Extraits :
Talent d'aiguille
Le trésor des ethnies du Guizhou, s’il en est un, ce sont leurs parures. De tout temps leurs tissus ont forcé l’admiration, si ce n’est l’envie. La première trace remonte au début de notre ère où la cour des Han de l’Ouest ordonne que les barbares de Wuxi - les Miao - payent un impôt Congbu, sous forme de rouleaux de tissu. Sous les Tang et les Song il devient Guanshou, tissu versé en tribut. Par la suite ce sont les brodeuses et leurs mains de fée qui sont convoitées à la cour impériale pour enluminer les robes des Fils du ciel.
Aujourd’hui les textiles ethniques du Guizhou sont toujours un trésor qui dévoile ce formidable Talent d’aiguille. Trésor devenu cependant fragile. Conscients de cette fragilité, des collecteurs ont voulu garder une trace, non seulement de la matière mais aussi du sens. L’enquête sur ces Drôles de trames prenait naissance.
Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps c’est avec l’empereur Qianlong (1736-1796) qu’elle débute. Publiée sous la forme d’Albums Miao, cette approche pose une pierre angulaire sans toutefois nous apprendre grand chose sur la sémiologie du costume. L’enquête ethnographique de Fei Xiaotong commandité par le président Mao ne nous en dit pas davantage.
Pour apporter quelque chose de nouveau il fallait véritablement mener l’aventure d’un travail de terrain en observant, en participant, en questionnant les acteurs et leur création. Piqués par l’intrigue nous nous sommes prêtés au jeu.
Tout un univers des formes a pris vie. Par le truchement des contes, des légendes et des fêtes, le monde miao est devenu tangible, témoignant de sa richesse, de sa diversité, de son amour et de son idée de la beauté. Le sens a fait résurgence avec ses surprises mais aussi ses incomplétudes.
Les brodeuses font des gestes séculaires qu’elles ne cherchent plus à comprendre. Les anciennes oublient l’interprétation d’un motif ou bien le réinventent. Ce qui était peut-être symbole devient élément décoratif. Le nouveau mode de vie qui prend place s’accomode mal de la lenteur. Des techniques se perdent, faute de temps. L’urgence de mémoire était là.
La présentation qui suit a pris le parti de privilégier le sens d’un costume, sur sa forme, permettant de dépasser l’esthétisme pour en faire tomber les barrières de l’énigme. D’emblée, il nous importe plus de découvrir les motivations d’un motif de papillon que de savoir qu’il est brodé au fil de soie. C’est pourquoi les informations concernant les matières et les techniques ont été regroupées en fin d’ouvrage dans l’inventaire descriptif.
Dans la décennie qui précède notre nouveau siècle les ethnies étaient endimanchées de leur costume pour les jours de marché, tant par soucis d’esthétisme que d’identité. C’est ainsi que l’ostensible expression de leur différence nous est parvenue. Mais petit à petit les vestes sont remisées, puis les jupes et enfin les coiffes.
Sortir tous ces trésors des malles et les apprécier à leur juste valeur, c’est de près ou de loin faire un pas vers la reconnaissance d’un héritage de l’humanité.
Mélodie d'argent
Si au grand jour de la fête des lusheng, c’est à pied que vous décidez
de rejoindre le lieu des festivités, prenez le malin plaisir de vous
arrêter au beau milieu du chemin. Avant même de les voir, vous les
entendrez tinter. Et cette légère mélodie vous accompagnera bien
au-delà des magnificences du paysage.
La résonance des grelots, le
cliquetis des pendeloques ne font aucun doute sur le pas cadencé des
jeunes filles en fleur qui dévalent les pentes. Au détour d’un sentier,
cette musique d’argent se fait scintillement et laisse sans voix.
Artifice de couleurs et magie des lumières !
Les princesses,
maintenant en ronde sur la place du village, sont, pour certaines, les
jeunes filles à marier dans l’année. Elles n’ont jamais autant porté de
bijoux de leur vie qu’en ces jours festifs où tout le monde vient les
admirer et les séduire en espérant emporter leur cœur enfoui dans ces
écrins d’argent. Toutes les richesses de bijoux qu’une famille possède
sont savamment déployées sous forme d’épingles, de couronnes, de
tiares, de cornes d’argent, de boucles d’oreilles, de colliers, de
broches, de ceintures, d’aumônières, de bracelets, de bagues. Une
diversité rarement égalée !
Après le mariage, il sied à la jeune
fille devenue femme de porter des parures plus sobres et d’entretenir
une beauté discrète. Comme pour les costumes, il y a les bijoux
ordinaires et ceux des grandes occasions. Dans la vie de tous les jours
la femme s’accommode d’une épingle piquée dans son chignon et d’une
paire de boucles d’oreilles. Si elle porte davantage, ce pourrait être
pour des besoins de santé. Certes, les bijoux d’argent sont, dans leur
fonction première, les faire valoir de leur beauté et le témoignage de
leur prestige. Ils sont aussi un moyen de préserver l’harmonie des
énergies du corps. Porter des colliers quelque temps permet de
rassembler ses trois âmes et de les relier au corps. L’argent comme
moyen curatif protège aussi les enfants du mauvais sort et accompagne
les morts dans leur voyage vers la terre des ancêtres.
Les
bijoux d’argent ne sont pas le lot de toutes les ethnies de la
province. Les régions en bordure des rivières Qingshui, Duliu et Wuyang
forment le département autonome du Qiandongnan, soit le sud est de la
province. C’est là que se concentrent la diversité des bijoux d’argent
et le plus grand nombre d’orfèvres. Ces bras de rivière sont autant de
voies de communication pour le commerce, favorisant développement
économique et richesses. Ailleurs, vers l’ouest et notamment le nord,
les régions sont beaucoup plus enclavées et donc pauvres. D’autres
matériaux comme la laine, les plumes, les cauris, le crin de cheval
sont utilisés pour former des parures autrement créatives qui viennent
parfois largement pallier le manque d’argent.
Les ornements de
tête sont d’une grande diversité et nous renseignent autant sur le
statut de la femme que sur ses origines. Des formes très
caractéristiques indiquent l’appartenance à tel ou tel village. Par
exemple le casque aux milles fleurs de riz est le style de Huangping,
l’épingle en barbe d’épi celui de Jianhe, la corne d’argent à trois
branches appartient au district de Sandu (voir pièce 2003-015).
Du
fait de la rareté de l’argent - la province n’est pas productrice de ce
métal précieux - et d’une désaffection du travail d’orfèvre, les bijoux
du Guizhou sont devenus en peu de temps, objet d’art de grande valeur.
De plus, ils représentent une source inestimable d’informations sur la
culture ethnique chinoise du Sud Ouest, au même titre que les costumes.