Compte rendu de séminaire :
Mémoires et Histoire
Alès, les 24 et 25 janvier 2007 :
En cours de retranscription
Etaient présents :
Marc
Christine
Marion
Geneviève
Fabien
Benoît
Introduction :
Aujourd’hui nous allons essayer de travailler sur les notions de Mémoire et d’Histoire en rapport avec l’immigration. Si nous partons de l’hypothèse que toute immigration se fait sur un territoire qui a déjà sa propre mémoire, que cette mémoire peut être active de façon consciente ou inconsciente, et peut se trouver soit en accord soit en désaccord avec les mémoires allochtones qui arrivent sur le territoire. Une des questions à laquelle nous devons répondre concerne la nature même de ce qui est en train de se jouer, s’agit-il de mémoire ou de l’histoire ? Par exemple, lorsque nous parlons de la guerre d’Algérie, qu’est ce qui pose quelque chose de fort, ce qui appartient à l’Histoire ou ce qui appartient à la mémoire ?
D’abord, il nous faut définir un minimum ce qu’est l’Histoire, et ce qu’est la Mémoire. Mais, lors de notre scolarité, l’histoire française que l’on nous enseigne relève-t-elle de l’Histoire ? Que connais-t-on de l’histoire de l’immigration, de l’histoire des allochtones ?
Notre travail doit nous amener à la possibilité de faire le tri entre l’Histoire et la Mémoire. Cette distinction n’est pas nouvelle, d’autres s’en sont occupés bien avant nous, mais il subsiste toujours une ambiguïté essentielle dans la réponse à cette question. Nous avons tendance à ranger la Mémoire du côté des souvenirs de l’individu, excepté pour la notion de mémoire collective qui se rapproche de l’histoire. La Mémoire est quelque chose qui part du présent, de l’ordre de la réminiscence, on a tendance à la concevoir plutôt comme un espace d’impulsion, un besoin de se remémorer parce que quelque chose nous arrive dans le présent. L’histoire est plus structurée, car elle émane d’une volonté scientifique qui souhaite prendre du recul dans un souci d’objectivité vis-à-vis des faits. Nous allons voir que ce n’est pas si évident que ça, car dans la mémoire, il y a un aspect individuel, mais également collectif comme dans l’histoire.
De la transmission orale à l’archive :
Il nous faut aussi prendre en compte la notion d’oralité et d’écriture, car on dit que l’histoire commence quand l’écriture arrive, avant cela on est dans la préhistoire. Notre travail de collecte des interactions mémorielles présuppose que l’on réponde à cette question : Qu’est-on en train d’entendre, de l’histoire, quelque chose qui a une référence à l’histoire, ou une volonté d’exprimer un ressentiment, quelque chose de transmis dans la réminiscence ?
Espaces de manipulations,
Paul Ricœur a analysé cette histoire du conflit entre mémoire et histoire qui commence dès l’antiquité. Au départ, chez Platon par exemple, la mémoire est quelque chose de l’ordre de la trace dans la cire. La mémoire ne devient histoire que si l’empreinte qui est dans la cire est exactement semblable à ce qui est en train de se redire. Le conflit vient du fait que la trace s’efface et qu’on ne peut plus totalement recoller avec, donc on n’est plus sur la même image, la même imitation. La non fiabilité de la mémoire est déjà débattue dans l’antiquité. Certains auteurs comme Hérodote vont jusqu’à dire que l’histoire est nécessaire pour faire des images qui conditionnent la mentalité de la nation. Il conçoit donc l’histoire comme un espace de manipulation, au même titre que la mémoire.
Nous éprouvons toujours ce conflit. Il suffit d’avoir en mémoire la loi de 2005 concernant les vertus positives de la colonisation, et du négationnisme qui l’accompagne, comme c’est le cas en Iran. Que l’on soit en Histoire où en Mémoire, nous entrons dans des espaces où nous sommes manipulables, ou plus exactement où le discours devient objet de manipulation.
Le concept de Vérité,
Au milieu de ce conflit, s’installe la problématique notion du vrai. Ce concept de vérité témoigne de toute une évolution de la pensée et des représentations qui vont avec. Il sera déterminant pour l’évolution des sciences. Aujourd’hui, on peut dire que les sciences ne prétendent plus à la vérité en tant qu’absolu.
La science essaie d’être le moins dogmatique possible notamment en utilisant le doute comme un des moteurs de la recherche. Les conséquences de ce positionnement se font sentir sur le plan de la déontologie des chercheurs.
Marion
« Même dans le monde en général et pas seulement dans celui des chercheurs ? »
Marc
« Oui même dans le monde en général, l’enseignement du doute fait que l’aspect dogmatique est moins fort, sauf dans les replis. Les idéologies extrémistes se réfèrent au dogmatique pour imposer une religion de vérité, qui sera à même de légitimer le recours à la violence. Quand on s’interroge sur les notions d’histoire et de mémoire, il y a toute une série de notions que nous allons prendre à notre compte pour organiser notre propos.
Interroger les sources,
Où la mémoire trouve-t-elle sa source ? Et où se trouve la source de l’histoire ? Quels sont les outils qui vont servir de socle aux fondations de l’une et de l’autre ?
Puisque nous évoluons dans une société qui a choisi l’archive, il nous faut comprendre pourquoi est ce que nous privilégions ce support, mais d’abord, qu’est-ce qu’une archive ?
Une autre question, tout aussi importante, concerne l’idéologie sous jacente à l’Histoire. Et par opposition, il serait intéressant d’aller voir quels sont les peuples qui ne souhaitent pas avoir d’histoire. Il existe des populations qui n’ont jamais eu de volonté historique, et qui pense l’histoire comme quelque chose de « débile », qui n’a aucune valeur en soi.
Christine
« Quels peuples ? »
Marc
« Ne serait-ce que les aborigènes d’Australie qui possèdent une mythologie du rêve. Ce comportement, cette attitude vis-à-vis de l’histoire doit nous conduire à une interrogation sur les fondements de la transmission, pourquoi transmet-on l’histoire ?
Cela nous amène à considérer aussi bien notre héritage matériel, que notre héritage spirituel et idéologique, et à réfléchir sur la notion de groupe humain, de famille. En quoi l’histoire, et la mémoire est un lieu de la structuration du groupe ? Et à quel niveau, est-ce en fonction de la mémoire ou de l’histoire ?
Il y a tout un jeu d’influence à analyser. Qu’est ce qui influence l’histoire transmise ? On retrouve le politique, le religieux dans cette notion de faire groupe et d’avoir une pensée commune. Se pose alors la question de la fiabilité de cette transmission ? Qu’est-ce qui assure la fiabilité de l’Histoire ? Quels sont les outils dont on dispose pour qu’un discours soit fiable ? Recoupements, méthode de distanciation, de comparatisme…
Reste à savoir de qui et de quoi fait-on l’Histoire ? Et quelles sont les conséquences de cette histoire sur la constitution des identités collectives aujourd’hui ? Est-ce que l’histoire favorise cette constitution, mais ne peut-elle pas entretenir un conflit intérieur ?
Nous devons répondre à ces questions même si elles correspondent à des réflexions élaborées qui ne seront peut être que très rarement conscientisées lors des entretiens. Car ce travail doit permettre d’élaborer des « garde-fous » si on doit intervenir un jour sur le terrain. La personne que l’on collecte n’est pas nécessairement consciente de ces distinctions, elle nous parle de quelque chose qui pour elle, est la vérité. C’est sa vérité, même si en décryptant un peu, on s’aperçoit que ce n’est pas seulement sa vérité, mais sa mémoire. Et peut être que si on avait interrogé la vérité de cette mémoire quinze jours plus tôt, elle n’aurait pas dit la même chose, car le présent, l’instant influence ce qui est dit.
Donc là, nous sommes en train d’élaborer des gardes fous à la technique de collecte. Car si lors des collectes nous n’avons pas en tête ces interrogations, il est évident que nous risquons de ne pas être justes dans les questions posées. Il est possible de faire adhérer la personne à quelque chose qui n’est pas juste, mais qui paraît l’être. Le collecteur doit être un minimum capable de s’interroger sur la nature de ces masses d’informations. C’est d’ailleurs ce qui fait toute la complexité de la collecte, et ce qui rend possible un travail d’analyse.
Puisque nous travaillons sur la notion d’Oralité, essayons de la confronter à l’écriture. En ce qui concerne la fiabilité d’un récit dans l’oralité et dans l’écriture. On a tendance à penser que l’oralité est un récit non fiable parce que non fixé, alors qu’en réalité on peut fixer des récits dans l’oralité. L’anthropologue Jack Goody a réalisé un travail sur la relation entre l’oral et l’écriture. Il a collecté la grande épopée qu’est le Soundiata, à un moment de sa vie à l’aide d’un enregistrement sur magnétophone. Puis il est revenu et a recollecté le même récit, plusieurs générations plus tard, toujours avec un magnétophone. En recoupant les deux versions, il a rendu compte de ce que les variations étaient infimes, ce qui a permis de remettre en cause cette idée de non fiabilité de l’oralité.
Christine
« Oui mais là c’est quand même quelque chose de particulier, il faut voir dans quelle société, parce que c’est peut être une exception. Selon les sociétés, l’oralité n’a pas nécessairement la même valeur. Il s’est certainement adressé à une famille de griot. »
Marc
« Il est allé dans le Nord Ouest de l’Afrique, au sein d’une caste de griot, où il y a effectivement une volonté de garder l’histoire des grandes familles royales, l’histoire du peuple. Il est allé en un endroit où il y a une grande considération pour l’histoire, et où il n’ y a pas d’écriture, mais on s’aperçoit qu’il y a une fiabilité de la transmission au niveau de l’identité des termes utilisés.
Les griots sont des porteurs de généalogies, d’histoires, et d’épopées. Ils sont le devoir d’être fiables. On retrouve cela avec les rhapsodes de Roumanie qui sont capables d’apprendre par cœur des milliers de vers.
Les rhapsodes ont la particularité d’apprendre par cœur, ils ont une technique corporelle très forte mais ne composent rien.
Des milliers de vers peuvent être mémoriser et retransmis pendant des générations sans être transformés. Donc déjà la notion de non fiabilité de la transmission orale par rapport à l’écriture est relativisée. On ne peut plus dire qu’on n’a pas la possibilité d’une fiabilité d’une transmission au mot à mot dans l’oralité.
Marion
« Les juifs aussi procèdent de cette façon en suivant leurs traditions. »
Marc
« C’est encore autre chose, je dirai plutôt qu’ils interrogent la lettre. Chez les juifs, toute lettre a du sens, et selon le mot qu’elles composent elles peuvent recouvrir encore un autre sens. En fait, il y a les deux dans le monde juif, ie, il y a une partie fixée et une partie à déconstruire et à reconstruire en permanence. Il y a deux façons de procéder qui sont complémentaires. La fixité en elle-même est aussi dangereuse que la mouvance. On retrouve cela dans la tradition des druides par exemple. Les druides ne voulaient pas livrés leur récit à l’écriture parce qu’ils pensaient qu’elles constitueraient autant de lettres mortes et pour que la mythologie celtique puisse vivre pleinement, il fallait qu’elle soit reconstruite en permanence, tout en gardant le même axe : il fallait que la mythologie soit entendue par des contemporains et pas par ceux qui seront là dans cinq cent ans.
La notion de la vie de la transmission, c’est quelque chose d’assez fabuleux qui doit nous poser question là aussi. Dans la notion de transmission de mémoire, est-ce qu’il n’est pas plus vrai de faire vivre la mémoire, de faire en sorte qu’elle soit traduite en permanence en fonction de qui l’écoute, plutôt que de la laisser comme espace figé à des personnes qui ne personnes qui ne peuvent lus rien comprendre du tout, n’ayant plus d’accès au contexte de cette époque. Le plupart des société de tradition orale attache une grande importance au contexte et moins à la fixité. Ce qu’il est important de transmettre c’est le sens autant que la forme.
Ceux sont autant de choses très importantes pour nous car une grande partie de la population issue de l’immigration vient de pays de tradition orale. Ne serait-ce qu’au niveau du Maghreb, très peu de personnes issues de l’immigration connaissent l’arabe littéral, souvent ceux sont des gens qui proviennent du monde rural et qui parlent l’arabe dialectale. Ils arrivent d’un espace de transmission qui est plutôt oral qu’écrit, et avec en bagage tout un ensemble de codes de l’oralité.
Une des caractéristiques de la mémoire orale c’est qu’elle ne vise pas tant à transmettre qu’à convaincre, convaincre de ce que nous ressentons comme vrai. Mais en même temps, je crois qu’il y a dans les sociétés de traditions orales, cette conscience que la mémoire n’est pas pleinement fiable. Par conséquent il y a une remise en question, ou en tout cas, il n’y a pas une confiance aveugle en la mémoire, il n’y a pas la croyance qu’une parole est plus fiable qu’une autre, excepté chez les professionnels (les griots, les bardes, les rhapsodes) mais en général quand quelqu’un donne sa façon de voir, il y a déjà un doute sur la fiabilité de ce qui est transmis. Or ceci n’est pas toujours le cas avec l’Histoire. L’histoire est posée comme une vérité et on va l’apprendre comme une vérité.
Benoît
« Alors justement, c’est là tout le paradoxe, parce que cette histoire, contrairement au récit oral, on va pouvoir lui faire dire un peu ce que l’on veut. »
Marc
« C’est dire le poids de l’écriture sur notre société. Nous vivons dans une société du livre, où l’écrit est presque sacralisé. Donc la manipulation est aussi possible, même des fois beaucoup plus, dans une société de l’écrit que dans une société de l’orale.
Christine
« En plus de cela, il y a d’énormes « blanc » dans l’histoire écrite telle qu’on nous la transmise à l’école. »
Marc
« Des « blancs » où les gens malhonnêtes n’hésitent pas à s’engouffrer pour les remplir. Du coup on ne sait plus si c’est une hypothèse ou si c’est la vérité. L’écriture peut s’avérer être un piège de perception en particulier pour quelqu’un qui n’est pas éduqué à la science de l’histoire.
La manipulation est dépendante de ce niveau de compréhension des moyens qui servent à transmettre. »
Geneviève
« Récemment j’ai été intéressé par le travail réalisé lors de la semaine Palestine, et j’ai assisté au décryptage des informations. Ce qui m’a frappé dans ce travail, c’est qu’il montrait comment il était possible, à partir du traitement médiatique d’un même évènement (en l’occurrence, l’échec de Camp David), de créer une prise de partie pro israélite ou pro palestinienne. »
Marc
« Et cela je pense que dans notre travail autour de l’immigration, il y a toute cette écriture idéologique (qui n’est jamais gratuite) qui accompagne notre discours. Quand on écrit l’histoire, comme le font les historiens de la colonisation et de la post-colonisation aujourd’hui par exemple, lors de colloques, je me suis aperçu que l’on sent très bien où sont les engagements des personnes. Alors je ne dirai pas que ce n’est pas un engagement auquel on n’a jamais envie d’adhérer mais en même temps on sent qu’il y a des exagérations au même titre que quelqu’un qui aurait un positionnement inverse.
L’idéologie va faire que l’on choisi certains faits plutôt que d’autres. Ce n’est pas que nous disions « Cela est faux », mais nous constituons des déséquilibres par le choix de nos images, dans leur assemblement et à travers la composition de notre discours. Ce n’est pas dans le fait que les évènements soient faux, ni dans celui que l’on dise des choses fausses que réside l’ambiguïté de la parole, mais dans le fait que l’on peut très bien tenir un discours idéologique, tout en disant la vérité.
Geneviève
« Ce qui m’a frappé c’est surtout la façon dont c’était agencé. »
Marc
« Oui, c’est la façon dont on recompose l’histoire à partir de faits réels. C’est le cas, entre autre, du traitement des informations télévisées lors du vingt heure par exemple. Un des témoins de cette manipulation de l’information, c’est le temps consacré au sujet proportionnellement à leur importance respective. Parfois, l’image est focalisé sur un évènement complètement banal, puis suit une information lourde, comme l’annonce d’une guerre civile, en moins de vingt secondes. Là le déséquilibre est posé de façon claire et distincte. »
Christine
« Mais cela c’est quelque qui vient se rajouter à l’heure actuelle, parce que les médias, maintenant on le sait, sont extrêmement manipulateurs, mais aussi les Etats eux-mêmes. Geneviève citait le cas de la Palestine, moi je pense à un des livres de Warshawsky, un résistant juif, qui explique très bien comment avant les attentas du 11 septembre 2001 déjà, l’état d’Israël allait capturer des individus en légitimant ces arrestations sous le prétexte de leurs appartenance à des réseaux terroristes alors que c’était des citoyens comme d’autres, des palestiniens. D’après lui, ce sont les juifs qui leur ont collé cette étiquette de terroriste, et cette politique de répression s’est amplifiée à partir des attentats de 2001 car ces évènements leur ont permis de légitimer ces exactions. C’est une manipulation en amont qu’il dénonce, une manipulation qui vise à transformer une pression politique en lutte anti terroriste.
Marc
« Oui, un évènement vient légitimer un comportement. L’évènement est vrai. Eventuellement, qu’il y ait des terroriste cela peut être vrai aussi. Mais le fait de tisser un lien entre ces deux faits pour dire « Ceux sont tous des terroristes », c’est encore autre chose. »
Christine
« Je ne sais pas si c’est nouveau. »
Marc
« On retrouve ce genre de pratique tout au long de l’histoire. Il existe un très bon livre sur ce sujet, « La parole manipulée » de Philippe Breton, qui explique comment depuis le début de la démocratie, la parole est un espace de manipulation. Le discours, en lui-même fondateur de la démocratie, est un espace où ne sommes jamais dans l’attente que l’autre nous dise le contraire. Ce qui nous intéresse c’est l’art du convaincre. »
Benoît
« Ou du persuader. Dans le choix du vocabulaire notamment, il est possible de les démasquer ces idéologies. Je pense à des expressions qu’on entend dans les médias par exemple on nous parle souvent de « Justice à deux vitesses ». Non, il y a de la justice, et de l’injustice, mais une justice à deux vitesses je veux bien qu’on m’explique ce que cela signifie parce que sincèrement je ne vois pas très bien. »
Marc
« Il y a une justice qui court vite. » Rires
Benoît
« Ou alors, j’ai remarqué que pour ne pas dire « mensonge » quand un homme politique parle des propos d’un autre, il arrive qu’il utilise le terme de « contre vérité ». Pour moi le contraire de la vérité c’est un mensonge tout simplement, ou alors il faut admettre que certaines vérités sont plus vraies que d’autres et partir de là il faut expliquer selon quel critère on les différencie. C’est une contradiction en soi une « contre vérité», cela n’existe pas, mais c’est ce genre d’expression qui permet de camoufler sa véritable opinion. »
Marc
« C’est pour cette raison que le sujet que l’on traite là est primordial car nous pouvons tenir un discours manipulateur sans même nous en rendre compte. »
Geneviève
« C’est ça le plus grave, parce qu’il y a ceux qui volontairement manipulent et ceux qui sont pris dans le contexte. C’est ce qui m’a frappé lors de ce décryptage, car on y montrait également l’homme de la rue, le citoyen lambda, qui se retrouvait lui-même pris dans une espèce de chose qui transmettait aux autres cette manipulation. C’est cela qui est dangereux. »
Marc
« C’est pour cela que je pense que l’effort de conscientisation est important. Quand on travaille sur un sujet comme celui là on peut très vite tomber dans le piège de l’institution qui va nous amener à être des manipulateurs de terrains, dans la bonne intention de faire régulation, mais on peut très vite se retrouver forcé de porter des valeurs auxquelles on n’adhèrent pas.
C’est en ce sens que cette réflexion est importante, en tout cas si on veut être chercheur et aller jusqu’au bout, il faut être conscient qu’on se fera manipuler tôt ou tard. A partir du moment où on est payé pour faire un travail il y a nécessairement des intentions et des demandes. Mais je pense qu’une fois que ce risque est conscientisée, il y a la possibilité de contrer une grande partie des manipulations grossières qui sont posées. »
Fabien
« Cela me fait penser à ce concept de guerre préventive grâce auquel on a mobilisé tous les américains et suscité un engouement populaire juste derrière un concept. Mais aujourd’hui les gens en reviennent, ils ont changé d’opinion. »
Marc
« L’effet de la manipulation ne supporte pas toujours l’épreuve du réel, les gens s’aperçoivent qu’ils ont été complètement manipulés, qu’ils se sont faits posséder. Alors que contrairement à ce que l’on pourrait penser, dans les sociétés de traditions orales, il y a une conscience assez aiguisée (pour celles que je connais en tous cas) du fait que le professionnel de la parole n’est pas responsable ; autrement dit, la responsabilité de la parole est collective. Beaucoup de griots, lorsqu’ils racontent une généalogie, vont s’interrompre et attendre que tous les auditeurs approuvent (d’un hochement de tête), car si quelqu’un n’est pas d’accord, le griot lui cède sa place à cette personne qui vient alors donner sa version.
La responsabilité de la parole n’est pas déléguée à un professionnel mais chacun porte la responsabilité de cette mémoire.
Christine
« Mais je dirai que c’est un peu le cas de l’histoire. Il peut y avoir des retours de la collectivité sur des interprétations qui ne correspondent pas à la vérité. »
Marc
« La vérité, je me demande si elle est fiable en tant que telle. En tous les cas on peut se demander si le désir d’être au plus juste est bien présent. C’est cela qui est important parce que je pense que la vérité en tant qu’absolu est impossible, il y a trop de version. Pour moi, c’est vrai que de plus en plus j’apprécie les espaces historiques où il y a des versions contradictoires et où on te laisse la possibilité d’en faire ce que estimes être juste. Ce n’est ni facile ni confortable mais en même temps pour moi c’est ça l’histoire. Il n’ y a pas une seule façon de voir, il y en a plusieurs, et le choix à faire peut nous troubler, mais il faut accepter la complexité de la situation en tant telle. Toute vérité est complexe, se contenter d’une simplification c’est courir le risque de se faire piéger.
A partir du moment où deux humains se rencontrent il n’existe plus de simplicité si on veut aller jusqu’ au bout. Il y a des situations, des mémoires, des rencontres, des histoires et si on cherche à savoir ce qui se joue réellement on ne peut pas éviter la complexité. Bien sûr on ne peut pas toujours chercher à comprendre sinon on deviendrait fou. Mais quand on est dans un recherche de compréhension on ne peut pas l’éviter.
Oralité et histoire : (p. 100, -4mn 30)
Aujourd’hui nous faisons de l’histoire orale. Les historiens vont de plus en plus chercher non plus à décrire un évènement, mais l’interprétation d’un évènement par un groupe humain. Et c’est tout aussi important, je dirai, que l’évènement lui-même, parce que ce qu’on écrit, c’est l’histoire des idées, des pensées et des comportements au moins autant que l’histoire des évènements. C’est une évolution de la pensée scientifique et historique, on ne se contente plus de description mais on prend également en compte la subjectivité de l’humain qui écrit l’histoire. C’est une couche de complexité supplémentaire mais c’est aussi une couche qui rejoint d’autres sciences comme l’anthropologie, l’ethnologie, la sociologie…
Nous avons dit plus haut que l’humain est cyclique. Si on regarde l’histoire globale de l’humanité on se rend compte qu’à un moment donné l’humain (le subjectif) a été complètement contesté pour aller vers des choses qui relèvent de la science, de l’absolu, des vérités techniques pour ensuite revenir sur cette position, la dépasser. Quoi qu’il arrive, on s’aperçoit que la subjectivité de l’humain est toujours prête à ressurgir à tous moments dans le travail de description.
Dans l’histoire de l’immigration, c’est d’autant plus essentiel qu’on a crée des stéréotypes, de la stigmatisation à partir de nos représentations et non pas à partir de l’histoire. Nous avons été dans un comportement de mise en relation qui était plus un comportement idéologique de par le fait de la colonisation, des guerres… que de l’histoire. L’histoire a toujours été, plus ou moins, un espace manipulée.
La réécriture de l’histoire de la colonisation correspond aussi à une nécessité du vivre ensemble, car il ne s’agit pas d’un désir mais bien d’une nécessité. L’histoire va donc être réécrite en fonction de besoins sociaux.
L’écriture du passé répond aux problèmes du présent:
Pour moi c’est une vraie réflexion de mettre l’historien, dont le travail ne peut pas tout englober, dans la mouvance de courant de pensées et de nécessités. Que s’est-il passé après Juillet 2005 ? Il y a eu la prise de conscience d’une histoire manipulée, mais le plus important est ce qu’implique cette prise de conscience : une nouvelle lecture de l’histoire.
L’objectif du politique, en toute objectivité, est de créer une mémoire commune pour améliorer le vivre ensemble, car sa mission est de gérer une société. L’histoire pèse sur le processus de régulation social.
Fabien
« Et l’histoire pèse sur la politique comme on l’a vu en 1945. »
Marc
« C’est tout à fait cela, et je pense que si on veut être objectif vis-à-vis de ce qu’est l’histoire, il faut comprendre en quel sens est-ce qu’elle est construite en fonction des besoins du présent. L’histoire n’est pas de l’histoire pour l’histoire, c’est aussi un espace de régulation. Je ne dis pas que l’histoire ne s’écrit pas au travers de cela, car la diversité des travaux implique la mise en place d’un espace de confrontation des points de vue où l’on peut commencer à avoir une visibilité de la complexité de ce qui s’est jouée. Mais en même temps on n’est bien dans une histoire réactive.
Si l’on prend l’histoire de l’Irak par exemple, on voit qu’elle s’écrit de plus en plus, qu’elle s’intensifie. Vu le conflit qu’il y a entre l’orient et l’occident sur ce territoire là, il y a de plus en plus le besoin d’écrire. Mais nous n’aurons accès à ces informations que dans quelques années. Nous sommes bien obligé d’écrire cette relation et son évolution. Même si l’histoire est relative au passé elle dépend également d’un déclenchement relatif au présent de par le fait du pragmatisme de la gestion social. On s’aperçoit bien que les sciences pures sont peu financées en fin de compte. On préfère financer des historiens qui peuvent apporter des solutions à des problématiques présentes.
Le système en lui-même va engendrer ce type d’évènement. Pour revenir à notre histoire de l’immigration, le risque que nous courons est d’être collés à la necessité de répondre à la problématique présente sans prendre en compte la distance nécessaire pour avoir une vision juste des évènements. Le risque quand on a des commandes institutionnelles, que l’on exige de vous un résultat avec une échéance dans le temps et cadre de problématique prédéfini qui ne nous laisse pas le temps d’aller dans la construction de l’état que vous avez à analyser. Là par exemple, il y a une étude sociologique qui va se faire et on sait qu’elle est motivée par la volonté de répondre à une problématique actuelle lié à l’urbanisation, à la métropolisation. Alors ce qui va se passer, c’est qu’on va reprendre des observations immédiates sans tenir compte des processus de fond, et on va en tirer des conclusions qu’on mettra immédiatement en application sur un plan politique. De fait, ces applications tombent très vite par terre car elles ne suffisent pas à régler les problèmes de fond.
C’est un peu la principale faille de notre système de recherche aujourd’hui. On commande des études, mais sans laisser le temps aux chercheurs de retravailler le fond. C’est la problématique du contrat institutionnel. Je dirai que la mémoire n’est pas l’histoire et que l’histoire n’est pas la mémoire, mais pour qu’il y ait véritablement histoire il faut prendre en compte la mémoire. Histoire et Mémoire sont liées ad vit aeternam, l’histoire n’est vécue par les sociétés qu’au travers de la mémoire. Le reste c’est un artifice qui fait qu’on essaye de recadrer les choses mais à termes les gens se servent surtout de leur mémoire, un élément intime pour analyser le monde.
A partir de là il y a deux aspects à considérer : l’institutionnel et l’intime. Pour moi il y a une déclinaison des idéologies qui va avec ces deux éléments, de l’individu, à la famille, aux groupes, ie, aux cercles d’appartenances jusqu’à l’institution qui gère cette globalité.
Aux fondements de la Mémoire collective,
Histoire et mémoire sont les maillons qui nourrissent ce qu’on appellera la mémoire collective d’un groupe et d’un territoire. Il suffit d’aller prêter une oreille aux discussions qu’il peut y avoir dans les troquets pour voir que les gens mettent en place une mémoire commune en choisissant des évènements autour desquels ils se réunissent, un espace autour duquel ils se sentent tous plus ou moins en proximité. Ce qui est intéressant c’est de savoir ce que l’on choisi comme espace de construction. Ce n’est pas parce que les informations nous parlent de l’Irak que c’est cela qui va rester comme espace de constitution d’une mémoire collective. Ce qui est intéressant c’est de voir en quoi la situation de l’Irak va influencer la construction de la mémoire collective. Ce qui est intéressant c’est de comprendre en quoi, derrière tous les évènements qui surviennent en Palestine, en Irak, en Iran, au Liban… quand on est en relation avec des maghrébins qu’est-ce qui se joue ? Quel est le parti pris qui va se jouer, l’ambiguïté de réception sur ces faits historiques et la mémoire de l’immigration qui est derrière eux.
Quand on veut comprendre ce qui se joue dans l’interaction mémorielle, il ne suffit pas de lister les évènements de l’histoire, il faut comprendre ce qui se passe aujourd’hui, et ce que cela réveille dans chacun de ces peuples au niveau des frustrations, des blessures… en bref, qu’est ce que cela engage comme positionnement social et individuel ( au niveau de la conviction intime) ?
On pourrait presque remonter à nos grands pères qui nous parlaient toujours des « boches » pour comprendre ce qui se joue. Ce n’est pas qu’ils ne supportaient pas les allemands, mais il y avait à l’intérieur d’eux même une blessure liée au conflit, ce qui faisait qu’à la simple vue d’une voiture allemande, ils disaient « C’est qu’une voiture de « boches ». »
Travailler sur l’histoire et la mémoire, c’est jongler sur ces deux dimensions en permanence pour essayer de comprendre où se situent les interactions mémorielles. C’est un travail qui doit s’étaler sur plusieurs générations puisque les enfants peuvent subir les blessures des parents au travers de leurs comportements. C’est un travail difficile, d’autant plus que beaucoup de choses se transmettent de façon inconsciente.
Geneviève
« C’est quand même mystérieux. hier encore, j’ai été interpellé par le discours d’ un travailleur social, quelqu’un qui est ouvert, qui fait plein de choses, qui n’est pas du tout raciste, s’insurgeait que l’on donne des aides aux français issus de l’immigration. Alors que ce garçon là était d’origine maghrébine et il est automatiquement identifié comme tel. Alors je lui ai dit qu’il y avait aussi une question d’âge, d’absence de ressource, une question de formation, et que je ne pensais pas que dans les aides qu’on donne aux jeunes en difficulté, on donne quelque chose plus facilement aux maghrébins plutôt qu’aux français. Mais ce que je n’ai pas compris c’est comment quelqu’un qui a ce profil là peut avoir cette parole là ? Et le plus étonnant, c’est qu’après l’avoir confronté à sa parole, lui-même sursautait devant la teneur extrémiste de son discours. »
Marc
« Pour moi tu es dans le cas typique de quelqu’un qui est à la fois dans la mémoire et la déontologie de sa profession, mais qui a aussi la mémoire de sa propre famille. C’est peut être quelqu’un qui va intégrer les difficultés d’un de ses proches, et alors qu’il travaille pour combattre le racisme toute la journée, il va laisser remonter un espace raciste qui va être réactif vis à vis de sa mémoire familiale.
C’est là que se situent les véritables problématiques aujourd’hui. Les mémoires collectives, profondes, sont potentiellement sources de conflit tant qu’elles ne sont pas conscientisées. On arrive à une notion qu’a développé Ricœur, c’est la notion de l’oubli. Il n’y a pas d’histoire et pas de mémoire sans oubli.
L’oubli est un moteur essentiel. Pour pouvoir se remémorer, il faut avoir oublié. Mais l’oubli en tant que tel peut être un piège aussi. L’oubli peut être créateur de traumatismes lorsqu’il est provoqué par un refoulement. On est dans quelque chose qui nourri la régulation sociale. C’est un nœud. On nous fait miroiter que la relation sociale est quelque chose d’assez simple, mais en réalité nous traînons tout un ensemble de représentations. Nous ne somme pas en relation directe de conscience à conscience avec autrui, nous avons besoin d’espaces pour nous rencontrer, et ces espaces sont construits sur des négociations, des aménagements, des concessions. Toute concession est une blessure. C’est un lieu du renoncement, qui remontera un jour ou l’autre à un autre endroit.
Vous trouvez cela dans les cours de récréations : Le petit costaud de cinq ans qui s’approche d’un plus petit et lui colle une gifle alors qu’il allait dire quelque chose. Dix minutes après, vous voyez celui qui s’est pris la gifle en donner une à un autre, parce qu’il a besoin de se remettre en situation de force, et de se réaffirmer parce qu’il n’a pas envie de rester sur un échec. Pour moi c’est ça la société aussi. On est toujours dans une volonté de reprendre le pouvoir sur l’autre, pour faire identité et être reconnu.
Dans une même société, ie, dans un cadre où les gens ont une histoire commune, la situation est déjà compliquée, alors elle l’est d’autant plus quand les mémoires, les histoires et les codes sont différents. Il est essentiel de détecter tout cela pour aller jusqu’au bout du non racisme. Comment ramener à la conscience nos propres comportements ? L’idéal serait de pouvoir comprendre les tenants et aboutissants de chaque acte. « Tu réagis comme cela pour telle et telle raison. » Je parle bien entendu d’un idéal qui viserait à amener l’autre à comprendre lui-même le pourquoi de ses réactions. Nous n’en sommes pas là. Il est déjà difficile de faire admettre aux gens qu’ils ont un inconscient.
Fabien
« Il faudrait se fabriquer une boite à outil qui nous permettrait de réparer. Cela me fait penser à une rencontre que j’ai faite récemment avec une connaissance que je n’avais pas vu depuis longtemps. Il m’a demandé où j’en étais, alors je lui ai expliqué que je cherchais un emploi, ce à quoi il m’a répondu que ce n’était pas facile en ce moment surtout « vu le nombre d’étranger. »
Comme je l’avais identifié comme un communiste à l’ancienne. Je n’ai pas su quoi lui répondre, alors un peu déconcerté je me suis dit qu’il fallait se faire une boite à outil pour ce genre de situation. »
Marc
« Oui, et le motif de l’idée de créer une boîte à outil pour les acteurs sociaux c’est qu’il doit leur permettre de mettre du sens, de repérer certaines paroles pour qu’il ait des espaces de réactions possibles. L’outil ne doit pas servir à prescrire ce qu’il est convenable de faire mais bien servir à lancer une piste de réflexion qui puisse permettre à la personne de travailler sur elle-même, d’avoir une réflexion sur soi. Pour moi il n’y a qu’à ce niveau là que l’on peut travailler efficacement sur le racisme. Les injections forcées d’anti racisme, ce n’est pas une solution à long terme. Il est préférable d’interroger la personne de façon à la mettre en réflexion sur son propre comportement. Ce sont des outils de ce genre qu’il faut trouver, le reste quant à lui ne nous appartient pas. »
Benoît
« C’est la méthode socratique que tu es en train d’exposer. Si par exemple tu lui avais demandé, je ne sais pas quelque chose comme, « Est-ce que tu penses que ceux sont les étrangers qui trouvent le plus facilement un emploi en France ? » Je pense qu’il aurait, peut être, pris conscience d’avoir dit quelque chose de faux.
Marc
« Ou simplement, qu’est ce que c’est pour toi un étranger ? Avec ce genre de question, tu n’affirmes rien, tu n’as pas de réponse mais tu demandes simplement parce que tu veux comprendre. Comme tu n’affirmes pas de jugement de valeur en disant c’est bien, c’est mal mais que tu demandes une précision, tout de suite tu mets la personne au travail, car il est possible qu’elle ne se soit jamais demandé « qu’est ce que c’est qu’un étranger ? ». C’est très souvent le cas en fait puisque les étrangers sont ceux qui sont désignés en tant que tels.
L’importance de la transmission :
Avec ces notions d’histoire et de mémoire, entre en jeu la notion de transmission. Il y a ce que l’on nous transmet et les raisons pour lesquelles on nous transmet cela plutôt qu’autre chose, et cette transmission s’étend de la sphère familiale à la sphère publique. Vis-à-vis de cette transmission, l’individu n’est pas dans une liberté d’acquisition mais dans un conditionnement. La transmission commence dés l’enfance, c’est la famille qui nous « formate », non pas comme être libre, mais comme être qui va avoir à gérer le patrimoine familial. Alors je dirai qu’on est plus dans la notion d’autochtonie là. Je ne dis pas que c’est quelque chose de systématique aujourd’hui de recevoir une terre comme patrimoine familial. Ce n’est peut être plus tout à fait le cas, mais ce qui est certain c’est qu’on va faire de vous un membre de la famille à part entière, il faut donc vous faire adhérer à l’idéologie familiale, aux chaînes de valeurs, de comportements, aux espaces de connaissance…
Geneviève
« Mais il y a quand même aussi des couches de transmission. Il peut y avoir des transmissions qui se confrontent à l’intérieur d’une même famille. »
Marc
« Je prends un cas stéréotypé pour partir d’un point d’appui, mais effectivement, ensuite tu peux décliner en autant de genres de familles, comme la famille ouvrière, même si il y a de moins en moins d’ouvrier en France… »
Geneviève
« Et le père et la mère peuvent être en conflit aussi parce que chacun a son histoire. »
Marc
« oui. Mais en tous les cas, on retrouve toujours cette volonté de convaincre dans le discours de tout être humain, au moins au niveau de sa communauté. A partir de là, nous nous pourrons nous placés dans un entre deux, mais nous aurons tout de même un positionnement. Et puis, d’autres dimensions viendront alimenter notre positionnement, comme la dimension religieuse, l’appartenance politique, l’appartenance à des clubs sportifs… nous sommes toujours dans des formatage qui ne sont jamais fixé définitivement, mais qui toujours laissent des traces. Et là on revient à cette notion de trace développé par Platon. On est fait de traces, et elles ne sont pas toujours lisibles.
Benoît
« En même temps, je prendrai les propos de Platon avec des pincettes parce que ses mots sont au service d’une théorie métaphysique. La réminiscence si je ne m’abuse, c’est un souvenir de l’âme qui, pendant qu’elle contemplait la lumière du monde intelligible, a chuté tel un papillon qui se serait brûlé les ailes en fonçant sur une bougie. Donc ce n’est pas vraiment une mémoire de quelque chose de vécu, mais plutôt la mémoire d’un monde qui relève de l’illud tempus propre à la mythologie. »
Marc
« Il n’empêche que l’interprétation que l’on en a fait en permanence, c’est à partir de cet élément là. Le texte philosophique est un lieu de référence pas uniquement pour ce qu’il a dit mais pour ce qu’on en a fait. Quand on parle de ce qu’a écrit Platon, ce n’est pas obligatoirement en référence à son concept de base mais par rapport à sa déclinaison comme la pensée de la trace par exemple. »
Benoît
« Il avait conscience de ce danger, c’est ce qu’il exprime notamment dans Le phèdre, et en évoquant un mythe. Il utilise un mythe, de tradition orale, pour souligner les dangers de l’écriture, du support écrits, sachant qu’il procède toujours en écrivant des dialogues qui sont des réminiscences des conversations qu’avait Socrate avec ses contemporains. Ce sont des écrits qui se présentent comme des entretiens oraux. »
Marc
« Aujourd’hui, il suffit de lire un entretien pour voir la puissance que ça a. Les entretiens, qui ne sont pas des articles, nous permettent de voir ce passage de l’oral à l’écrit et la force que cela peut avoir dans un espace de réalité. On a presque plus tendance aujourd’hui, à être dans la confiance au travers d’un entretien que dans un article. »
Christine
« Et oui mais c’est parce qu’on a tous l’expérience d’entendre répéter une situation qu’on a connu oralement ou par écrit et qui ne correspond pas vraiment à ce qu’on a vécu. »
Marion
« Et même des fois quand on relit, on se dit qu’on a oublié d’évoquer certaines choses et on regrette de ne pas y avoir pensé sur le moment. »
Marc
« Justement, je crois que la force d’un entretien a priori c’est qu’on ne vous laisse pas le temps de revenir sur votre propos, et cela confère de la puissance au discours. En pratique, il arrive que les dés soient pipés en amont de l’entretien (on vous donne les questions à l’avance) ou en aval (on vous donne la possibilité de revenir sur ce que vous avez dit). En principe quand on relate un entretien on donne une parole qu’on ne relie pas. On est dans un espace d’une sincérité ressentie alors que l’article est un lieu de la manipulation par excellence. On peut revenir sur ses idées, les reconstruire. C’est pour cela que cet espace de vérité dans l’entretien, il est parfois ressenti comme plus efficace, mais il peut lui aussi devenir un espace manipulatoire, en donnant l’impression d’une spontanéité d’une parole sur laquelle la personne n’a pas pu revenir.
Christine
« Je trouve qu’il y a un autre exercice intéressant aussi c’est de relire des morceaux d’histoire écrits aujourd’hui et de constater les différences avec ce qu’on nous a enseigné. Je pense par exemple à quelque chose que j’ai revu il n’y a pas longtemps à propos de l’histoire des croisades, vue par les Arabes dans un livre d’Amin Maalouf. Nous appréhendons cette partie de l’histoire d’un point de vue imprégné par le christianisme. En lisant ce livre j’ai non seulement appris beaucoup de choses, mais j’ai surtout ressenti à quel point les récits qu’on me faisait des croisades m’avaient marqué durant mon enfance. Et je pense qu’aujourd’hui notre vision du monde arabe est toujours influencée par ces récits que l’on nous expose lors de notre petite enfance.»
Marc
« Les images déployées durant notre petite enfance peuvent rester fondées, et l’espace de représentation qu’elles engendrent devient alors très difficile à déconstruire. »
Christine
« C’est très curieux de voir les choses remonter. »
Marc
« C’est vrai que dans l’histoire quand on voit comment on a été fondé par Clovis, Vercingétorix, les croisades, le monde médiéval, on est quand même très formaté dans la part de l’Histoire. J’ai redécouvert le monde médiéval avec Jacques Legoff, parce que jusque là pour moi c’était un espace idéologique peuplé de troubadours… voilà bon, quand tu commences à avoir des gens qui s’intéressent à la vérité du petit peuple et à l’idéologie du terrain, là tu commences à avoir une vision un petit peu plus- ce n’était pas que du rêve quoi, il y avait aussi une réalité. Et l’histoire est souvent rêvée, quand on parle de Vercingétorix et de Clovis, il y a un lieu de la narration dans l’histoire. Il ne faut pas oublier qu’on utilise également le mot histoire pour désigner le récit fictif, ie, un espace où la forme même de l’histoire engage l’individu à se faire une image mentale. »
Geneviève
« Saint Louis sous son chêne, pour l’image de la Justice.»
Marc
« Pendant longtemps on a enseigné l’histoire comme étant un lieu de la fondation de l’image. »
Fabien
« Je crois que c’est une façon d’enseigner l’histoire propre à l’école primaire que de donner des images. »
Marc
« Oui c’est un lieu de la réminiscence mais ce qu’il y a c’est qu’il faudrait que ça change au fur et à mesure avec le temps. La plupart des histoires apprises sont des histoires nationales, ce sont des lieux de notre conditionnement. On nous place dans une écoute exclusive pour apprendre notre histoire et pas celles des autres peuples, celles-là viennent beaucoup plus tard. C’est important de le savoir parce que quand on rencontre d’autres peuples, il arrive parfois que l’on soit réellement totalement ignorant de leurs histoires. Si on parle de la guerre d’Algérie ici aux français, qui sera au courant de toutes les collectes qui avaient lieu pendant cette guerre pour trouver de l’argent ? Qui sera au courant de tous les réseaux qui ont été mis en place pour alimenter la population ? Si vous posez ces questions à des gens d’ici, qui n’ont rien avoir avec la guerre d’Algérie, il est évident qu’ils sont dans l’ignorance totale de ce qui se passaient dans leur proximité.
Marion
« Il me semble quand même qu’on en parlait un peu autour de moi. »
Marc
« Mais très peu, c’était quelque chose de lointain pour eux. En permanence nous favorisons une mémoire de l’histoire nationale, qui elle même va conforter nos positionnements politiques et idéologiques. »
Geneviève
« Oui c’est toujours le cas en 2007, notamment à propos de toutes les tragédies de l’Afrique, le Darfour : ici, personne n’en entend parler. »
Marc
« L’Afrique n’a pas d’histoire dans la tête de beaucoup de gens, comme nous regardons ce continent comme un réservoir de peuples d’oralité, nous considérons qu’ils n’ont pas d’histoire. »
Fabien
« Et je dirai que non seulement nous nous focalisons sur notre histoire mais en plus il faut qu’elle soit la plus rayonnante possible. »
Marc
« Certes, mais il faut penser que tout cela est légitime en fin de compte. Je dirai que c’est un espace de légitimité et que d’une certaine façon, si nous n’avions pas cette histoire comme référence, notre identité ne se ferait pas non plus. La mémoire collective est un espace de la construction identitaire d’un peuple. Le vivre ensemble nécessite à un moment donné, qu’il y ait histoire commune, qu’il y ait quelque chose de partagé. C’est cette absence de partage d’une histoire qui nous pose problème aujourd’hui. La perte du patriotisme est liée à cette perte d’une histoire commune. Nous perdons l’idéologie fondée dans l’histoire au travers de l’héroisme de 14-18, au travers de … et petit à petit tout cela se perd et on arrive dans une situation où faire mémoire, faire inconscient collectif devient beaucoup plus difficile parce que notre inconscient va s’étaler non plus sur un espace national mais sur un espace international. Aujourd’hui, notre grand problème pour enseigner l’histoire c’est de ne plus pouvoir se limiter à l’enseignement d’une histoire nationale comme c’était le cas jusque dans les années 1970. Même les enfants de part les mass médias sont en contact avec l’histoire internationale, donc ils ont du mal à se satisfaire d’une histoire nationale. C’est une sacrée perturbation car à partir de là, on n’a plus l’impression de vivre dans une communauté fermée, on a ce qu’on pourrait appeler, alors que je n’aime pas le mot, l’impression d’être « citoyen du monde ». Cette impression est fondée sur des espaces émotifs, c’est pour cette raison que je m’en méfie mais il n’empêche que nous sommes en relations avec le monde et que notre globalité ne se situe plus uniquement sur le territoire nationale. Cette mise en relation avec « le reste du monde » a des effets au niveau de notre perception de l’histoire.
Christine
« Quand j’avais quinze ans déjà j’écrivais que j’étais citoyenne du monde mais à cette époque cela passait par un désir, et même par des passages à l’acte dans le sens où cela a conduit notre génération à voyager dans différentes régions du monde. Et aujourd’hui, c’est donné comme ça à travers l’information. Tu passes d’un truc à l’autre et il n’ y a pas cet investissement de l’individu, enfin même si cela peut parfois être le cas. »
Marc
« Oui parfois, je pense qu’il y a des personnes qui peuvent être complètement dans une démarche d’aller comprendre l’autre. Mais en même temps, c’est très souvent un lieu de la perte et non de la construction. »
Fabien
« Et n’oublions pas que l’autre versant de la perte du patriotisme c’est le nationalisme, qui est quand même à prendre en compte, car si beaucoup se réclament citoyen du monde, il y en a aussi de plus en plus qui s’affirment nationalistes. »
Marc
« Ca va avec, parce que cette ouverture qui nous est imposée nous fait revenir à la notion de l’étranger. Ce que je veux dire c’est que de plus en plus, on se perçoit comme appartenant à une entité de plus en plus restreinte, perdue au milieu d’une masse de gens qui ne sont pas comme nous. Tout ce qui bouge et ne nous ressemble pas, c’est l’étranger. On se sent menacé dans notre identité. »
Geneviève
« Je me demande si derrière le nationalisme nous ne courrons pas un danger plus grave qui est celui du communautarisme. Les groupes se réduisent de plus en plus. »
Marc
« Je crois que ce n’est pas une problématique de communautarisme parce que le communautarisme est en réaction à ça aussi. On se repli par protection. »
Geneviève
« Mais il y a des gens qui ne se replient pas sur une identité nationale mais sur une identité plus étroite encore. »
Marc
« C'est-à-dire qu’il y a un lieu de la volonté de refaire communauté proche. Pour moi l’espace du repli, dans cette peur d’éclatement est lié au fait que nous avons tellement peur qu’il nous faut à tout prix retrouver les mêmes. Donc on va essayer de se retrouver dans un espace qui sera toujours un espace réactif. Ceux sont des communautés de réactions, et elle peuvent s’avérer dangereuses parce qu’elles sont fondées sur des éléments réactifs. »
Christine
« Le communautarisme est une illusion. Le fait de partager une religion ne signifie pas pour autant que les différences ne subsistent pas entre les individus. Il y a tellement d’écarts de pensées entre les personnes. »
Marc
« Disons qu’il faut faire la différence entre le communautarisme de l’immigration, ( ie, celui qui consiste à rechercher ses semblables parce qu’on ne peut pas s’adapter immédiatement sur un espace nouveau et qu’il faut nécessairement des médiateurs pour pouvoir faire le passage) et le communautarisme de protection qui cherche à restaurer une communauté sur des bases réactives : me défendre de ce que je ressens comme une menace pour mon intégrité. Là, la mémoire et l’histoire vont être ré exploitées selon les communautés. On va tordre l’histoire et la mémoire pour justifier ce comportement communautariste.
Fabien
« Dans cet éclatement, finalement il n’y a plus de centre. »
Marc
« Il n’y a plus d’espace repéré comme espace référant donné. A une époque, les groupes vivaient dans des espaces relativement plus fermés, où l’histoire et la mémoire étaient données. On n’avait pas à choisir. Aujourd’hui, on te demande de créer ton espace référent, en tant qu’individu. Cela, par contre, nécessite des compétences que tout le monde n’a pas obligatoirement non plus, car cela suppose que chaque individu ait la capacité de créer son propre système de référence, ce qui n’est pas simple.
Construction identitaire individualiste et Mémoire collective :
Fabien
« Si chaque individu construit son propre espace de référence Cela ne risque-t-il pas d’engager une perte de la mémoire collective ? »
Marc
« Comme toutes choses, cela peut s’avérer aussi bien être positif que négatif. Si vraiment on réussissait à obtenir cette multitude de compétence, au bout d’un moment, il y a des choses qui vont se coopter aussi mais sans que cela soit imposé. L’idéologie de l’individualisme c’est un peu ça : chacun vit la même réalité, donc ne peut construire que de l’espace référent commun dans cette même réalité, et au bout d’un moment, on va pouvoir vivre ensemble cet espace référent sans qu’il soit imposé. C’est l’idéal, qui n’aura probablement jamais lieu, parce qu’il présuppose que nous soyons tous égaux dans la compétence à créer un système de représentation ; en outre, ce serait oublier que certains ont contracté l’habitude d’être pris en charge par une communauté. Et c’est là que ça pose réellement problèmes, et que l’on rejoint notre problématique de l’immigration. Nous avons pris l’habitude de faire communauté d’une certaine façon, par conséquent comment la reporter intégralement dans un autre système ? C’est très compliqué. Comment devient on un individu capable de recréer son propre système ?
C’est à ce niveau aujourd’hui que l’éclatement risque d’être fort. Ce que l’on appelle le vivre ensemble, la socialisation ceux sont tous les artifices que l’on impute à la responsabilité des travailleurs sociaux. C’est à eux de faire des propositions, et souvent ces dernières vont à l’encontre des acquis idéologiques. Idéologiquement on dit à l’individu « vous êtes autonome pour faire vôtre système » et aux travailleurs sociaux « Vous devez imposez notre système à ces gens » (ie, à ceux la même auxquels on dit d’être autonomes). On est vraiment dans des ambiguïtés sociales très fortes parce que justement l’histoire et la mémoire ne sont pas présentes. S’il y avait un processus de cette évolution clairement donné en tant que lieu de l’histoire, les gens pourraient élaborer des outils, et faire des choix, mais ils sont dans une inconscience totale de ce qui s’est passé, et par conséquent ils subissent sans pouvoir agir quoi que ce soit. De fait, les gens se sentent complètement pris, écrasés.
Geneviève
« Et en même temps la justification de l’histoire, quand on ne la prend pas en compte, toujours par rapport à cette histoire de Palestine cela m’a beaucoup tracassé, surtout comme j’étais dans la mémoire ça m’a un peu... Mais ce que j’ai entendu sur tous ces termes de colons, avec les revendications des deux communautés, qui revendiquent toutes les deux à partir de l’histoire, puisque le palestinien lui appelle colon le juif qui vient de le mettre dehors de là où il est, et le juif qui dit mais je ne le mets pas dehors puisque c’est un territoire juif, la Judée. Donc tous les deux disent l’histoire, mais c’est nous qui sommes propriétaires de ce. Et c’est l’autre qui est le colon. Nous ne sommes pas des colons. On se retrouve sur des choses où l’histoire, là vraiment c’était chaque fois un rappel des juifs sur l’histoire qui leur donnait raison. »
Marc
« On est dans cette notion de l’autochtonie, une fois de plus. Ce que l’on revendique, c’est le fait d’être né sur le sol, et même plus précisément né du sol, de la terre et donc on a le droit d’être là. Les conflits majeurs se sont toujours déclenchés à partir de question territoriale. Et l’histoire va servir à justifier le droit d’être là.
Ce genre de situation nous permet d’illustrer la différence entre l’histoire et la mémoire. L’histoire en elle-même va essayer d’affirmer quelque chose de construit par la communauté, et la mémoire va essayer de trouver un espace anecdotique ou évènementiel propre à un individu pour justifier et faire partie de cette histoire. Il y a des étapes de justifications qui se font selon la transmission d’un vécu au niveau d’une mémoire familiale par exemple, qui vient renforcer l’histoire.
Les anecdotes des poilus de la guerre de 14 ont renforcé les jugements affectifs, moraux sur « les sales boches »… L’anecdote devient un lieu moteur, un appui de la grande histoire. C’est la petite histoire au service de la grande histoire. Pendant très longtemps, toutes les anecdotes qui étaient des anecdotes positives de rencontres entre allemands et français, étaient très malvenues parce qu’elles allaient à l’encontre d’une idéologie qui servaient à renforcer l’histoire, celle qu’on voulait mettre en place pour renforcer le patriotisme.
Geneviève
« Moi j’avais un grand oncle qui fut prisonnier pendant une grande partie de la guerre de 14, il vivait dans une ferme-
Marc
« Et ça se passait bien. »
Geneviève
« Et il ne nous en parlait pas, même si cela s’été très bien passé. Il cultivait, travaillait avec tout le monde. Il était ouvrier agricole dans une ferme. Voilà.
Marc
« J’avais un voisin, Mr Bach, qui était mineur, et qui avait été prisonnier pendant la guerre. Ensuite il a travaillé dans les mines, et il est resté là. Mais tout cela ce sont des choses qui ne se disent pas parce que ça ne correspond pas. C’est d’ailleurs à ce titre que la mémoire d’un vécu peut être intéressante, elle peut aller dans la contradiction de l’histoire. Si l’anecdote ne peut pas remettre en cause pleinement l’histoire, elle peut au moins relativiser les partis pris.
Genviève
« Mon oncle avait rencontrer des allemands qui étaient comme lui. Mais il ne nous a parlé que très tard quand il était plus vieux. Il nous racontait les différences qu’il avait pu constater. Ce qui l’avait frappé c’est qu’on ne préparait pas le cochon comme ici. » Rires
Genviève
« C’était ces choses là qui remontaient, ce qu’il avait découvert sur la façon dont on vivait en Allemagne. »
Marc
« C’est la part ethnologique du prisonnier de guerre. » Rires
Fabien
« J’imagine la difficulté de ne pas pouvoir assumer un vécu qui allait à l’encontre de l’opinion de tout le monde jusqu’à l’après guerre, alors que finalement, lui avait vécu des années agréables sous le soleil de bavière. Ce doit être difficile à porter. »
Christine
« La semaine dernière, j’ai rencontré une personne que je connais bien professionnellement, et qui me racontait que sa famille avait accueilli des enfants juifs pendant la guerre. On en parlait parce que c’était d’actualité avec les Justes. La façon dont elle en parlait, montrait que cela l’avait soutenu dans sa construction parce qu’elle disait que ses parents avaient toujours faits très attention à l’hospitalité, à l’accueil… et que c’était des choses très fortes comme celles là qui les avaient construite, elle et ses sœurs. C’est quelque chose qui est très présent dans les Cévennes.»
Marion
« Pourquoi a on fait ressortir l’histoire des Justes en France ? Les Juifs l’ont toujours faits, mais je ne comprends pas pourquoi on éprouve le besoin de la France à ressortir cette histoire.»
Marc
« Il y en a eu partout des Justes. La protection du monde juif en Cévennes c’est quelque chose de connu ici, cela faisait partie des histoires, et d’un naturel de protection qui se mettait en place conformément à la tradition propre aux guerres des religions durant lesquelles on protégeaient les gens persécutés. »
Geneviève
« Mais pourquoi cela prendil cette ampleur aujourd’hui ? »
Marc
« De toute façon il y eu de la part de l’Etat une erreur énorme dans la mise en place de cette loi 2005 autour de la colonisation, cela a réactivé la problématique de la relation à l’esclavage. Car valoriser la colonisation, c’était une façon implicite de valoriser l’esclavage des populations. Cela a fait remonté l’espace de la Shoah, donc il essaye de prendre une position pour redorer le blason. Et puis il faut bien aller à l’encontre des positions extrémistes qui voudraient une exclusion systématique des immigrés, ou qui la volonté d’un choix entre l’immigration positive…
C’est une question de rééquilibre. On met en place des images positives qui en contrent balance d’autres, plus négatives. »
Marion
« Je croyais que c’était une question d’élection. »
Marc
« Mais cela en fait partie. (Cf. D1 p148)