de l’influencer, parce que je n’aime pas du tout ce qu’il est mais je sens qu’il est quand même intéressant pour mon sujet, alors comment vais m’y prendre ? »

Le fait d’écrire nous permet de poser les choses, et de rester méfiant envers nous même. L’écriture nous prépare à la rencontre.

 

Geneviève

 « Je me suis rendu compte qu’on a beau savoir des choses, le fait de les écrire nous montre que ce n’est pas la même chose. On a beau avoir compris, on se rend compte qu’il est très difficile de l’écrire. »

 

Marc

 « Ecrire, c’est un lieu de l’intellect et de la représentation qui passe par d’autre sens. On pu entendre, et comprendre par l’ouïe, puis en parlant on est passé par la bouche et les oreilles, mais quand on écrit on passe par le touché et par la vue. »

 

Geneviève

 « J’ai un gros problème pendant longtemps, au niveau des études universitaires, on restait simplement là, et donc, maintenant je me rends compte qu’en passant par le corps, il y a beaucoup plus de choses qui se mettent en route plus facilement. »

 

Marc

«  C'est-à-dire que dans le geste d’écrire, il y a la fois le touché et le contact, et il y a les geste en tant que tel, ie, on a un mémoire kinésique, qui se rapporte sur le clavier quand on l’habitude de taper sur le clavier. Qu’est-ce qui se passe quand on fait un mouvement ? Et bien, dans un endroit de notre cerveau, ce mouvement est mémorisé. Que se passe t il quand on multiplie les sens ? On va compléter l’intelligence. C’est pour cela qu’il arrive qu’on comprenne mieux en écrivant. Ce n’est pas le fait que la chose soit posée sur du papier qui est important, c’est le fait que la vue va être dans un rapport de firme qui va aller toucher un espace du cerveau qui n’est pas le même que celui du touché et du mouvement, et qui n’est pas le même que celui de l’oreille.

 

Geneviève

 « Moi la question que je me pose, parce que j’essaye de comprendre les raisons du blocage qui fait que je n’arrive pas à taper. »

 

Marc

 «  Tu te poses la question de savoir comment arriver à reporter la mémoire kinésique du stylo sur le clavier ? Mais cela a posé de la difficulté à beaucoup d’écrivain[20]. Au départ ils avaient du mal à passer au clavier, mais en fin de compte c’est la même chose. On a des schémas kinésiques difficiles à effacer, il y a des choses que je peux faire avec un stylo et que je suis incapable d’écrire avec un ordinateur. Je peux faire des tonnes d’écriture à la lettre, quand il faut faire des comptes rendus, de la copie… mais si je passe à une espace de réflexion, je suis obligé  de faire appel à une mémoire plus profonde et donc de passer par le stylo et la feuille de papier.

 

Marion

«  Pour moi l’écriture au stylo, c’est un espace de plaisir. »

 

Marc

« 

 



[1][1] Cf. positionnement Saussurien de l’arbitraire du signe en réaction  à des positions comme celle d’Humboldt, qui au contraire pense qu’il y a un lien entre signifiant et signifié, entre le mot et la chose. Voir aussi B. Lobatchev qui adopte une position intermédiaire, et fait la critique des extrêmes et des positions antinomiques.

[2][2] Quels sont les mots et expressions qui témoignent de cet aspect sensitif de la langue ?

[3][3] NB : le choix du mot «  exploiter » me semble pertinent dans le cas du créole. On retrouve un rapport au langage qui prend le sens d’un rapport de force : maître esclave, en philosophie on parlera de dialectique. La dialectique désigne le lieu de la confrontation des discours et le cheminement que cette confrontation occasionne.

[4][4] RQ : si je comprends bien, ce caillou est un peu comme la tape dans l’épaule que l’on donne lorsque l’on joue à « chat ».

[5][5] NB : piste intéressante. Quelle langue la république nous parle-t-elle pour transmettre ses valeurs, son histoire, son identité ? Depuis quand cette entité existe-t-elle ? En opposition à quoi s’est elle affirmer ?

[6][6] Préciser les sources, et donner quelques indications sur J. Derrida, pied noir, juif, exilé au moins à deux reprises.

[7][7] Faire une note sur le passage en question.

[8][8] Faire un topique sur les structures de la parenté.

[9][9] L’anomie est un lieu de la sociologie si important qu’il me semble nécessaire de faire un développement.

[10][10] Cette phrase m’évoque une image utilisée par un père pour décrire la situation des banlieues, que j’ai entendu à la radio le lendemain matin de ce séminaire, il disait qu’un chat, enfermé trop longtemps dans une pièce sans issue, sautait à la gorge du premier venu qui entrerait.

 

[12][12] Rq : Très récemment un reportage télévisé montrait la situation d’un lycée classé ZEP, dont les professeurs et les élèves souhaitaient que ce label soit maintenu car c’est précisément ce label qui leur garantie des possibilités financières permettant d’assumer au niveau des postes d’enseignants, des projets scolaires… C’est là le paradoxe finalement car les lycées qui ne sont pas classés ZEP souffrent de difficulté budgétaire : suppression de postes et donc hausse du nombre d’élèves par classes …

[13][13] C’est aussi ce qui se passe (mais de façon inversée) lorsqu’on aborde l’univers d’un philosophe quel qu’il soit : sa pratique du langage est en général orienté vers la compréhension du monde, vers l’élaboration d’un  système différent qui en fin de compte nous permet de comprendre le fonctionnement du notre.

[14] Chez les scholastiques, il existe un exercice philosophique nommé « épokhê » qui consiste à mettre en suspens tout jugement. Lorsque Descartes écrits ses méditations métaphysiques, il s’inscrit dans cette tradition.

[15]Autrement dit si l’on souhaite transmettre « le trésor de l’oralité », il convient d’examiner les causes de sa perte.

[16][16] Cf. sur l’identité vocale

[17] cf. http://alhim.revues.org/document759.html

[18][18] Cf. Michel Foucault, Cours au Collège de France, sur la parrhêsia des antiques.

[19] Cela peut paraître contradictoire.

[20] Cf. Roland Barthes et la technique du « tapuscrit » : il écrit sur le clavier, imprime, et ensuite sculpte de ratures son corps de papier.

    

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