La relation entre la tradition orale, Perrault et les illustrations de Gustave Doré
Sommaire :
La tradition orale
Charles Perrault
Contexte social du XVII°
Contes et mythologie
Les motifs et la symbolique
Gustave Doré
Quelques analyses en lien avec notre problématique
On ne peut pas faire l'économie de replacer le conte dans l'ensemble de la littérature orale, en le définissant par rapport au mythe, à l'épopée, à la légende...
La tradition orale
La forme écrite n'est qu'un avatar de l'histoire d'un conte. Un auteur s'autorise à le fixer, à lui donner une forme achevée et à le signer.
Bien que destinés aux jeunes enfants, les albums des éditions Syros récemment édités permettent une première approche comparative d'un conte à travers ses différentes variantes.
Charles Perrault
Contexte social du XVII°
Les notes suivantes sont tirées de la lecture de l'ouvrage de Marc Soriano "Les contes de Perrault - culture savante et traditions populaires" - Tel, Gallimard - 1968
Le conte fait partie du folklore comme la danse, les cérémonies, les chansons...Ce sont diverses expressions populaires qui ont pour but de distraire mais aussi de dire les besoins et les souffrances du groupe, de structurer la vie sociale et de se reconnaître comme "pays". Les contes reflètent des tensions, des contradictions angoissantes qu'ils réussissent généralement à résoudre (par exemple, tension entre amour maternel et abandon des enfants, entre respect du destin et volonté de le contrecarrer...) Les contes de Perrault sont ancrés dans les réalités politiques, économiques et sociales de son temps. Ces réalités nourrisent sa production littéraire qui, elle-même, est la manifestation du regard d'un privilégié. Par exemple La famine de 1694-1695 est présente dans tous les esprits quand Perrault écrit le Petit Poucet. Mais, on note un regard ambigu envers les pauvres parents qui dilapident dix écus imprudemment. Pour illustrer l'ancrage sociétal des contes de Perrault, on pourra rappeler que le loup était un vrai danger à l'époque et que la chasse au loup était un privilège seigneurial.
On retrouve à travers ses contes le regard d'un homme du XVII° siècle sur la société à l'époque de Louis XIV. Si la plupart des contes de Perrault tirent leur origine du répertoire populaire oral, les modifications qu'il y a apportées ont souvent trait au souci de rechristianisation de l'époque. Par exemple, dans la tradition orale, la Belle au Bois Dormant est séduite puis accouche inconsciemment donc avec innocence et sans plaisir. Dans les temps précédents où le mélange des cultures et des cultes était chose banale, il n'était pas gênant de retrouver l'image de la vierge dans un conte de fées. Perrault supprime l'ambiguité d'un rapprochement avec le dogme de l'Immaculée Conception.
On peut noter la masculinisation du regard : par exemple dans la Belle au Bois Dormant, la Belle ne peut prendre l'initiative de visiter seule le château impunément. Elle doit attendre du prince charmant fortune et bonheur et ne doit rien tenter par elle-même. La Belle ne renaît que pour se marier.
En revanche, le Prince a le droit de considérer l'existence comme quelque chose qu'il faut prendre d'assaut. Il est donc actif, elle est donc passive et cela reflète une conception des rôles de la femme et de l'homme à cette époque.
La version de Perrault de Barbe bleue est la seule dans laquelle la troisième soeur ne remembre pas ses soeurs. Cela illustre d'une autre manière le regard sur le rôle passif de la femme.
Les contes de Perrault nous renseignent aussi sur le rapport qu'entretenaient ses contemporains avec le pouvoir, le roi, le surnaturel, l'église. Les hommes, exploités par les grands de ce monde, ne cherchent pas à se révolter : ils se croient victimes de la malédiction du ciel. Ils acceptent une Destinée qui est souveraine, qu'elle soit représentée par les Moïra des Grecs, les Parques des Romains ou le Dieu des Chrétiens, voire les fées des contes de Perrault. Les héros, bien qu'innocents, doivent expier une faute qui n'est pas sans rappeler la tache originelle des chrétiens.
Exemples de thèmes de recherche pour les élèves : la vie à la cour, les qualités attendues d'une jeune fille, la hiérarchie, les lieux (on peut penser au château de la Belle au bois dormant qui est un lieu policé et au parc "à la française" qui l'entoure ou encore aux "chambres parquetées", nouvelle exigence de confort moderne)
Pour illustrer le parti pris de Perrault, il serait intéressant d'étudier la version catalane du conte La Belle au Bois Dormant*, datant du XIV° siècle, dans lequel la princesse fait l'amour et accouche pendant son sommeil.
*Une Belle au Bois Dormant médiévale : Frayre de Joy et Sor de Plaser. Nouvelle d’oc du XIV° siècle / Suzanne Thiolier-Méjean - Université Paris IV - 1996. ( A-I-46 )
Contes et mythologie
Levi-Strauss a écrit " Les contes sont construits sur des oppositions plus faibles que celles qu'on trouve dans les mythes : non pas cosmologiques, métaphysiques, mais locales, sociales ou morales" . Cité par Nicole Belmont in "Poétique du Conte. Essai sur le conte de tradition orale" , Gallimard, 1999.
Quelques unes des notations qui suivent sont inspirées de cette étude. L'auteur montre comment le mythe perdure via certains personnages de contes. Ainsi, Cendrillon n'est pas sans rappeler Hestia, divinité grecque vierge, gardienne du foyer. Cendrillon représente le destin contradictoire de la femme attachée au foyer paternel qu'elle doit quitter pour se marier. Cette contradiction résolue chez Hestia qui demeurera vierge suggère le désir oedipien chez Cendrillon. (voir article "Le Classique" dans le bulletin n°0 du CMLO)
Peau d'âne, en revanche, exprime un désir contre-oedipien.
Les trois sœurs peuvent également faire songer aux trois Parques dont la troisième coupe le fil de la vie.
Le déchaussement d'un pied dans le même conte était un rite de passage, par exemple à Eleusis. On pourrait aussi interroger Jason qui ne portait qu'une seule sandale…
Dans la plupart des versions du Petit Chaperon Rouge, exceptée celle de Perrault, la grand-mère est mangée à deux reprises, par le loup puis par sa petite fille. Ce banquet cannibale dont on traitera plus loin la symbolique, trouve un écho mythologique avec Tantale qui donna à manger aux Dieux son propre fils Pélops.
Dans la Belle au Bois Dormant, par exemple, le thème de la fée vexée à l'origine de la malédiction renvoie à la déesse de la discorde Eris qui, fâchée de ne pas avoir été invitée aux noces de Thétis et Pelée choisit le moment du banquet pour lancer la fameuse pomme d'or à l'origine de bien des maux.
La Belle au bois Dormant propose également à travers le motif du sommeil (mort symbolique?!) un déni de la mort et du temps que l'on retrouve dans le mythe d'Orphée. On peut trouver d'autres échos de ce mythe : sommeil de la princesse et mort d'Eurydice / gel, immobilisation, léthargie de l'univers de la Belle et engourdissement de la nature suivant la volonté de Perséphone. D'ailleurs, une des illustrations de Gustave Doré représente la Belle à peine distincte des plantes qui ont envahi son lit. Cette métamorphose végétale illustre notre propos et peut être par ailleurs mise en relation avec la métamorphose de Philémon et Baucis qui, transformés en arbres, s'aimeront au-delà de la mort.
Le sommeil de la Belle peut également rappeler le sort du berger grec Endymion à qui la lune, éprise de sa beauté, offrit le sommeil afin qu'il demeure éternellement jeune et désirable.
Les motifs et la symbolique
Avant d’aborder le chapitre des motifs récurrents et du symbolique, une précaution s’impose : le conte merveilleux est basé sur un langage qui utilise le symbole. Mais ce symbole recouvre une multiplicité de sens. Il n’est donc pas interprétable de façon univoque, il laisse une marge indécidable quant à sa signification. Les quelques notations qui vont suivre ne sont en aucun cas une « grille d’interprétation » mais quelques pistes qui permettront éventuellement une lecture « verticale » des textes.
Certains motifs sont communs à plusieurs contes.
Par exemple l’alternance du « sauvage » (forêt…) et du « civilisé » (maison). On pourra s’interroger sur les différentes significations de ces lieux. La forêt, comme le lieu de l’abandon est aussi une étape hors du monde où toutes les éventualités sont ouvertes, un espace entre deux mondes où se réalise l’initiation. La maison, le centre de la maison de Cendrillon par exemple, point fixe qu’elle devra quitter par le mariage et qui évoque le destin contradictoire de la femme attachée au foyer mais que le mariage oblige à circuler. (L’enfant doit rompre avec les liens du sang pour nouer les liens de l’alliance). Cendrillon, immobilisée au foyer (métaphore du père) suggère le désir oedipien que la fille porte au père ( inversement Peau d’Ane, qui s’enfuit de la maison, exprime un désir contre-oedipien, la peau de l’âne serait la métaphore du linceul dont on enveloppe les morts, ici mort symbolique constituée par le rite de passage).
Le château de La Belle au bois Dormant se présente également comme un lieu clos et protégé (par le bois, les haies de ronces et d’épines…), lieu qui a, en plus, son temps propre ! Le prince n’arrivera jusqu’à la princesse qu’en franchissant ces obstacles qui appartiennent au lieu de l’initiation, en empruntant un chemin non balisé à travers les bois ; chemin détourné qui conduit également dans les territoires inconnus de l’amour le Prince amoureux de Griselidis ou celui de Peau d’Ane, chemin qui les fait passer de la confusion de la forêt, lieu du désordre et de tous les possibles, à un lieu d’ordre, un lieu civilisé.
On retrouve le motif du chemin et celui du voyage dans la plupart des contes. Voyage « du four au moulin » du Petit Chaperon Rouge qui, du lieu de la gestation (galette cuite par la mère, l’embryon est comparé à une pâte levée par la semence masculine) va par delà le moulin (lieu d’échange sexuel, de procréation). Le Petit Chaperon Rouge remonte le temps comme le Prince de La Belle au Bois Dormant. On aura intérêt à lire d’autres versions du conte qui insistent sur le chemin emprunté (celui des aiguilles, celui des épingles). Ce voyage entrepris par un personnage a-t-il pour fonction de nier l’irréversibilité du temps ?
Dans plusieurs contes le motif du soulier va aussi dans le sens de la mobilité.
Les bottes de sept lieues du Petit Poucet lui permettent de ne jamais s’installer en un lieu et c’est ce passage incessant d’un monde à un autre qui fait sa force. De même ce sont ses bottes - attributs de la personne bien née au XVIIè siècle- qui permettent au Chat Botté de ne plus être considéré comme un « va-nu-pied » et qui lui donnent le pouvoir de transformer le destin de son maître.
La pantoufle perdue fait de Cendrillon une boiteuse qui marche de part et d’autre de sa condition de femme et de fille, elle ne sait sur quel pied danser !? Le boiteux révèle une faiblesse de l’âme. Dans la Bible on procède à un échange de sandale pour valider une affaire, l’empreinte du pied a valeur de sceau. Par ailleurs la boiterie est associée à la « culbute » (cf le tableau de Fragonard L’Escarpolette), donc à l’attrait érotique.
A propos de Cendrillon arrêtons-nous sur ces « cendres » qui lui donnent son nom : elles évoquent la mort, le deuil, les restes de ce qui a été consumé – de la mère morte ? Dans une version de Cendrillon la jeune fille communique avec les cendres de sa mère conservées dans une jarre -, un feu éteint ou qui couve sous la cendre ?...
Autres motifs récurrents que ceux, parallèles, de la nourriture et de la parole.
La métaphore du conte comme un « mets à goûter » éclaire les liens entre ces deux motifs. Plusieurs personnages fonctionnent sur un mode oral : le loup, l’ogre, mais aussi le Chat botté qui, même s’il sait maîtriser son oralité lorsqu’il offre des lapins et des perdrix au roi , retrouve sa logique propre en avalant l’ogre transformé en souris.
Si les activités d’un ogre s’organisent autour de la nourriture celles de la famille du Petit Poucet aussi. Présence de nourriture également dans Les Souhaits Ridicules liée à celle d’une parole toute puissante. De même que dans Les Fées la parole permet à la jeune fille de trouver l’amour dans la forêt, cette parole est assimilée à une nourriture précieuse de pierreries et de fleurs qui porte en elle-même sa valeur.
On pourra relire les contes sous cet aspect de la toute puissance du langage : souhaits, malédictions, interdit de Barbe Bleue… la parole est magique comme celle du vieux paysan qui ouvre au Prince l’espace parallèle du château de la Belle.
Gustave Doré
Pour saisir la singularité de Gustave Doré qui relit les contes de Perrault en pleine résurrection du patrimoine folklorique, l'étude comparative est fructueuse. D'où l'intérêt de se procurer des livres illustrés par d'autres illustrateurs que Gustave Doré, sans éiminer les illustrateurs les plus récents d'albums de jeunesse (exemples donnés pour le Petit Chaperon Rouge). Voir un film d'animation tel que le Blanche Neige de Walt Disney offrira la possibilité de réfléchir aux modifications, aux objectifs et à la fonction donnée au merveilleux par chaque concepteur.
Se référer à l'excellent site de la Bnf pour une étude comparative des illustrations. Voir aussi l'exposition permanente bnf "il était une fois les contes"
Quelques analyses autour des contes de La tradition orale, Charles Perrault et Gustave Doré
De Doré à Perrault, Conférence de Tony Gheeraert, Université de Rouen (Lire l'article)
"Qu’on ne se trompe pas sur ce que je viens de dire : Gustave Doré, en tant qu’artiste et créateur, a réalisé ici un chef-d’œuvre dont la qualité esthétique est indéniable ; mais, du fait même qu’on a affaire à une véritable création, autonome, relevant du projet esthétique propre de Doré, de son identité irréductible d’artiste, elles ne peuvent manquer de dénaturer Perrault. Ou pour le dire mieux, Doré « récupère » Perrault dans une perspective artistique qui lui est singulière, et qui n’a rien à voir avec Perrault - grand créateur, il est un piètre commentateur fort infidèle ; on ne saurait lui en tenir grief, ce n’était pas son objet que de nous mener jusqu’au vrai Perrault, mais on ne saurait non plus se méprendre en prenant pour argent comptant la représentation qu’il nous donne du conteur classique."
De Perrault à Doré, de l’oral à l’image : l’entrecroisement des imaginaires - par MELET Cécile, Lycée de Villaroy, Guyancourt (Lire l'article)
"Associer l’étude des contes de Perrault et les illustrations de Doré est évidemment une invitation à réfléchir sur la tradition de l’illustration. Le but de cette séquence est d’amener les élèves à prendre conscience de l’évolution de la place des illustrations dans la tradition éditoriale des contes. Elle doit bien sûr leur permettre de découvrir toute la finesse et la richesse de l’oeuvre de Doré. Elle fait intervenir l’usage des TICE, en s’appuyant tout particulièrement sur l’exploration du merveilleux site de la BNF sur les contes de fées.
Ce qui est peut-être fondamentalement en jeu dans cette étude, c’est de voir finalement comment, à travers les illustrations, s’entrecroisent les imaginaires à la fois de l’auteur, de l’illustrateur et enfin du lecteur."
Jean Cocteau, lecteur de Gustave Doré : des illustrations des Contes de Perrault par Doré à la Belle et la Bête de Cocteau - par SOLER Estelle, Lycée Saint-Exupéry, Mantes-la-Jolie (Lire l'article)
"La confrontation des Contes de Perrault et des illustrations de Gustave Doré invite le lecteur à réfléchir aux problèmes posés par les relations entre un texte littéraire et les choix opérés par un artiste qui, en imaginant de l’illustrer, crée sa propre œuvre. Cette problématique peut être approfondie par une analyse de la Belle et la Bête de Cocteau. Ce film se veut une adaptation d’un conte, mais ce n’est pas un conte de Perrault. Pourtant, le regard de Cocteau sur l’univers du conte apparaît fortement marqué par l’univers de Gustave Doré."
L’analyse des frontispices de CLOUZIER et de DORE pour une première approche des Contes de Charles PERRAULT - Véronique Cardamone, Professeur de Lettres Modernes au Lycée Auguste Renoir
(Lire l'article)
"Cette analyse de l’image vise à mener une première approche d’une des œuvres au programme de la classe de terminale, les Contes de Charles PERRAULT. Elle pourrait également, dans une version adaptée, trouver sa place dans une séquence de sixième consacrée à la découverte du genre."
B. Domaine : Langage verbal et images- Littérature et langage de l’image (Lire l'article)
"On ne visera pas une analyse exhaustive de toutes les illustrations des Contes réalisées par Gustave Doré, et proposées sur divers sites. On s’attachera à confronter méthodiquement images et textes, en s’intéressant par exemple aux éléments narratifs et descriptifs qu’elles privilégient ou qu’elles omettent, au point de vue adopté par l’illustrateur, à la place assignée au spectateur, aux choix de mise en page, de composition, d’échelle, aux contrastes chromatiques, aux registres, aux publics visés, etc."
Bernadette Bricout, Les deux chemins du Petit Chaperon Rouge, CNRS, 1982 (Lire l'article)
"Les carrefours occupent-ils dans la topographie imaginaire des contes une place privilégiée ? Les versions orales traditionnelles du Petit Chaperon rouge pourraient le laisser penser."